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Equateur : les mensonges médiatiques sur Correa et la liberté d’expression (Green Left Weekly)

Lorsque l’Équateur a accordé l’asile à Assange au milieu de l’année 2012, Peter Hartcher du Sydney Morning Herald a accusé Assange de « hypocrisie » pour avoir accepté l’asile du président Rafael Correa, « l’un des principaux oppresseurs de la liberté d’expression au monde ».

Annabel Crabb a rejoint les choeurs, en écrivant dans le Sydney Morning Herald : « Une foultitude de fans d’Assange sur Twitter ont salué l’Equateur et son président, Rafael Correa, comme un héros de la liberté d’expression internationale et des droits humains. »

« Correa est le même gars qui l’an dernier a emprisonné un journaliste et trois dirigeants du journal El Universal [sic] pour avoir dit des choses désagréables sur lui ... [et] qui devrait bientôt extrader le militant biélorusse anti-corruption Alexander Barankov vers un destin peu enviable dans son pays d’origine ... Equateur : champion de la liberté d’expression. On croit rêver. »

Les seules erreurs factuelles dans la diatribe de Crabb sont que Barankov n’a jamais été extradé (mais accordé l’asile), que le journaliste et dirigeants mentionnés n’ont jamais été emprisonnés et que le nom du journal en question n’est pas El Universal !

Ceci pourrait se lire comme un dénigrement sarcastique des nations les plus pauvres qui sont en quelque sorte moins capables de « démocratie », mais le Sydney Morning Herald ne faisait qu’appliquer les instructions du manuel rédigé par Washington sur la manière de dénoncer la gauche latino-américaine.

L’affaire El Universo

La presse US s’était entraînée pendant des années à dénoncer la soi-disant « dictature » du feu président Hugo Chavez au Venezuela avant de tourner leur attention vers Correa. Après avoir accordé l’asile à Assange, Correa s’est retrouvé en tête de liste.

Le Washington Post, le New York Times, le Christian Science Monitor, The Economist, et Time ont chacun publié des articles pratiquement identiques sur la prétendue répression des médias libres par Correa. Et tous ont placé au centre de la scène la même victime : El Universo.

La saga découle d’un article publié par El Universo, le 5 Février 2011, écrit par Emilio Palacio et intitulé « Non aux mensonges ». Le journal a ensuite été poursuivi pour diffamation par Correa.

L’article présentait le compte-rendu de Palacio sur les événements dramatiques du 30 Septembre 2010, lorsque Correa a été pris en otage par des policiers rebelles à l’intérieur d’un hôpital militaire pendant neuf heures. L’Union des Nations d’Amérique du Sud (UNASUR), qui regroupe 12 pays d’Amérique du Sud, a qualifié ces événements de tentative de coup d’Etat.

Bien qu’il y ait eu beaucoup d’improvisation lors de ces événements, ce qui paraît clair c’est que la police a occupé le Parlement ; les aéroports de Quito et Guayaquil ont été saisis par des secteurs de l’armée ; les manifestants et les soldats fidèles à Correa ont été obligés de se porter à son secours, et la voiture dans laquelle Correa s’est échappé de l’hôpital militaire était criblée de balles.

Dans le récit de Palacio publié dans El Universo, celui-ci désigne Correa comme le responsable de l’effusion de sang, qui a fait huit morts et plus de 200 blessés dans tout le pays. Il a accusé Correa d’avoir donné l’ordre d’ouvrir le feu sur l’hôpital où il était détenu en captivité, le qualifiant de crime de « lèse humanité » : le terme est une insulte à connotation raciste dans les Andes qui signifie grossier, stupide et inférieur.

L’article complet se lit comme offensive ridicule. Palacio y qualifie neuf fois Correa de « dictateur » et deux fois son gouvernement de « dictature ». Cela est permis par la loi équatorienne.

Tu parles d’un dictateur - Correa avait le plus haut taux d’approbation de tout dirigeant d’Amérique latine l’année dernière et cette année aussi. Il a été réélu en Février avec 58% des voix.

Sans surprise, Palacio et El Universo ont été reconnus coupables de diffamation. Mais la diffamation en Equateur est encore une infraction pénale, alors Palacio et deux directeurs du journal ont été condamnés à trois ans de prison (par un tribunal, pas par Correa).

En fait, Correa les a graciés - aucun journaliste n’a été emprisonné sous son gouvernement au pouvoir depuis sept ans. Toutefois, la loi (qui est antérieure à Correa) a un besoin urgent d’être réformée.

L’épisode El Universo a été la cheville ouvrière d’une campagne contre Correa, accusé de réprimer les médias libres en Equateur. Pourtant, en citant le cas présent, les médias américains et australiens omettent ou déforment le contexte du coup d’Etat et ignorent tout simplement le fait que les accusés n’ont jamais été emprisonnés.

Le Sydney Morning Herald a même totalement omis de mentionner le coup d’état, tout comme Time. Le New York Times a parlé d’une « protestation de policiers », tout comme le Christian Science Monitor. Le Washington Post a parlé d’un « soulèvement de policiers ». The Economist a décidé qu’il s’agissait d’une « mutinerie de policiers ».

Toujours aussi hilarant et inquiétant à la fois, le torchon propagandiste de Murdoch, The Australian, a bien parlé de la tentative de coup d’état, mais en accusant les peuples indigènes de l’Équateur.

Nouvelle loi sur les médias

La campagne a été relancée de nouveau en Juin, quand Correa a déclaré que son gouvernement envisageait d’accorder l’asile à Edward Snowden après ses révélations sur la surveillance, l’espionnage international et la cyber-guerre des Etats-Unis dans le monde entier.

Cette fois, les accusations d’hypocrisie se sont basées sur la nouvelle loi sur les médias qui a été adoptée le 21 juin en Equateur.

Le Washington Post a parlé de « loi bâillon ». Ils ont critiqué le « deux-poids deux-mesures » de Correa, un « dirigeant autocratique ... connu pour sa persécution des journalistes dans son propre pays ».

Time a écrit qu’avec cette loi, le bilan de Correa en matière de liberté d’expression devenait « aussi mauvais que celui du président russe Vladimir Poutine ». Le magazine a affirmé que la loi « réduit drastiquement le nombre de médias privés tout en augmentant considérablement les diffusions contrôlées par l’Etat et fait de Correa de facto le censeur médiatique de la nation ».

Le Christian Science Monitor a affirmé que la nouvelle loi « restreint ce que les journalistes peuvent couvrir sur les candidats [aux élections] ... Les critiques disent que c’est au profit [de Correa]. »

Qu’en est-il en réalité ? La nouvelle loi stipule que les médias privés seront limités à un tiers du marché. Les médias publics représenteront un autres tiers et les médias communautaires, à but non lucratif, le dernier tiers. Ce qui signifie que les médias ne seront plus presque totalement dominés par les intérêts privés et que les secteurs populaires auront un accès, jusqu’alors fermé, aux médias grâce aux médias communautaires.

La loi interdit également le « lynchage médiatique » - en d’autres termes, les campagnes concertées de diffamation – par des prises de position politiques manifestes, en particulier dans la couverture des élections.

L’autorité chargée du contrôle n’est pas simplement un bureau de la présidence, comme suggéré par Time et The Economist. Elle comprend des représentants des gouvernements provinciaux, des groupes culturels et des universités.

Des médias libres et indépendants ?

L’aspect le plus frappant de la campagne contre l’Equateur est que les médias privés « libres et indépendants » que ces médias veulent défendre sont ceux qui oeuvrent à l’unisson dans une propagande opportune contre les « ennemis officiels » - comme le Venezuela, l’Equateur, Assange et Snowden.

C’est pourquoi le discours de la « presse libre » contre les « gouvernements autocratiques » doit être remis en question.

Les entreprises privées sont tout aussi disposées à lancer des procès en diffamation que les gouvernements. Les diffuseurs peuvent être, et sont souvent, menacés d’annulation de contrats publicitaires lucratifs pour avoir publié des articles ou des documentaires critiques.

En Australie par exemple, GetUp a récemment vu une publicité payante - détaillant la propriété par Woolworth des machines de poker - retirée de (la chaîne de télévision) Channel Seven, sans explication.

Dans ses articles sur Snowden, Times a écrit que le Venezuela, la Bolivie, l’Équateur et le Nicaragua - l’alliance de gauche qui soutient Assange et Snowden - « présentent les bilans sur les droits de l’homme parmi les plus sombres de l’Amérique latine ». En réalité, cet argument ne tient pas la route à moins d’exclure tous les alliés des Etats-Unis dans la région.

Après le coup d’état appuyé par les Etats-Unis au Honduras en 2009, 25 journalistes ont été tués (jusqu’à la mi-2012). Au Mexique, 87 journalistes ont été tués au cours de la dernière décennie.

En Colombie, allié régional clé des Etats-Unis et de l’OTAN, la violence policière et paramilitaire contre des journalistes, des dirigeants communautaires et des syndicalistes est largement répandue.

Cette campagne médiatique vise clairement à discréditer les projets politiques de la gauche en Amérique latine. Dans son éditorial du 24 juin, le Washington Post a qualifié Correa de « dirigeant autocratique du minuscule et pauvre Equateur ».

Environ 27% des Equatoriens vivent dans la pauvreté, contre 37% lorsque Correa est arrivé au pouvoir. Aux États-Unis, par contre, 16% de la population vit dans la pauvreté, ainsi que 20% des enfants.

Ceci en dépit du fait que, par rapport à la population, l’économie américaine est 10 fois plus grande que celle de l’Équateur. Quel pays est donc en position de critiquer l’autre sur la pauvreté ?

Hypocrisie

Les États-Unis ont critiqué l’Equateur pour avoir accordé l’asile à Assange, mais ont refusé d’extrader les frères Isaias vers l’Equateur. Ces derniers sont des copains de finance et d’industrie qui ont volé des millions de dépôts bancaires équatoriens et se sont enfuis à Miami.

Les États-Unis ont aussi accordé l’asile à Orlando Bosch et Luis Posada Carriles, des terroristes cubains de droite qui ont posé une bombe dans un avion de ligne cubain. L’avion a explosé en plein vol, tuant 73 personnes.

Qui est le mieux placé pour critiquer l’autre ? Qui est le mieux placé pour parler de soutien aux terroristes ?

Malheureusement, la véritable histoire derrière l’affaire Snowden a souvent été perdu au milieu du vacarme. Le faux débat en cours est de savoir si la surveillance de l’Etat est justifiée dans le but de prévenir les attaques terroristes.

Le débat que nous devrions avoir est de savoir comment éviter le système mondial de surveillance qui est utilisé pour lutter contre les militants écologistes et pacifistes, et pour faciliter le pillage des contribuables et des retraites par l’industrie de la finance, qui contrôle les échelons les plus élevés des gouvernements de l’UE et des Etats-Unis.

Les militants du monde entier devraient consulter Prism-break.org et Mayfirst.org pour voir comment sécuriser leur travail en ligne.

Christian Tym
doctorant en recherches d’anthropologie politique et médicale en Equateur

source http://www.greenleft.org.au/node/54573

Traduction « on dirait qu’il y a des "antifas" aussi en Equateur » par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles

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