Bousculer les règles du jeu mondial. Depuis l’invention de l’acronyme en 2001, et encore plus depuis la crise financière, les Brics - Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud - ont concentré les espoirs de construction d’un monde multipolaire. Alors que s’ouvrait hier le cinquième sommet des émergents à Durban (Afrique du Sud), l’alliance économique est-elle pour autant parvenue à acquérir une dimension politique et à s’affranchir des recettes libérales, ou constitue-t-elle un système dans le système ?
Il est juste de rappeler, comme le fait l’édition 2013 du rapport des Nations unies sur le développement, que l’élévation du niveau de production dans ces pays, qui représentent le quart du PIB mondial, a permis de « sortir des centaines de millions de personnes de la pauvreté et d’en propulser des centaines de millions dans la classe moyenne ». La croissance a favorisé un net recul de l’extrême pauvreté qui, en vingt ans, est tombée de 43% à 22% de la population mondiale, mais les écarts de richesse vont grandissant dans un certain nombre de pays, dont la Chine est l’archétype. Et eu égard au volume de la population dans ces pays, le rééquilibrage au travers des dépenses sociales demande un net volontarisme politique. A titre d’exemple, elles ne représentent aujourd’hui que 8% en Afrique du Sud mais leur proportion a plus que doublé ces dix dernières années. Mieux, en Chine, la couverture santé est passée de 24% à 94%.
Les leçons de l’émergence de la Chine
Qu’en est-il dès lors des politiques concertées entre les Brics eux-mêmes ? Hier, ses membres annonçaient la création d’une banque commune de développement destinée à financer les infrastructures, dont le but affiché est de s’exonérer du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Pour illustrer leur démarche, les émergents ont intitulé cette rencontre : « Les Brics et l’Afrique : un partenariat pour le développement, l’intégration et l’industrialisation ». « Nous voyons les succès de la Chine comme une source d’espoir et d’inspiration. L’émergence de la Chine porte des leçons pour nous, car nous essayons de suivre son exemple », a ainsi déclaré le président sud-africain, Jacob Zuma, avant que son homologue chinois, Xi Jinping, ne lui rende la politesse sur le thème du gagnant-gagnant : « Nous considérons chacun l’autre partie comme une priorité (…) et comme une opportunité pour notre propre développement. »
Jacob Zuma n’a en revanche pas caché que la question du déséquilibre de la balance commerciale entre les deux pays constituait toujours une pomme de discorde, que certains en Afrique comparent à une nouvelle forme de colonialisme quand le flot des importations chinoises, en échange de ressources énergétiques, mine parfois l’industrie locale. Même inquiétude autour de la banque commune, dont d’aucuns craignent qu’elle ne renforce la mainmise de Pékin sur le continent. Autre projet d’envergure : la mise en réserve d’une partie de leurs réserves de change - 4.400"¯milliards de dollars, dont Pékin détient l’essentiel - afin d’intervenir en cas de crise et de se passer des fameux plans d’ajustements structurels du FMI. Les couloirs de Durban bruissaient également de la création d’une agence de notation, d’un mécanisme de réassurance, d’un conseil d’entrepreneurs. Reste à savoir sous quelles formes.
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