RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Vu à la télé

Ce texte est une fiction. Toute ressemblance avec des faits ou des personnages existant ou ayant existé...

Des dizaines d’hommes font la queue à l’entrée d’une usine. Ils grelottent depuis cinq heures du matin dans le froid perçant de l’hiver austral, attendant une hypotétique embauche à la journée. De quoi gagner quelques pesos argentins, ou dollars, ou ce qu’on voudra bien leur donner pour subsister jusqu’au lendemain.

La caméra filme lentement, les uns après les autres, les visages souvent hirsutes -toujours graves- des chômeurs. Devant leur téléviseur, d’autres chômeurs et leurs familles observent leurs semblables défiler et attendent dans un silence pesant, le moindre mouvement de caméra.

Soudain, tout chancelle. Zoom avant sur le visage amaigri -mais assez photogénique tout de même- d’un jeune homme agé d’une vingtaine d’années. Les coeurs battent la chamade devant le petit écran. Le garçon semble d’abord surpris, puis dubitatif, presque méfiant. Néstor Ibarra, présentateur vedette de Canal 13, vient de s’approcher de lui, lui tend un micro, lui serre énergiquement la main, lui demande comment il s’appelle. Son nom est Ernesto Padilla. Petit à petit, Ernesto comprend, ébauche un sourire, il n’ose y croire. Car il s’agit bien de Néstor Ibarra, bel et rassurant quinquagénaire, élégant costume gris, patriotique cravate bleu-ciel sur une impeccable chemise blanche. Jusqu’à présent, il n’avait rencontré que ses collaborateurs. Emotion chez le téléspectateur et surtout chez la télespectatrice. Il est si jeune, si chanceux. Comme sa mère doit être heureuse et fière de lui !

Car ce soir, il ne seront que deux. Deux chômeurs sélectionnés par Néstor Ibarra et son équipe pour participer à l’émission « Recursos Humanos » (« Ressources Humaines »), sponsorisée par une chaîne d’hypermarchés.

Bienvenue à l’émission « Recursos Humanos », un nouveau jeu télévisé argentin où les participants se disputent non pas une voiture ou un voyage à l’Ile Maurice, mais un travail.

Chacun des concurrents doit convaincre le public de voter pour lui en appelant un numéro de téléphone pour lui faire gagner l’emploi mis en jeu. Ce soir, il s’agit d’un poste de gardien de nuit dans une salle de musculation-fitness de grande renommée, située dans un quartier chic de la capitale. Avant que la compétition ne débute et entre deux pauses publicitaires, la chaîne diffuse les portraits des protagonistes, filmés chez eux.

Ernesto vit dans un des quartiers Nord de Buenos Aires. Il rêve de devenir électrotechnicien et a perdu son emploi de coursier il y a un an déjà . Il nous explique que sa mère est sur le point de perdre sa maison, son pauvre salaire de femme de chambre ne suffisant plus à rembourser son crédit à la banque.

« Cela me brise le coeur de la voir pleurer lorsqu’elle se retrouve seule dans sa chambre ou dans la cuisine. Elle n’arrive pas à s’en sortir et moi, je ne peux rien faire pour l’aider. A vingt-deux ans, je me sens inutile, bon à rien » dit Ernesto.

Son concurrent -Santiago Delgado, 28 ans- est également désespéré. Ses larmes bouleversent le public lorsqu’il parle avec sa maman depuis le studio de Canal 13 en direct et par liaison satellite. Elle l’appelle du Sud du pays et cela fait plus d’un an qu’ils ne se sont vus, depuis qu’il a quitté la modeste maison familiale pour rejoindre la capitale. Elle regrette de ne pouvoir aider davantage son fils.

Ernesto et Santiago sont ce soir les deux finalistes. Selon le poste mis en jeu, il peut y avoir jusqu’à mille postulants aux présélections qui ont lieu quelques jours avant l’émission. Au cours de celle-ci, des spots publicitaires vantant les mérites de l’entreprise qui offre l’emploi sont diffusés gratuitement par la chaîne de télévision.

Et ce soir, la générosité de Canal 13 est bien récompensée : en direct, le directeur des ressources humaines de la société propriétaire de la salle de musculation annonce qu’il a décidé d’embaucher Ernesto et Santiago. Les deux jeunes gens tombent dans les bras l’un de l’autre, au comble du bonheur. Néstor Ibarra, le présentateur vedette en a les larmes aux yeux. Sa joie sincère et simple émeut le pays tout entier. Il explique que l’emploi devrait être un droit pour tous, que les généreuses entreprises argentines devraient se voir accorder les moyens d’embaucher tous les chômeurs, que la vie serait plus belle si son émission n’avait pas lieu d’être…

Ce soir, les deux concurents ont gagné. Happy end pour deux chômeurs argentins. Pub finale pour la chaîne d’hypermarchés. A demain 19 heures, comme tous les soirs du lundi au vendredi sur Canal 13.

Parfois la réalité rejoint -voire dépasse- la fiction.

Sites à ne pas rater (en espagnol) :

Canal 13

cnn en espagnol


URL de cet article 163
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

L’ÉCONOMIE MONDIALE A BOUT DE SOUFFLE L’ultime crise du capitalisme ?
Jean Baumgarten
L’économie mondiale à bout de souffle se consacre à l’analyse de la crise qui traverse le monde et est partie des États-Unis en 2007 : elle est loin d’être terminée et va dans les prochains mois prendre de nouveaux développements. L’auteur commence par épingler les économistes « attitrés » qui se sont trompés et continuent de tromper le monde. Il analyse la longue dépression de 1929 en montrant que la crise actuelle en valeur est largement supérieure, et en utilisant la méthode marxiste il démontre qu’il y a (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes.

Karl Marx

Comment Cuba révèle toute la médiocrité de l’Occident
Il y a des sujets qui sont aux journalistes ce que les récifs sont aux marins : à éviter. Une fois repérés et cartographiés, les routes de l’information les contourneront systématiquement et sans se poser de questions. Et si d’aventure un voyageur imprudent se décidait à entrer dans une de ces zones en ignorant les panneaux avec des têtes de mort, et en revenait indemne, on dira qu’il a simplement eu de la chance ou qu’il est fou - ou les deux à la fois. Pour ce voyageur-là, il n’y aura pas de défilé (...)
43 
Appel de Paris pour Julian Assange
Julian Assange est un journaliste australien en prison. En prison pour avoir rempli sa mission de journaliste. Julian Assange a fondé WikiLeaks en 2006 pour permettre à des lanceurs d’alerte de faire fuiter des documents d’intérêt public. C’est ainsi qu’en 2010, grâce à la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, WikiLeaks a fait œuvre de journalisme, notamment en fournissant des preuves de crimes de guerre commis par l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Les médias du monde entier ont utilisé ces (...)
17 
Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
69 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.