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Je n’irai pas voir Le Cochon de Gaza

Dans son livre : Le Bombardement éthique (2000), le philosophe italien Costanzo Preve analyse l’idéologie néo-libérale, dont il considère le judéo-centrisme comme le noyau. Avant de commencer son travail critique, il veut cependant écarter une formation idéologique qui se présente comme la continuation des Lumières et se donne pour but de démasquer "l’imposture" : le laïcisme.

Certes, jusqu’au XVIIIe siècle, la religion fonctionnait comme légitimation d’un système social inégal et injuste (le système féodal) ; mais aujourd’hui, elle est devenue marginale par rapport au système de légitimation, qui s’est déplacé du terrain religieux au terrain économique. Aujourd’hui, les croyances religieuses sont, idéologiquement, inoffensives (même si elles peuvent toujours être instrumentalisées pour des raisons politico-économiques). Démasquer "l’imposture", aujourd’hui, demande qu’on s’en prenne à la croyance au marché, à la liberté d’entreprise (cf Ken Loach : It’s a free world), à la mondialisation heureuse et à la réécriture (proprement révisionniste) de l’Histoire à partir du judéocentrisme (sacralisation d’Auschwitz, d’Israël et justification subséquente de toutes les guerres israélo-américaines).

Le laïcisme aujourd’hui, loin de l’esprit des Lumières, sert donc, d’une part, à masquer les vrais problèmes, d’autre part, à discréditer le christianisme, et surtout l’Islam, toujours présenté comme obscurantiste et fanatique, "ennemi des Lumières". Cette idéologie se manifeste notamment à travers le cinéma.

Tout récemment, sont sortis sur les écrans deux films relevant du laïcisme : Laïcité inch’Allah, de Nadia el Fani, présentée dans l’Officiel des spectacles comme une "cinéaste franco-tunisienne athée" (depuis quand les auteurs déclarent-ils ainsi, en préambule, leur obédience religieuse ?) ; la critique ne semble pas tenir à défendre ce film, tant il est confus, et contredit par les faits (la révolution tunisienne n’est pas un phénomène religieux, ni anti-religieux). Par contre, Le Cochon de Gaza, de Sylvain Estibal, fait l’objet d’une campagne publicitaire lourde. Le site Evène multiplie les expressions enthousiastes : le "projet le plus gonflé de l’année", une "fable pacifiste", qui "bouscule les à priori politico-religieux" et "renvoie dos à dos les communautarismes de toutes obédiences" (on devine sous ce
pluriel hyperbolique un singulier !). L’auteur lui-même se donne pour objectif de dénoncer "l’absurde" et de "faire rire les deux camps" et le Canard Enchaîné abonde en ce sens : c’est "un grand moment de comique".

On reconnaît là le discours du politiquement correct médiatique : le conflit israélo-palestinien ? il oppose deux peuples qui ne demandent qu’à se donner la main. Qu’est-ce qui les empêche de se reconnaître comme frères et de vivre paisiblement ? Le communautarisme et les préjugés religieux. Le tout est emballé dans la logique de la symétrie : les deux camps sont critiquables et doivent faire des efforts. Dans le film, cela donne un pêcheur palestinien qui, découvrant dans ses filets un cochon, surmonte ses préjugés religieux ("c’est un animal impur") et décide de l’exploiter économiquement en s’associant à un juif : voilà la solution qu’Estibal propose aux Palestiniens pour résoudre le conflit : rejeter leurs "préjugés" religieux, c’est à dire l’identité musulmane, et collaborer économiquement, à 50/50, avec Israël.

Mais la réalité est totalement occultée : sans parler des difficultés des pêcheurs pour travailler dans un espace maritime totalement contrôlé par les Israéliens ; où est la symétrie entre un Etat qui dispose de toute la puissance économique (même en déclin), diplomatique et militaire de l’hyper-puissance mondiale et les quelques confettis et bantoustans palestiniens, ghettos qu’Israël peut asphyxier et bombarder à tout moment ?

L’auteur se donne comme "source d’inspiration" Chaplin - celui, bien sûr, du Dictateur (1940) dont il faut se rendre compte que c’est un film de propagande sioniste : au dénouement, les Juifs se dirigent avec béatitude vers la "Terre promise", le futur Etat d’Israël, en poussant leurs charrettes, dans le style "pionniers du Far West". Le Cochon de Gaza nous renvoie aussi, ne serait-ce que par la présence de l’acteur principal Sasson Gabai, à un film israélien sorti en 2007 : La Visite de la fanfare, qui prônait la fraternisation entre Israéliens et Egyptiens, tous de braves gens pris dans les mêmes problèmes de la vie quotidienne et sentimentale. Quatre ans après, la révolution égyptienne vient rappeler la réalité : les Egyptiens ont condamné la politique de collaboration de Moubarak avec Israël, qui avait fait passer l’Egypte sous la coupe d’Israël.

Le Cochon de Gaza vient à point pour dédramatiser la situation, banaliser Israël en en donnant une image bonhomme et rassurante, au moment de la demande à l’ONU d’un Etat de Palestine. Mais c’est seulement quand la situation sera égale au moins d’un point de vue politique (deux Etats) qu’on pourra envisager de rire et de s’écrier : "Embrassons-nous, Folleville !"

Rosa Llorens

Rosa Llorens est normalienne, agrégée de lettres classiques et professeur de lettres en classe préparatoire. Elle a la double nationalité française et espagnole.

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