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Les États-Unis et le Japon partenaires dans la falsification de l’histoire

L’État que Martin Luther King décrivait comme « le plus grand avocat de la violence dans le monde » continue de remplacer la diplomatie par la force en s’accrochant à la conviction que la puissance produit le droit.

Qui ne connaît pas Oliver Stone ? Douze fois nominé aux Academy awards, ce célèbre producteur, volontaire durant la guerre du Vietnam avant de se lancer dans le cinéma, a notamment remporté l’Oscar du meilleur scénario adapté (Midnight Express), les Oscars du meilleur film et celui du meilleur réalisateur (Platoon) et l’Oscar du meilleur réalisateur (Né un 4 juillet). Il s’est aussi engagé depuis 2008 avec l’historien Peter J. Kuznick dans la réalisation de « the Untold History of the Unites States » (l’histoire cachée des États-Unis), une série documentaire pour la télévision en dix épisodes sur les événements de l’histoire américaine au XXème siècle, qui raconte la seconde guerre mondiale, les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki, la guerre froide, la guerre du Vietnam et la lutte contre le terrorisme. Tout comme la série, le livre éponyme de 750 pages est disponible dans le commerce depuis peu. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les deux hommes, qui ont signé, au retour d’une conférence de douze jours au Japon, un long article intitulé « The U.S. and Japan : Partners in Historical Falsification », n’en ont pas fini avec les sujets qui dérangent.

« Être à Hiroshima et à Nagasaki le jour anniversaire du lancement de la bombe atomique a été une expérience intense pour nous et aussi un rappel particulièrement fort car mystifier le passé est fondamental pour perpétuer l’Empire. C’est un projet auquel collaborent les États-Unis et le Japon depuis soixante-huit ans ». Comme l’écrivent les auteurs, les élites des deux pays ont sans doute bénéficié de cette relation symbiotique. Jusqu’à ce que le Japon soit récemment dépassé par la Chine, les États-Unis et le Japon ont été les deux économies dominantes. Ces deux pays font partie des cinq pays ayant les dépenses de défense les plus élevées au monde. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le Japon a été au cœur de la politique en Asie et le moins qu’on puisse dire, c’est que le pays du soleil levant le lui rend bien. En plaçant les bombardements atomiques d’août 1945 au centre de leurs analyses des empires américain et japonais post conflit, les auteurs affirment que presque tout ce que les jeunes Étasuniens et Japonais apprennent sur la guerre est exactement le contraire de ce qui s’est passé.

Les auteurs nous racontent à vrai dire l’histoire des États-Unis d’une façon très différente de celles auxquelles nous avons été habitués. Trois mythes sont pour eux à la base d’une manipulation sans précédent :

  • la bonne guerre menée par des États-Unis se sacrifiant pour les autres pays,
  • l’Amérique au cœur vaillant allant délivrer l’Europe,
  • la guerre froide est la conséquence de l’expansion territoriale soviétique et de l’hostilité envers l’Occident capitaliste.

En ce qui concerne le premier mythe, les auteurs expliquent comment le monopole atomique a pu faire naître aux États-Unis ce sentiment de supériorité qui les pousse à vouloir imposer leur volonté au monde. Suite aux deux bombardements mortifères, des responsables américains ont rapidement apporté une version des faits qui justifiait ces actes barbares. Il a ainsi été expliqué au monde médusé par ce crime à grande échelle que les bombes avaient été larguées avec une certaine forme de clémence dans le but de finir la guerre au plus vite, en évitant une invasion qui aurait coûté selon Truman un demi-million de vies humaines... Les États-Unis n’auraient finalement pas eu pas d’autres choix. C’était pout les vainqueurs un acte juste, presque humanitaire si l’on peut dire... Il suffit d’imaginer tous ces Japonais qui auraient été tués dans une invasion des troupes étasuniennes.

En réalité, le Japon était déjà à quatre pattes et à la recherche d’une reddition acceptable depuis le mois de mai 1945. Les bombardements atomiques étaient ni plus ni moins qu’une tentative étasunienne pour hâter la fin du Japon avant que les Soviétiques ne reçoivent les restes du pays vaincu, et ce en violation des accords de Yalta. Bien plus grave de conséquences pour l’histoire de l’humanité, il fallait montrer aux Soviétiques que les États-Unis pouvaient être dépourvus de tout scrupule lorsque la défense de leurs intérêts était en jeu. Il a fallu une dextérité extraordinaire pour que les média et les institutions éducatives n’opposent aucune contradiction à la version officielle.

Le second mythe touche à la Seconde guerre mondiale. Les États-Unis ont bravement gagné la guerre alors que, comme le rappelait Churchill, les Soviétiques ont fait face durant quasiment toute la durée de la guerre à la machine de guerre allemande. Les soldats de Staline ont dû affronter plus de deux cents divisions quand les Américains et les Britanniques n’en affrontaient qu’à peine une petite dizaine… Les généraux Eisenhower et Marshall étaient en réalité furieux de voir l’Oncle Sam jouer à la marge, de devoir défendre les intérêts britanniques en Afrique du Nord, en Méditerranée et en Birmanie plutôt que de devoir se battre frontalement avec les Allemands. Au moment du débarquement de Normandie, qui est concomitant de la naissance du fameux mythe, les Soviétiques ont depuis longtemps déjà inversé le cours de la guerre.

Enfin, le troisième mythe consiste à faire croire que la guerre froide était le fruit de l’expansion territoriale soviétique et de l’hostilité envers l’Occident capitaliste. En fait, Truman a mis moins de deux semaines pour détruire la vision qu’avait Roosevelt d’un monde multipolaire basé sur la collaboration entre les États-Unis et l’URSS. Commença alors, inévitablement, une longue période de méfiance et d’hostilité réciproque.

Étonnamment, la façon dont la Seconde guerre mondiale est enseignée aux étudiants japonais est trompeuse et malhonnête. Au Japon aujourd’hui, on commence à aborder les questions du massacre de Nankin et de l’esclavage sexuel des femmes coréennes, mais il y a une totale absence de débat sur la brutalité et les assassinats aléatoires imputables à l’agression japonaise impériale en Asie durant cette période. Peu de gens savent que plus d’un million de Vietnamiens ont péri au cours de la brève occupation japonaise. Tout aussi peu de gens connaissent les atrocités commises par l’Empire du Soleil levant en Indonésie, en Malaisie, aux Philippines, à Taiwan ou en Birmanie, frappant indistinctement hommes, femmes ou enfants.

Le subterfuge continua après la guerre. Lors des procès de Tokyo, on ne retint pas les accusations contre les dirigeants japonais pour le massacre aérien de Chinois et de civils d’autres nationalités, de façon à ce qu’on ne puisse faire aucun parallèle avec les bombardements incendiaires américains contre les Japonais ou avec des crimes de guerre encore plus graves que constituent les bombardements atomiques. Les États-Unis ont effectivement amnistié ou simplement libéré des dizaines de criminels de guerre de première catégorie, dont bon nombre ont continué à exécuter les ordres de l’Amérique après la guerre, comme Matsutarō Shōriki, le fondateur du Nippon TV et Président du Yomiuri Shimbun, un journal de tendance conservatrice vendu quotidiennement à plus de dix millions d’exemplaires. Il a étroitement collaboré avec la CIA et l’USIA. Citons également Nobusuke Kishi, qui est allé jusqu’à devenir premier ministre du Japon en 1957. Il a notamment contribué au maintien des bases américaines au Japon. Le cas d’Eisaku Satō est édifiant à plus d’un titre. Prix Nobel de la paix en 1974 pour avoir officiellement mené une politique pacifiste opposée à la prolifération nucléaire, la déclassification de documents confidentiels montre en 2008 que Satō avait demandé aux États-Unis de se préparer à mener une attaque nucléaire contre la Chine en cas de conflit avec le Japon. On apprit aussi en 2010 qu’il avait signé plusieurs accords secrets avec Washington, l’un permettant aux navires américains de faire escale au Japon, et l’autre aux États-Unis de stocker des armes nucléaires à Okinawa Hontō… ce que contredisaient les principes antinucléaires forgés par l’intéressé lui-même.

L’État que Martin Luther King décrivait comme « le plus grand avocat de la violence dans le monde » continue de remplacer la diplomatie par la force en s’accrochant à la conviction que la puissance produit le droit. Les bombardements atomiques de 1945 ont paradoxalement évité aux États-Unis une condamnation universelle. Comme le déclare non sans arrogance l’ancienne secrétaire d’État Madeleine Albright : « Si nous devons utiliser la force, c’est parce que nous sommes l’Amérique ; nous sommes la nation indispensable. Nous nous tenons droits et nous voyons plus loin dans l’avenir que les autres pays, et nous voyons les dangers qui nous menacent tous. Je sais que les soldats américains sont prêts au sacrifice pour défendre la liberté, la démocratie et le mode de vie américain ».

L’histoire est écrite par les vainqueurs, c’est un fait. Les États-Unis en ont jusque-là joué et abusé, allant jusqu’à nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Il est intéressant de constater que la version officielle qu’ils nous ont jusqu’ici imposée est de plus en plus battue en brèche. L’histoire continue sa marche mais le modèle étasunien est singulièrement ébranlé. Perdant toute crédibilité, les États-Unis semblent être bel et bien rentrés dans la phase crépusculaire de leur Empire.

Capitaine Martin

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