« Niveau écarlate », « vigipirate », « massacre », « terrorisme », « morts », « juifs », « fusillade », voilà les mots-clés qui vont faire sensation sur internet dans les jours qui viennent… Quelle pitié ! alors que l’horreur a encore frappé ces derniers jours après les meurtres de militaires qu’on dit « maghrébins » et celui de personnes innocentes qu’on dit « juives », nos bons politiciens, comme leurs complices journalistes, se jettent tous ensemble, comme des oiseaux nécrophages, dans la bataille de récupération, d’instrumentalisation qui suit d’ordinaire les faits divers à l’approche d’échéances électorales… Ils disent ne pas vouloir d’un « nouveau Carpentras »bien sûr, mais ils ont tout de même sorti aussitôt leurs larmes les plus chaudes, plaignant les familles et promettant des sanctions. Chacun ira bien entendu de sa proposition de loi pour lutter contre ces violences (lorsqu’il sera élu) dont on nous dit un jour qu’elles se font plus rares et un autre qu’elle se font plus nombreuses…
Mais en réalité, ils n’en ont rien à faire de tous ces innocents. Pas plus que de ceux qui se suicident au travail ou de ceux qui meurent de faim. Car les morts ne votent pas, n’achètent pas les journaux, tandis que les familles apeurées par la couleur « écarlate » (celle du sang) du plan vigipirate oui. Bien sûr, comme chacun de nous, ils considèrent ces actes odieux comme inacceptables, mais comme nous aussi ils ne ressentent pas la peine que les familles et les proches des familles ressentent (et c’est bien normal, la nature humaine est ainsi faite)… Mais contrairement à nous ils font semblant.
Ils font semblant aussi de croire que le terrorisme est de retour, que nous sommes tous en danger, que « ça peut arriver à tout le monde », alors qu’ils savent très bien d’une part que de tels actes sont spontanés, isolés et très rares, et d’une autre qu’ils sont pratiquement incontrôlables. Ce qui compte pour eux n’est pas d’éviter le fait divers (cela est impossible), mais de s’en servir pour gagner des voix. Et s’il faut pleurer, crier ou promettre n’importe quoi devant les caméras pour y arriver, ils le feront. Et s’il faut appeler un fait divers un attentat terroriste pour faire monter la pression, alors il n’y a aucune hésitation à avoir : les adeptes du « qui veut la fin veut les moyens » (parmi lesquels on compte beaucoup d’hommes politiques) iront jusqu’au bout de l’amalgame.
Des éditions spéciales, des témoignages de témoignages, des « suivez les infos en direct », des titres « bien sentis », des images « choc », voilà toute la compassion, tout le respect dont bénéficieront les victimes et leurs proches ; doublement victimes en réalité, car ils verront leur douleur utilisée à des fins électoralistes ou mercantiles, leurs morts maintenus artificiellement en vie pour quelques heures ou quelques jours, le temps que le « buzz » passe et que la nuée de rapaces trouve d’autres drames à se mettre sous la dent. Chacun y trouvera son compte à la fin, car d’un point de vue strictement « tactique » ce genre de malheurs est une aubaine pour nos politiques, ceux-là même qui, avec la complicité des médias, utilisent la violence et la mort pour prospérer…
Pourtant, ce sont justement eux les véritables coupables de ces horribles faits divers, car ils sont responsables des fous que la société engendre, des armes qu’elle vend, des souffrances qu’elle crée…et surtout des drames qu’elle s’apprête à produire. Car s’il est facile d’accuser la folie d’un homme seul, il sera plus difficile de l’expliquer s’il n’est pas fou… A force de jouer avec le feu (stigmatisation de certaines religions, de certaines communautés, misère sociale et misère tout court…) on en vient à créer les conditions qui permettent à la folie de s’installer. Reste à savoir si le tueur est « vraiment » fou (dans le sens « irresponsable »), et en ce cas on ne peut parler ni d’attentat ni de terrorisme. Mais s’il ne l’est pas, c’est alors la société qu’il faudra bien accuser, car c’est elle qui l’a créé.
En attendant, on suppute déjà des militaires musulmans et des écoliers juifs tués par un même homme, sans paraître se rendre compte de la portée symbolique d’un tel fait (s’il est avéré) : quoi de mieux en effet pour monter les uns contre les autres ? En sur-médiatisant ce drame, en reprenant les rumeurs et en instrumentalisant la douleur des victimes, la société s’apprête à engendrer les monstres qu’elle redoute : selon que l’on considère ce drame comme un fait divers ou comme un fait de société, les communautés touchées (de près ou de loin) par sa récupération politicienne deviendront alors un instrument de propagande au service de la peur et de la haine entre les hommes… Imaginez que le coupable se trouve encarté au FN, et jamais Madame Le Pen ne pourra se trouver au second tour ! Imaginez qu »il se trouve à l’UMP et il sera déclaré fou, et s’il est au PS on le dira victime du discours des deux premiers ; et si enfin c’est un « marginal » (il faudra un jour qu’on nous dise qui ils représentent), on accusera alors le laxisme du PS, etc…
Et c’est bien contre cette surmédiatisation, contre cette récupération politicienne qu’il faut lutter, car elle risque fort de provoquer les violences contre lesquelles nos hommes politiques sont censés lutter, comme le prouvent les drames qui se réalisent aujourd’hui, conséquences d’autres médiatisations précédentes qui ont porté leur immonde fruit jusqu’au cerveau fragile d’un déséquilibré qui sans doute possède chez lui… une télé.
Ces hommes qui font semblant me dégoûtent, car non seulement ils se moquent du malheur des autres, mais en plus ils l’utilisent à des fins personnelles… Mais le pire dans tout ça, c’est que leurs mensonges, leurs amalgames, leur hypocrisie sont le ferment qui permet aux médias de diffuser dans tous les foyers la peur et la haine, portant ainsi la responsabilité et des drames passés, et de ceux à venir…
Caleb Irri
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