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« Le néolibéralisme domine la planète en causant toujours plus de dégâts »

Algeriepatriotique : La démondialisation est un concept qui revient souvent dans votre travail de recherche. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ?

Michel Rogalski : Nombreux sont les travaux qui s’accumulent depuis une vingtaine d’années qui dénoncent les méfaits de la mondialisation et suggèrent qu’elle n’est pas un phénomène inéluctable. Construite par l’homme depuis des siècles, elle connaît des phases d’emballement qui créent généralement les conditions de son essoufflement, voire de crises à répétition. Mais elle présente des aspects positifs que personne ne songe à remettre en cause : une plus grande facilité de circuler, des échanges culturels et scientifiques accrus, une meilleure connaissance de l’autre, un commerce de marchandises dans une large part à l’origine de l’essor des pays émergents et qui a contribué à dessiner une nouvelle configuration des rapports nord-sud … Tout cela, c’est de la bonne mondialisation qu’il convient de préserver. Mais à l’ombre de celle-ci s’est développée une mondialisation financière, voire maffieuse qui façonne par sa puissance les traits de l’économie mondiale et les marges de manœuvre des Etats faisant peser sur eux des contraintes insupportables. Des paradis fiscaux ont été multipliés pour favoriser ces activités. Des règles économiques et financières ont été édictées pour imposer aux Etats la soumission aux normes de la finance internationale. Toute stratégie de développement national indépendant se trouve confrontée à cette nouvelle réalité. C’est tout cela qu’il convient de contrer.

Le modèle économique néolibéral a échoué, mais l’alternative tarde à venir. A quoi l’attribuez-vous ?

Le modèle a certes échoué, mais il domine encore la planète en causant toujours plus de dégâts. Il a pris soin de verrouiller par des dispositifs institutionnels des pans entiers de ses recettes. Le modèle le plus achevé est celui de la construction européenne où l’empilement de traités successifs grave dans le marbre ces orientations libérales. Toute alternative véritable viendra s’empêtrer dans cette gangue qui plane en surplomb contre toute volonté de changement. C’est un problème identique qui agite les pays des « printemps arabes » lorsqu’il y est discuté de savoir si les constitutions doivent se référer à la charia, en marquant ainsi les limites du possible. Bref, les « lois » divines ou d’inspirations libérales peuvent-elles encore s’imposer aux hommes ? Ce carcan doit être brisé. Certes, cela ne suffit pas à faire une alternative. Un modèle économique doit pouvoir s’incarner dans une alliance sociale et une coalition politique qui le porte, et ceci de façon majoritaire. L’effondrement du bloc soviétique a constitué un choc qui a laissé des traces, au point que certains ont pu prophétiser la fin de l’histoire. Mais au tournant des années 2000, le virage à gauche d’une partie de l’Amérique latine a incarné des possibilités et suggéré que d’autres voies étaient possibles. Ces expériences nouvelles rencontrent des difficultés et de l’hostilité sourde ou manifeste. D’où la nécessité d’une solidarité internationale qui doit se nourrir d’un partage de valeurs communes.

On remarque une faible, voire une absence totale de réaction face aux scandales d’écoutes et d’espionnage à grande échelle révélés par Edward Snowden et par plusieurs lanceurs d’alerte. Où est la combativité de la société européenne, de son élite, de ses libres penseurs, de ses organisations de défense des droits de l’Homme et autres, alors qu’une grande manifestation a eu lieu aux Etats-Unis récemment ?

C’est vrai que l’ampleur des révélations a contribué à inoculer l’idée d’une fatalité technologique. Seuls les milieux informés – y compris les gouvernements – savaient. L’opinion publique, même si elle se doutait un peu, a été littéralement sidérée par l’ampleur du phénomène. Les services secrets ont partout été créés pour faire des choses illégales ou immorales que les gouvernements ne peuvent assumer. Et ils ne peuvent être poursuivis pour ces activités, car protégés par le secret d’Etat ou le secret défense. Le choc tient au fait que l’on croyait que seul l’ennemi était visé, et ce, pour les besoins de la sécurité nationale. On découvre à travers ces révélations que la surveillance s’est généralisée, que l’on est entrés dans l’ère du Big Brother et que l’on sait tout sur vous. Bref, que cette arme redoutable du renseignement est devenue tous azimuts et peut se retourner contre vous. Les Etats-Unis sont effectivement plus sensibles – pour eux – aux libertés publiques et individuelles que les Européens et il ne faut pas être surpris que là-bas l’émotion y ait été plus intense, d’autant que tout cela leur a été vendu au nom de la lutte contre le terrorisme. On a aussi appris que les Etats s’entraidaient dans cette surveillance généralisée, livrant même leurs communications en échange d’autres renseignements. Les révélations ne sont certainement pas épuisées. Un débat commence maintenant – et il sera en large partie public – sur un code de conduite qui devra définir où fixer le curseur afin de préserver les libertés publiques. Le lanceur d’alerte Edward Snowden devrait être proposé au prix Nobel de la paix.

Entretien réalisé par Mohsen Abdelmoumen

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