« On a tort de penser que le terrorisme serait l’instrument des faibles. Comme la plupart des armes meurtrières, le terrorisme est surtout l’arme des puissants. Quand on prétend le contraire, c’est uniquement parce que les puissants contrôlent également les appareils idéologiques et culturels qui permettent que leur terreur passe pour autre chose que de la terreur. » -Noam Chomsky, (Terrorisme, l’arme des puissants dans le Monde Diplomatique, décembre 2001)
Mercredi 7 et jeudi 8 septembre Alger abritait une conférence sur le terrorisme. Les participants à la conférence d’Alger sur le Sahel se sont dits, déterminés à lutter contre le terrorisme et la criminalité démultipliés par la crise libyenne, mais en réclamant un soutien accru de la communauté internationale. Le ministre algérien chargé des Affaires maghrébines et africaines a évoqué, pour sa part, la nécessaire collaboration à venir avec les autorités de la « Nouvelle Libye ». « La Libye est un pays voisin. Nous n’allons quand même pas déménager. Il faut composer avec », « Nous partageons beaucoup avec la Libye et nous jouerons notre rôle de pays frère », souligne-t-il.
Pour l’Algérie et pour les autres pays présents lors de cette conférence sur le Sahel, il importe que la Libye se normalise, qu’elle se mette aux standards internationaux de gouvernance et qu’elle prenne à bras-le-corps les problèmes sécuritaires. Beaucoup d’armes circulent depuis l’éclatement du conflit. Cela a été dit et répété en séance plénière et le danger est pris très au sérieux. La sécurité régionale est en effet l’affaire de tous dans la mesure où il s’agit d’un même territoire : le Sahara. Les quatre pays au coeur de la lutte contre le terrorisme au Sahel observent donc attentivement leur voisin libyen tout comme la Tunisie en pleine transition politique.
Le général Carter Ham, Haut commandant des forces américaines pour l’Afrique (Africom), et Shari Villarosa, membre du bureau de coordination antiterroriste du département d’Etat américain, ont souligné que le terrorisme et ses connexions demeurent une « inquiétude partagée », appelant à la conjugaison des efforts de tous les pays pour y faire face. Considérant que l’approche militaire ne saurait à elle seule éliminer la menace terroriste, Ham et Villarosa ont plaidé pour une « stratégie plus développée » basée sur la « diplomatie, défense et développement ».
Qu’est-ce que le terrorisme ?
Avant de traiter des causes du terrorisme nous allons d’abord donner quelques définitions du terrorisme. Ce terme désigne la violence politique (attentats, conflits asymétriques, assassinats politiques, etc. ). Son concept est critiqué par des chercheurs, en général ou dans des cas spécifiques, le terme étant jugé subjectif et comme servant à retirer toute légitimité et tout aspect politique aux groupes ou aux actes auxquels il est appliqué. Les techniques utilisées, la nature du sujet (mettant à part le terrorisme d’État), l’usage de la peur, le niveau d’organisation, l’idéologie. Pour éviter le « piège » sous-jacent à ne pas faire abstraction de la légitimité ou non de l’acte et qui est rappelé par le cliché qu’« un terroriste pour l’un est un combattant de la liberté pour l’autre », une approche est de se focaliser sur les « objectifs opérationnels » et non pas sur les « objectifs politiques ». Depuis les années 1990, le terrorisme qualifié d’islamiste a pris une place croissante sur la scène internationale. Ses auteurs le justifient notamment comme une réponse apportée à la situation politique en Palestine, en Irak, en Afghanistan suite à l’intervention américaine. (1)
Une autre cause de révolte réside dans l’agression étrangère permanent à laquelle sont soumis certains peuples (occupation des territoires palestiniens, guerre contre l’Irak, interventions militaires multiples un peu partout dans le monde, notamment dans le Monde arabe). L’impuissance face à la brutalité et à l’arrogance de l’agresseur conduit infailliblement à des actes de désespoir. Le terrorisme est donc souvent - mais pas toujours - un signe de faiblesse qui se manifeste lorsque tous les autres moyens de lutte collective sont inexistants ou inefficaces. Il émane en général d’une organisation, aussi rudimentaire soit-elle, et n’est que rarement l’acte d’un individu isolé. Dans son préambule, la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU reconnaît implicitement le droit « à la révolte contre la tyrannie et l’oppression ».
Dans un monde orwellien où les puissants prétendent agir au nom de la « démocratie » et des « droits de l’homme », où la mise en condition de la population est permanente, et où l’on peut faire croire n’importe quoi à n’importe qui, dès lors qu’on dispose des médias, l’histoire remet rarement les choses en place. Pour un Nelson Mandela -ancien « terroriste » - réhabilité en 2008 de toute accusation de terrorisme, combien d’autres conservent cette estampille infamante, à commencer par Yasser Arafat. Les actes terroristes sont habituellement le fruit de groupes restreints, secrets, organisés selon des principes militaires ou quasi militaires. Ici, terrorisme s’oppose à révolution, qui suppose des mouvements de masse (exemple : les Brigades rouges en Italie). Dans certains cas, les mouvements peuvent combiner le terrorisme à d’autres formes d’actions politiques comme c’est le cas des mouvements palestiniens qui se battent pour leur terre en face d’un terrorisme d’Etat
Le terrorisme, un fonds de commerce qui permet toutes les dérives des Etats
On se souvient que dans le sillage de la destruction des tours jumelles du WTC, les Etats-Unis ont mis en place le Patriotic Act qui restreint les libertés. Il sera suivi en Europe de législations toutes plus liberticides les unes que les autres. George W. Bush a parlé à plusieurs reprises de « guerre contre le terrorisme ». « En Irak, il a affirmé avoir aussi envoyé ses troupes pour éradiquer cette menace. On a vu le résultat : il y a plus de terrorisme sur les bords du Tigre et de l’Euphrate, et même dans le reste du monde, qu’il n’y en eût jamais quand Saddam Hussein exerçait le pouvoir.
On présente l’Islam comme responsable du terrorisme. Ceux qui croient l’Islam cause quasi exclusive du terrorisme, perçoivent plus ou moins consciemment tous les musulmans comme un danger global. Ils parlent de « guerre de civilisations », à la manière de Samuel Huntington. Cette façon d’interpréter la réalité conduit à ranger les individus dans deux camps : d’une part, l’Occident, « civilisé » et déclaré chrétien. D’autre part, l’ensemble musulman, barbare et mauvais. Les guerres se préparent toujours de cette manière, les idéologues suscitant une vision manichéenne du monde et diabolisant celui dont on a décidé de faire l’ennemi. En fait, il n’en est rien, l’ennemi de la civilisation est le néolibéralisme sans visage qui lamine les faibles quelles que soient leurs latitudes.
Dès l’origine, il y a bien deux poids et deux mesures dans la manière d’appréhender cette question, tant pour ce qui est de la « couleur » du terrorisme que pour l’échelle à laquelle il se pratique (ce que le politologue américain Michael Parenti appelle « wholesale terrorism » et « retail terrorism » = terrorisme en gros ou au détail - ou comme on dit : ’’le terrorisme d’Etat est au terrorisme groupusculaire ce que la grande distribution est au petit commerce’’). (2)
On peut penser que le terrorisme a été boosté après le discours de Bush en septembre 2002. George W. Bush dévoile dans un document officiel le programme de stratégie de sécurité nationale que son administration compte défendre. Il y réaffirme la volonté de son pays à gagner la guerre contre le terrorisme. Le président Bush affirme que la guerre au terrorisme ne fait que commencer. Il exprime son intention de privilégier l’action militaire, incluant les frappes préventives, pour gagner cette guerre. La doctrine Bush marque un virage important dans la politique étrangère américaine. Pour la première fois, les États-Unis annoncent qu’ils ne permettront pas que leur suprématie militaire soit défiée comme elle le fut pendant la Guerre froide. Cette doctrine redéfinit en profondeur la stratégie de défense américaine afin d’assurer qu’aucune attaque-nucléaire, chimique, biologique, etc. - ne puisse être lancée contre les États-Unis. Dans cette optique, tout pays qui n’agit pas contre des groupes de terreur à l’intérieur de ses frontières sera dans un état de guerre virtuel avec Washington. Se basant sur le principe du droit à l’autodéfense, Bush fait de ces frappes un élément central de sa doctrine. L’intervention en Irak y trouve sa justification. Derrière cette vision, se dessinent aussi les visées des néo-conservateurs qui souhaitent remodeler le Moyen-Orient. (3)
Un nouveau gouvernement du monde qui a besoin du terrorisme pour s’installer
Inexorablement, une nouvelle architecture mondiale se met en place. Elle fait fi de la dignité humaine. Dans une première étape, ce sont les pays arabes qui vont être laminées car ils détiennent cet excrément du diable, selon le mot du président Chavez qu’est le pétrole. Parallèlement en Occident, on lamine l’Etat nation qui devient de plus en plus évanescent au profit d’une privatisation sauvage. Le nouveau gouvernement mondial c’est d’abord les finances avec le FMI, la Banque mondiale, c’est ensuite le commerce avec l’OMC, c’est aussi la Cour pénale internationale pour les « Etats voyous ». C’est aussi le super-ministère de la propagande à travers des médias « aux ordres du Nouvel Ordre » (Fox News, CNN, et les valets européens ((France 24) et arabes Al Jazeera). Pire, des journaux catalogués à gauche en rajoutent, c’est le cas du journal Le Monde et du Nouvel Observateur. . .
Justement et comme l’écrit à juste titre le journaliste allemand Jürgen Elsässer (dans le quotidien Junge Welt) : « La presse a atteint un tel niveau de schizophrénie que le public est depuis longtemps incapable d’y voir clair. D’un côté (Srebrenica), on présente les musulmans comme des victimes par excellence ; de l’autre (attentats de Londres), ils sont tous classés dans la catégorie des « natural born killers ». On offre simultanément au lecteur deux images totalement contradictoires de l’Islam : ici, cible innocente d’un « fascisme » serbe particulièrement brutal ; là , source monstrueuse d’un « fascisme » aussi brutal, voire plus brutal encore : « l’islamo-fascisme ».
C’est enfin le bras armé : l’Otan. Dans ce cadre, le Sommet de l’Alliance atlantique, qui s’est tenu à Lisbonne les 19 et 20 novembre 2010, a adopté le nouveau Concept de l’Otan. La nouvelle doctrine concrétise rien moins qu’un nouveau gouvernement planétaire, sorte d’Arche de Noé pour 47 Etats qui seront « sauvés ». Des milliards de dollars vont être dépensés en pure perte alors que la famine menace 1 milliard de personnes. Le budget de l’Otan est de près de 250 milliards de dollars. L’ONU demande un don de 100 millions de dollars pour lutter contre le choléra qui fait des ravages en Haïti. Quelles sont les menaces considérées comme prioritaires ? Toujours la menace terroriste, la piraterie et la prolifération nucléaire, mais d’autres priorités sont fixées : se défendre contre les risques de cyberattaques qui peuvent provoquer la paralysie d’un pays (et la sécurité des voies d’approvisionnement par pipelines ou maritimes). (4)
Dans le même ordre des guerres du futur, Jacques Derrida pense que la frontière entre guerre et terrorisme devient de moins en moins pertinente. Il écrit : « Il faut savoir que cela tient au savoir, c’est-à -dire à la techno-science. C’est la techno-science qui brouille la distinction entre guerre et terrorisme. A cet égard, comparé aux possibilités de destruction et de désordre chaotique qui sont en réserve, pour l’avenir, dans les réseaux informatisés du monde, le « 11 septembre » relève encore du théâtre archaïque de la violence destinée à frapper l’imagination. On pourra faire bien pire demain, invisiblement, en silence, beaucoup plus vite, de façon non sanglante, en attaquant les networks informatiques dont dépend toute la vie (sociale, économique, militaire, etc. ) d’un « grand pays », de la plus grande puissance du monde. Un jour, on dira : le « 11 septembre », c’était le (« bon ») vieux temps de la dernière guerre. C’était encore de l’ordre du gigantesque : visible et énorme ! Quelle taille, quelle hauteur ! Il y a eu pire depuis, les nanotechnologies en tous genres sont tellement plus puissantes et invisibles, imprenables, elles s’insinuent partout. Elles rivalisent dans le micrologique avec les microbes et les bactéries. Mais notre inconscient y est déjà sensible, il le sait déjà et c’est ce qui fait peur ». (5)
« Le Rapport de novembre 2010 de Lisbonne précise que « l’Otan a tout intérêt à protéger les axes vitaux qui alimentent les sociétés modernes ». On ne peut être plus clair, le rôle du Traité de l’Atlantique Nord est d’assurer la sécurité énergétique et l’approvisionnement de moins de 15% de la population mondiale. Il est aussi demandé de prendre en compte la pauvreté, la faim, l’eau, les mouvements migratoires, le changement climatique, non pas pour résoudre ces fléaux et menaces mais pour les sources de crises et de troubles qu’ils représentent. Bras armé du néolibéralisme, l’Otan doit aussi servir à réprimer les peuples qui luttent pour leur survie ». Il est hors de doute que la nouvelle doctrine fera qu’il y aura plus que jamais un seul gendarme planétaire qui doit s’assurer des sources d’approvisionnement pérennes, notamment en énergie. Comme en Irak, l’armée de pacification américaine surveille les puits, elle le fera ensuite en Afghanistan à partir de 2014. On l’aura compris, les « élus » monteront dans l’arche protégé par un bouclier. Les damnés seront confrontés à des déluges au quotidien. A l’insécurité, à la famine, s’ajoutent les colères de la Terre sous forme de déluges provoqués par un Occident drogué aux énergies fossiles. Est-ce ainsi que les hommes vivent ? (4)
Conclusion : que faire pour éradiquer les racines du terrorisme ?
Le vrai terrorisme c’est la faim dans le monde qui devait être éradiquée selon le sommet du Millénaire. On s’occupe de la Libye des millions de dollars. On ne veut pas d’un plan pour sauver l’Afrique du désespoir des migrants qui meurent par milliers. Ce qu’on veut protéger c’est l’uranium, c’est le pétrole, ce sont les matières premières, peu importe si les Africains s’étripent. Quand on accepte de dépenser des centaines de milliards de dollars pour sauver des banques qui ensuite distribuent les dividendes à une poignée d’élus.
Quand les Somaliens meurent par milliers alors qu’une fraction infime du gaspillage de l’Occident permettrait de faire revenir le sourire aux enfants ; Jean Ziegler parle à juste titre de meurtre quand un enfant meurt de faim. Ajoutons qu’un plein de voiture provenant du biocarburant à base de maïs détourné peut nourrir un Africain pendant un an et que les Etats-Unis dépensent en publicité 300 milliards de dollars et celles du monde à 1000 milliards de dollars. C’est cela le vrai terrorisme qui continuera à prospérer, les Occidentaux ne sont pas concernés par les attentats qui font des dégâts principalement dans les pays du Sud.
La croisade déclarée contre l’Islam entretient cette fiction. Pendant ce temps, main basse est faite sur les ressources du Sud, notamment énergétiques. Pour éradiquer le terrorisme, il faut tarir les sources d’approvisionnement des armes, et faire reverdir le Sahara en aidant les populations harassées à se prendre en charge, notamment par la mise en place d’un plan de lutte contre la sécheresse et aussi en promouvant graduellement l’éducation dans ces pays menacés par la menace d’un terrorisme réel : la faim au quotidien.
Professeur Chems eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu. dz