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L’EPReuve du feu

Le feu, de tous temps, a fasciné les hommes. Le feu nucléaire qu’une partie de nos congénères prétend savoir maîtriser exacerbe incontestablement la fascination. Comment expliquerait-on autrement que par l’effet paralysant de la fascination l’entêtement des gouvernements français à poursuivre contre vents et marées la construction de l’EPR ou encore la faiblesse de l’opposition au nucléaire en France malgré l’horreur de Fukushima ? L’insouciance populaire et l’opiniâtreté gouvernementale ne sauraient être expliquées uniquement par la peur du manque futur d’énergie. Si les gouvernants agissaient vraiment selon un calcul purement rationnel comme on le prétend parfois la filière électronucléaire au coût désormais exorbitant - tant au plan environnemental, social que financier - serait aujourd’hui abandonnée. Il existe sans doute peu de dossiers où toutes les cartes sont à ce point faussées. Qui saura stopper à temps la machine infernale que cache une fierté nationale tellement mal placée ?

On s’est autrefois moqué du programme Concorde, prouesse technique mais gouffre économique. On ironisait alors avec la découverte saugrenue que le seul Concorde rentable était celui qui, au Bourget, accueillait chaque année les très nombreux visiteurs venus admirer l’emblème de la réussite française. Et pour cause : cet aéronef-là ne décollait jamais. Aujourd’hui, personne n’ose rire de l’EPR. Il est fort à parier que demain nous nous retenions pour ne pas pleurer. Nous savons déjà que ce programme n’est pas un gouffre mais un abysse financier. Le chantier de Flamanville a d’ores-et-déjà pris cinq années de retard et sa facture a triplé depuis la première estimation de son coût de réalisation. La nécessité de renforcer les normes de sécurité - pourtant décrétées maximales à l’origine - après la catastrophe de Fukushima n’explique pas, loin s’en faut, ce surcoût et ce contretemps formidables. Si le programme Concorde avait été lancé quant à lui par temps de finances publiques plutôt florissantes, on ne saurait en dire autant du programme EPR qui fait entrer la France en phase de dilapidation des deniers publics. C’est ce que le groupe italien Enel, comptant pour 11% dans le projet, semble avoir enfin compris puisqu’il s’en retire. Rien n’autorise en effet à penser sérieusement que l’envolée du coût de production de l’EPR va s’interrompre, les 8,5 milliards d’euros annoncés en novembre dernier seront très probablement dépassés à mesure que de nouveaux avatars surviendront dans ce projet jugé - sauf par les nucléocrates - de plus en plus hasardeux.

Le risque de catastrophes nucléaires civiles majeures, hier réputé impossible dès lors que les meilleurs experts et systèmes de protection sont mobilisés, est aujourd’hui mis en cause. Le lobby nucléaire lui-même n’ose plus brandir le « risque zéro ». Disons, pour paraphraser le grand penseur du 19ème siècle, que le spectre de Fukushima nous hante. Il va nous hanter très longtemps : les nucléocrates ne pourront pas, comme ils l’ont fait avec Tchernobyl, compter sur l’effacement du temps ou en appeler à l’inconséquence d’un régime totalitaire. Le Japon est une démocratie et vit désormais la pire catastrophe nucléaire civile de tous les temps, du moins tant que l’avenir ne nous aura pas légué une catastrophe plus terrible encore. Oui, « l’accident » de Fukushima est toujours en cours, les autorités politiques et techniciennes étant impuissantes à y mettre un terme pour l’instant. Le fait que nos projecteurs médiatiques aient été débranchés beaucoup trop tôt et que nos journalistes manquent de la bonne énergie, celle qui oriente le regard vers ce qui dérange, ne change rien à l’affaire. Elle est démesurément dramatique. C’est même sa démesure qui nous pousse à l’oublier. Oui, des pans entiers de la population nippone sont aujourd’hui sacrifiés et toute la population le sait. Elle ne veut plus du nucléaire ! Il va être très difficile de lui imposer de nouveau. C’est bien ce dernier aspect qu’il convient de nous cacher, à nous qui croyons encore au miracle de l’énergie atomique.

Le miracle n’aura pas lieu. Il est enfin avéré que la production de l’énergie nucléaire est la plus dispendieuse qui soit. Demain, elle sera ruineuse. Chaque nouvelle catastrophe impose de relever le niveau des protections avec la certitude désormais admise que les nouveaux seuils fixés seront un jour à revoir. De plus, nos « autorités compétentes » sont incapables de chiffrer le coût de démantèlement des centrales parvenues en fin de vie. C’est sans doute la raison pour laquelle cet élément de coût, exorbitant lui aussi on l’imagine, n’est jamais pris en compte dans le calcul du coût de production de l’énergie électronucléaire. Circonstance atténuante mais non déresponsabilisante pour nos gouvernants et pour EDF : aucune centrale n’a jamais été démantelée nulle part. Brennilis, la plus petite d’entre elles pour ce qui concerne la responsabilité d’EDF, effraie toujours nos apprentis sorciers en la matière -radioactive ! -vingt ans après l’arrêt de son réacteur. Il est donc temps de mettre fin au « mensonge nucléaire ». Le décret d’avril 2007 marquant officiellement l’ouverture du chantier de l’EPR à Flamanville a donné dix ans à EDF pour réaliser le chargement du réacteur en combustible. Ce délai paraissait très raisonnable, les plus pressés le trouvait même trop long à l’époque. Des voix s’élèvent aujourd’hui qui disent leur inquiétude de voir les responsables du programme sacrifier quelque peu la sécurité afin de tenir le délai. Lorsque Mme Delphine Batho proclame que le réacteur de Flamanville démarrera le 11 avril 2017 il est évident qu’elle n’en sait fichtre rien. Elle se borne à répéter bêtement, comme ses devanciers politiques, ce que les dirigeants d’EDF lui disent, eux qui n’en savent rien non plus tant les années prochaines risquent de nous livrer un nouveau lot d’onéreuse surprises et contretemps fâcheux.

Après avoir cessé de mentir on déciderait fatalement de mettre fin à la gabegie annoncée depuis longtemps. L’on nous dit que trop d’argent a déjà été mis dans ce programme pour que l’on puisse y renoncer. Cet argument est irrecevable, pour ne pas dire irresponsable. La gravité de la situation commande de ne plus regarder le passé mais de préserver l’avenir. Renoncer, ce n’est pas perdre de l’argent de toute façon déjà dépensé mais économiser les sommes colossales qui seraient dépensé demain. Arrêter un réacteur en fonctionnement est autrement problématique que de stopper sa construction. Et que dire du coût humain épargné ?Le pouvoir politique aura-t-il l’intelligence et le courage nécessaires pour affronter cette décisive « épreuve du feu » ?

Yann Fiévet

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