En principe, l’ordre capitaliste, plus que tous les autres qui l’ont précédé ou qui le côtoient depuis le XVIe siècle, révèle les liens étroits entre la politique et les intérêts économiques et sociaux de groupes et de forces représentés par les Etats et les partis.
A première vue, selon ce que nous avons de la bouche même des acteurs et de l’examen de l’histoire la plus récente, celle du siècle passé, la grande masse des citoyens du monde devrait être blindée et imperméable à la propagande impérialiste qui a fait passer cinq siècles d’esclavage colonial, de pillage et d’extermination pour une mission civilisatrice. Sur chaque piste d’une matière première - bois, cacao, caoutchouc, or, diamants, charbon, phosphate, fer, cuivre, pétrole, coton - nous retrouvons les lieux des guerres de conquête et de spoliation, les lieux des chantiers exténuants, les routes des migrations forcées vers les guerres des pays colonialistes ou vers leurs plantations et grands travaux, etc.
Pourtant cette géographie des guerres et des conquêtes, cette expérience de la domination encore si proche semblent inopérantes sur la conscience des enjeux. Bien sûr, des dizaines d’articles ont prévenu que les guerres d’agression actuelles visent à s’assurer des matières premières -essentiellement gaz et pétrole -, du contrôle de leur transport et de leur restriction pour certains clients, pour ne pas dire d’un seul client : la Chine. Cet oubli des faits historiques, de la réalité vécue la plus proche, permet aux criminels de répéter leurs crimes en se drapant dans les toges de la vertu.
Trois millions de morts au Viêt-Nam, des centaines de milliers en Irak, dont près de 600 000 enfants, l’usage unique et inutile de la bombe atomique sur les villes japonaises, l’usage unique des armes chimiques - l’agent orange - au Viêt-Nam, la préparation de coups d’Etat hautement meurtriers comme en Indonésie et au Chili, sans compter la longue suprématie de l’USAID et de la CIA (et aujourd’hui de la NED) pour le compte d’United-Fruits, I.T.T., et autres multinationales accompagnées de massacres de syndicalistes, de nonnes, de prêtres ne suffisent pas à ancrer le doute sur les intentions réelles des interventions états-uniennes. Pire, quand des articles et des militants attirent l’attention sur les vrais buts des guerres d’agression sur la Libye, la Syrie, la Serbie, etc., on sort l’arme imparable de l’accusation de « complotistes », en dépit de la liste interminable des provocations de l’incendie du Reichstag à l’incident du Golfe du Tonkin, sans oublier le capitaine Boutin qui a longuement préparé le débarquement de 1830 avant que le coup d’éventail lui serve de prétexte.
Bref, l’expérience historique et ses effets sur la conscience semblent s’évanouir avec la fin du vécu politique. Il nous est alors extrêmement difficile d’extraire le sens des événements pour la grande masse des citoyens. L’une des raisons est tout de même toute simple : « Les idées dominantes d’une époque sont les idées de la classe dominante » (Marx) et l’Empire, comme le nomme Chavez, domine sans partage depuis 1988. Pourquoi sont-elles dominantes ? La classe dominante - l’Empire dans notre cas - concentre, voire monopolise les moyens de production, de diffusion, d’« authentification » des idées et possède la maîtrise des cercles, organisations et réseaux capables de bien les fabriquer et les rendre plus qu’attrayantes.
Il a réussi, en outre, à briser toutes les structures de la mémoire populaire : partis, syndicats, clubs et associations, soit en les vidant de leurs attaches avec le passé, soit en leur substituant des ONG chargées de casser la représentation sociale en usurpant « une représentation morale » validée non par les différentes catégories sociales, mais par les médias qui appartiennent à qui vous savez. Derrière cette notion de « société civile » qui n’a rien à voir avec le concept en travail chez Hegel et Marx, c’est la mort de la société tout court par la main de ces imposteurs habiles dans le captage des subventions impérialistes. La position dominante de l’impérialisme, les moyens considérables qu’il emploie à désamorcer la mémoire historique, ses capacités à imposer les mots pour distordre les choses n’arrivent pas pourtant à refouler la crise du capitalisme qui remonte partout en termes de chômage, de désindustrialisation, de recul social, d’endettement suicidaire des Etats. La propagande réussira-t-elle à leurrer les peuples des pays impérialistes sur la réalité de la crise énorme qui les frappe comme elle a réussi à les leurrer sur les ingérences - guerrières ou pas - dans notre Tiers-Monde ?
Mohamed Bouhamidi
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