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Le blasphème : un Droit de l’Homme ?

Philippe Braud vient de publier, sur le site du Nouvel Observateur, un texte sur l’impossibilité du droit au blasphème. Il s’annonce comme « sociologue politique » et « expert ». De fait, Philippe Braud eut un parcours remarqué de professeur de droit.

Je ne suis ni sociologue, ni politique, ni surtout expert, mais je dirai que sa démarche est, à mes yeux, inacceptable. Et totalement cul serré. D’abord, il feint de s’interroger sur l’élévation de ce droit au niveau d’un Droit de l’Homme. Cette question n’avait jamais été posée par quiconque avant lui. Je cite le début de son analyse :

« A en croire certains propos tenus ces jours-ci la liberté d’expression ne saurait être soumise à la moindre limite. Un droit inaliénable et sacré, absolument intangible ; mieux encore, un dogme sur lequel veillent de sourcilleux ayatollahs qui surenchérissent avec une belle emphase sur ses implications. »

La France est une république indivisible et laïque. C’est dire que, premièrement, elle ne connaît pas les ethnies ou les communautés - uniquement des citoyens égaux - et que, deuxièmement, les droits (d’expression ou autre) n’ont rien de « sacré ». La République française ne connaît que les lois humaines, pas la transcendance. Jamais les journalistes de Charlie Hebdo (ou d’autres) n’ont demandé « l’inscription du droit au blasphème dans une Déclaration universelle des Droits de l’Homme. » Ils veulent rappeler que dans la France, justement, des Droits de l’Homme, il est parfaitement légal de critiquer, de se moquer des religions, de mettre en doute l’existence de dieu ou du caractère sacré de tel ou tel personnage plus ou moins historique. Si, comme moi, Philippe Braud, passait du temps à visiter les églises et les cathédrales, il verrait à quel point l’Église a su se moquer d’elle-même dans les lieux de culte même.

Je poursuis la citation :

« La liberté d’expression peut faire mal, et même très mal ; infliger des souffrances inouïes, humilier, salir. Même les ayatollahs occidentaux le comprennent parfaitement quand il s’agit de protéger le droit à la dignité des femmes modernes, celui des homosexuels ou des handicapés ; on l’admet aussi, sauf les amis de Jean-Marie Le Pen, quand il s’agit de prohiber l’expression de propos négationnistes qui insultent la mémoire des victimes de l’Holocauste. »

Ici, Philippe Braud établit un parallèle malhonnête entre la critique des croyances religieuses et le négationnisme. L’extermination des Juifs est un fait (même si l’on peut douter de l’efficacité ou du bien-fondé des lois antinégationnistes). Dire que Jésus est dieu, que Mahomet est le prophète de dieu ou que Moïse reçut la parole de dieu, relève de croyances, de paris.

Ensuite, Philippe Braud affirme qu’à un moment M de leur histoire, « les Européens » ont soudain découvert les conséquences de « la » littérature antisémite, se sont sentis coupables et ont pris conscience de la violence des persécuteurs :

« Quand les Européens ont découvert les conséquences de la littérature antisémite, ils ont éprouvé un sentiment parfaitement justifié de culpabilité. Sortant du "village national" qui était jusqu’ici le leur, ils ont pris conscience de la violence symbolique qui pouvait ravager leurs relations mutuelles, et engendrer une double violence physique : celle des persécuteurs, d’autant plus facilitée qu’ils avaient appris à mépriser leurs victimes ; celle des humiliés et offensés dont certains ont répondu par la violence physique à la violence symbolique subie. »

De l’art de simplifier et de se donner bonne conscience. L’extermination des Juifs en Allemagne, puis ailleurs, n’eut pas besoin de littérature antisémite pour se justifier. L’antisémitisme n’a pas disparu avec l’ouverture des camps d’extermination et de concentration. Avancer qu’il y aurait une production culturelle antisémite et une autre philosémite est simpliste : tout dépend où l’on situe le curseur : lorsqu’Hergé publie Tintin en Amérique, lorsque sort sur les ondes la chanson " Le lycée Papillon " , ces deux oeuvres ne sont nullement perçues comme antisémites. Or, elles le sont explicitement pour partie.

Puis, Philippe Braud sort le mouchoir de Madame Michu : « Si l’on peut rire (et ricaner) de tout, on ne le peut pas n’importe où. Rire de la mort, mais pas devant des parents accablés par la mort d’un enfant ; rire des mésaventures de DSK mais pas devant Anne Sinclair ; rire de la religion mais pas pendant le déroulement d’une cérémonie à Notre Dame de Paris. »

Mais si, on peut. Je dirais même qu’il le faut. La dernière fois que j’ai assisté à l’enterrement d’un enfant (il s’agissait d’un jeune qui s’était suicidé), j’ai ri après la mise en terre, avec ses parents, de tout et de rien. Pas du suicide de leur fils, bien sûr. Ce rire libéra ces gens accablés. Pour ce qui est du couple Anne Sinclair/DSK, que connaît Philippe Braud de leur vie intime avant l’épisode du Sofitel ? Comme moi : rien. Suis-je le seul à avoir réagi, en riant en mon for intérieur, devant l’image (« l’image », Monsieur le Professeur) d’Anne Sinclair en madone hiératique, en statue de cire aussi impassible qu’irréelle ? Quant à rire de la religion, il ne viendrait pas à l’esprit de l’athée que je suis de jouer du tambour dans une église au moment d’un service religieux. Mais pourquoi me faudrait-il être plus compassé devant des fidèles catholiques que devant des adorateurs de l’oeuf dur ou des scientologues ?

« La liberté d’expression ne doit pas avoir de limites quand il s’agit d’avancer des thèses rationnelles », écrit Philippe Braud. Mais qu’est-ce qu’une thèse rationnelle ? Au nom de la raison et de la science, le monde occidental et rationnel a énoncé mille inepties, parfaitement démontrées (du temps de nos grands-parents, cher Philippe Braud, le Titanic avait été décrété insubmersible et, quand nous étions enfants, il s’affirmait tranquillement que les bébés ne ressentaient pas la douleur). Inversement, moi qui ai vécu dans des pays fortement islamisés, j’ai entendu des hommes parfaitement normaux, gentils, éduqués m’expliquer sans haine que leur religion était supérieure aux autres religions du Livre et que les hommes étaient seuls responsables de leur descendance puisque les femmes n’étaient que des vases en attente de semence.

Bref, avec ce texte, Philippe Braud nous ramène 250 ans en arrière quand, en France, les discours sacrés et profanes ne faisaient qu’un, à l’époque où, oint, le roi était un personnage sacré qui guérissait les malades en les touchant, quand Voltaire croyait dur comme fer que s’il y avait des fossiles d’animaux marins dans des régions montagneuses, il s’agissait de reste de nourriture abandonnés par les croisés lors de leurs pérégrinations. Quant aux grands-parents de Philippe Braud, je ne serais pas étonné que, comme les miens, ils aient soigné leurs problèmes respiratoires en buvant de l’eau radioactive. Qu’aurait-on dit d’un Charb de l’époque qui se serait esclaffé devant une telle croyance et une telle pratique ?

Un dernier mot sur le blasphème : en France, brûler le drapeau tricolore est passible de six mois de prison. Distribuer des photos représentant la profanation de ce drapeau est un délit. Mais pas aux États-Unis, ni au Royaume-Uni, ni en Irlande, ni même en Israël. En revanche, en Arabie Séoudite, cet acte est sévèrement puni car le drapeau contient la profession de foi des musulmans.

Chacun voit donc midi à sa porte.

http://bernard-gensane.over-blog.com/

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