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Démondialisation ou mondialisation à visage humain : le vrai débat.

« Je définirais la mondialisation comme la liberté pour mon groupe d’investir où il veut, le temps qu’il veut, pour produire ce qu’il veut, en s’approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possibles en matière de droit du travail et de conventions sociales ».
P.Barnevick, ancien président de la multinationale ABB.

Vue sous cet angle plus simplement, on dirait que la mondialisation est la liberté du renard néolibéral dans le poulailler des classes vulnérables. La conséquence est que les sociétés contemporaines deviennent de plus en plus interdépendantes et que le monde est soumis à de puissants processus d’uniformisation. Que peuvent faire les faibles dans un monde où la fortune de 6 milliardaires est plus importante que celle de 1,2 milliard de personnes ? Est-ce moral que le revenu moyen annuel d’un Africain soit égal au revenu journalier d’un Suisse ?

Les victimes collatérales de la mondialisation

Le plaidoyer suivant nous parait résumer mieux que cent discours la réalité de la mondialisation heureuse selon l’économiste français Alain Minc. Nous lisons : « Que veux dire pour vous le mot « mondialisation » ? Si cela veut dire gagner plus pour ceux qui ont les mains, ou qui sont manipulés par les ficelles de la finance pendant que d’autres crèvent de faim, de froid ou de maladie, tout comme l’Ancien Régime en France et dans de nombreux pays du monde, alors oui, il faut que les peuples démondialisent et comme les Français, ils viendront à bout des tyrans ! J’ai voyagé un peu partout dans le monde depuis plus de 40 ans et j’ai constaté que les pauvres étaient de plus en plus pauvres pendant que les riches, eux, étaient de plus en plus riches ! Tout récemment, j’ai pu voir un « Hummer » dans les rues de Hanoï alors qu’à moins de vingt mètres, une grand-mère de plus de 80 ans vendait sa soupe pour pouvoir survivre. Le même phénomène se reproduit en Chine, aux USA, au Japon, sans parler de l’Afrique ou l’ami Bolloré se gave sur le dos des pauvres ! » (1)

« Aux USA les riches en sont arrivés à vivre quasiment dans des camps surveillés par des caméras, gardés par des gardes armés, qui patrouillent jour et nuit sur une route qui fait le tour du camp et qui interdisent l’accès à quiconque n’étant pas invité par un habitant du « Quartier résidentiel » ! Pendant ce temps, à Galvestone, les pauvres vivent dans des « baraques délabrées » en attendant le prochain cyclone ! Pour produire nos appareils photos numériques certains ouvriers d’Hanoï occupent deux postes et travaillent donc 16 h / 24 pour un salaire de 150 a 200 euros par mois ! Ils dorment sur place pour éviter le temps du trajet. Et pourquoi ne pas mondialiser les flux migratoires alors que les flux financiers ne connaissent plus de frontière ? (...) Cette mondialisation qui consiste à faire produire à très bas coûts dans des pays exotiques, sans contraintes, ni écologique ni sociales pour revendre à un prix « normal » dans un pays qui a encore un minimum de protection, pratiquement, personne n’en veut ! » (1)

Qu’est-ce que la démondialisation ?

C’est le nouveau cheval de bataille de ceux qui veulent remettre en cause l’ordre impérial établi dans le sillage du consensus de Washington. « Elle traverse, écrit l’éditorialiste du Monde, le champ politique. Elle est posée à gauche : des hommes comme Arnaud Montebourg au PS et, plus encore, Jean-Luc Mélenchon, du Parti de gauche, prônent une manière de protectionnisme européen. Elle taraude la droite : une fraction de l’UMP n’y est pas insensible, et le Front national se veut le parti d’un repli protectionniste hexagonal. Pour la plupart des élus, qui ont à gérer des délocalisations brutales, la question est rien moins qu’académique - elle est au coeur de leurs préoccupations. Dans l’ « atelier du monde » , trimerait une armée de malheureux avec laquelle nos salariés ont été brutalement mis en concurrence. Bref, la mondialisation relèverait d’un gigantesque dumping social et environnemental. Et pour le corriger, il suffirait de rétablir des tarifs douaniers aux frontières (de la France ou de l’Union européenne). » (2)

Justement, le député socialiste français Arnaud Montebourg a pris pour cheval de bataille politique, le thème de la démondialisation qu’il définit ainsi : « Pour vous, le quotidien de la mondialisation c’est la désindustrialisation, la précarité, l’appauvrissement et le déclassement, l’explosion des inégalités,...Pour lutter contre ces fléaux, une seule solution : la démondialisation, véritable remise à l’endroit d’un système devenu fou. La démondialisation, c’est la protection des travailleurs du Nord et du Sud, la préférence pour les salaires et la protection sociale plutôt que les dividendes boursiers. C’est la conversion écologique du système productif et la révolution industrielle verte, le retour des usines en Europe et la reprise en main de notre destinée ». (3)

Démondialisation ou altermondialisme ?

Les contre la démondialisation ne sont pas seulement dans le cas libéral mais aussi dans celui des altermondialistes. Ainsi Pascal Lamy, directeur général de l’OMC, qui est dans son rôle, déclare : « La démondialisation est un concept réactionnaire...Parce que le phénomène est parti pour durer. Les moteurs de la mondialisation sont le porte-conteneurs et Internet et la technologie ne reviendra pas en arrière ! Aujourd’hui, les frontières entre commerce international et commerce domestique s’effacent. Freiner vos importations revient à pénaliser vos exportations. (...) Dumping environnemental ? Les produits industriels qu’exporte l’Europe sont plus riches en carbone que ses importations en provenance du monde en développement. Compétitivité salariale indue ? Pas évident, même si la Chine emploie pour le même prix huit salariés quand l’Europe en rémunère un seul. (...) Des réponses aux perturbations douloureuses que vivent les populations occidentales sont nécessaires, mais en utilisant d’autres formes de protection que le protectionnisme qui ne protège pas. Il faut une régulation qui maîtrise les forces en présence. Ce n’est pas la mondialisation qui fait problème, mais l’insuffisance de garde-fous. » (4)

Pascal Lamy « le socialiste tout terrain » ne parle que des populations occidentales qui seules supportent le poids du dérèglement de la mondialisation...Pour Attac, il y a danger à démondialiser : « La violence de la crise mondiale et l’échec des politiques néolibérales aggravées font fuser de partout des propositions en apparence iconoclastes. La mondialisation néolibérale reposant sur la libre circulation des capitaux et la financiarisation du monde, les désastres provoqués par ces politiques ont suscité l’émergence à la fin des années 1990 d’un mouvement initialement qualifié par les médias d’« antimondialiste » , qui, en mûrissant, s’est lui-même rebaptisé « altermondialiste ». Mais l’apparition récente de la thématique de la « démondialisation » risque de nous ramener beaucoup plus de dix ans en arrière. La « démondialisation » est un concept à la fois superficiel et simpliste. Superficiel parce que, à la racine de la financiarisation mondialisée, il y a les décisions de forces sociales et de gouvernements nationaux, décidés à remettre en cause partout les droits sociaux. L’oligarchie n’est pas étrangère, l’ennemi n’est pas le travailleur chinois ». (5)

« Simpliste car les réponses à la crise nécessitent « plus de mondialisation » dans certains domaines et « moins de mondialisation » dans d’autres, mais exigent surtout une mutation radicale de la logique même de la mondialisation (alter-mondialisation)... D’un côté pour des motifs sociaux : stopper la concurrence entre travailleurs et paysans du monde, valoriser la diversité des savoirs et des pratiques sociales, nourrir les populations et assurer la souveraineté alimentaire. Pour des motifs écologiques : réduire les émissions de CO2, diminuer la pression sur les ressources naturelles et leur pillage. Pour des motifs politiques : retrouver des formes de démocratie proche des citoyens. Mais, de l’autre, il faut plus de coopération européenne et mondiale dans bien des domaines à mutualiser : sauvegarde des écosystèmes, gestion et répartition des ressources rares qui font partie des biens communs (eau, terre, énergie, alimentation, savoirs, techniques, médicaments...) , mondialisation des droits sociaux par l’application des conventions de l’Organisation internationale du travail... Ce n’est pas « la mondialisation » que nous rejetons, mais la mondialisation néolibérale et capitaliste, telle qu’elle est organisée par les intérêts des firmes multinationales, les « marchés » et les grandes puissances ». (5)

Jacques Sapir, économiste, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales est à la fois contre les mondialistes et les altermondialistes, il écrit : « Nous avons chacun notre vérité, et je ne reproche nullement à ces membres du Conseil scientifique d’Attac de ne pas partager la mienne. (...) La mondialisation n’est pas un phénomène qui serait d’ordre « naturel » et elle correspond bien à un projet politique précis, mais qui -en ce qui concerne la France- a un enracinement national évident. (...) Ni Montebourg ni moi-même n’avons jamais affirmé que la démondialisation résoudrait tous les problèmes. Ensuite, parce que des régulations nationales sont appliquées dans de nombreux pays avec succès, qu’il s’agisse de droits de douane ou de mesures de restriction des mouvements des capitaux. L’exemple de la Malaisie en est un parmi d’autres, qui a fini par être reconnu même par le FMI ! Ledit FMI conseille même désormais, d’appliquer au niveau national certaines de ces mesures.L’ennemi est bien désigné pour qui sait lire : c’est l’État-nation. Les mesures impulsées dans son cadre ne peuvent « résoudre aucun des problèmes qui se posent à nous ». Pire, elles sont susceptibles de déchaîner des démons nationalistes. On connaît ce discours, mais il n’a que les apparences de l’internationalisme. (...) C’est pourquoi la démondialisation est un projet radicalement nécessaire et en parfaite cohérence avec une vision de l’économie qui dénonce ces illusions. Il faut donc réaffirmer que, sans souveraineté nationale, il ne saurait y avoir de démocratie. Sans frontière, il devient impossible d’identifier une communauté politique commune. Au-delà , la crise impose de penser l’échelle de l’État-nation comme une étape indispensable. (...) Je réaffirme ici que l’action d’un gouvernement qui, face à une crise, suspend unilatéralement les règles de circulation des capitaux, ou les règles comptables, afin d’empêcher un petit groupe d’agents d’imposer indûment leur volonté au plus grand nombre au sein du corps souverain par l’agiotage et la spéculation, n’est pas un acte d’arbitraire. ». (6)

Bertrand Badie, professeur des universités à Sciences Po Paris explique comment est venue la démondialisation comme une réaction concernant la mondialisation Pour lui, la disparition du monde bipolaire a laissé libre place à une mondialisation sans état d’âme. « Elle s’est traduite écrit-il, par une tendance à la fragmentation. La mondialisation favorise à la fois l’intégration et le retour des particularismes. L’érosion de la souveraineté des États-nations, le délitement des États et des territoires vont de pair avec une libération des poussées localistes, particularistes, voire irrédentistes. Dans un monde bipolaire ou faiblement globalisé, les communautés territoriales étaient solides autour de la pleine souveraineté des États. (...) Les États ne sont plus réglés par l’idée de la taille idéale des territoires qui leur permettrait d’exister dans le concert des nations. Ce processus de fragmentation n’est pas arrivé à sa fin. Tous les pays malades risquent de vouloir se soigner par le biais de découpages de territoires ».

« Plus le Sud ira dans le sens de l’éclatement, plus les prérogatives oligarchiques au Nord se renforceront. C’est un argument en or pour la restauration de l’oligarchie que représente l’actuel directoire du monde, qu’il s’agisse des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, du G8 ou du G20. L’oligarchie n’est pas un mode de gouvernance acceptable dans une mondialisation qui déplace l’incertitude du fort vers le faible. Laisser le faible, le pauvre, le petit, le vulnérable dans un rôle de citoyen passif et dans un univers de fragmentation extrême, c’est risquer de ne jamais progresser dans la solution des problèmes. Dans le climat actuel de crise, chacun joue sa partition de démondialisation, de la répression des flux migratoires au retour du protectionnisme. C’est une sorte de négationnisme de l’interdépendance, l’illusion que le chacun-pour-soi sera un instrument de régulation. L’addition des politiques de démondialisation, c’est la diplomatie de connivence, le fait que l’on négocie entre puissants le point optimal d’une démondialisation favorisant les égoïsmes nationaux des uns et des autres sans porter atteinte à leur intérêt collectif. Cela débouche sur l’immobilisme actuel, bien exprimé par le creux des communiqués des G8 et des G20. (7)

Comment est vue la mondialisation dans les pays du Sud et en Algérie ?

A l’instar des Africains, beaucoup d’entre les Algériens ne savent réellement pas ce que c’est que la mondialisation. Ils la perçoivent indirectement à travers le bradage de toutes les entreprises car ne répondant pas aux « normes » et donc non compétitives. Une autre partie parle justement des masses d’argent nécessaires à la mise aux normes véritable tonneau des Danaïdes. Pour d’autres, c’est le portable, les produits contrefaits, la déferlante chinoise et ceci dans un contexte où le gouvernent, après avoir promis depuis plus de dix ans de rentrer dans l’OMC, remet ce voeu pieux à plus tard. En fait, l’Algérie est dans la pente ascendante de la mondialisation-laminoir en cassant son outil de production, en annulant ses barrières tarifaires en vain, elle est devenue un marché. Pendant ce temps, les pays industrialisés arrivés au Sommet de la rapine mondiale, de la financiarisation à outrance, s’aperçoivent que ce qu’ils ont mis en place pose problème, ils réfléchissent à changer les règles dans le sens de leur intérêt.

La lecture de l’ouvrage d’Arnaud Montebourg, m’a laissé un goût amer. Sous des dehors socialisants, il propose ni plus ni moins un retour du protectionnisme qu’il enrobe d’écologie dans le sens de punition en termes de taxes au nom du bilan carbone des pays émergents et indirectement de compensation des bas salaires des pays émergents pour rendre leurs produits non compétitifs. C’est de fait, encore et toujours, un impérialisme. « Les Règles du jeu de la mondialisation, ne me plaisent pas, je les change au nom des intérêts supérieurs de mon pays ». Nous préférons pour notre part - mais avons-nous le choix en tant que pays du Sud vulnérable ? - nous en remettre à l’éthique et la morale en appelant à une mondialisation à visage humain où les petits, les sans grade, les sans-voix mais pas sans-droits humains, puissent vivre dignement.

Chems Eddine CHITOUR

1. Defrance : Dé-mondialisation Agoravox 4 juillet 2011

2. Editorial du Monde : bienvenue au grand débat sur la mondialisation ! Le Monde 02.07.11

3. Arnaud Montebourg : Votez pour la démondialisation ! Ed. Flammarion 2011

4. Pascal Lamy : « La démondialisation est un concept réactionnaire » Le Monde.fr 30.06.11

5.http: //www.gaucherepublicaine.org/altermondialisme/la-demondialisation-un-concept-superficiel-et-simpliste/3367 27 juin 2011

6. Jacques Sapir http: //www.gaucherepublicaine.org/respublica/oui-la-demondialisation-est-bien-notre-avenir/337427 juin 2011

7. Bertrand Badie Recueilli par François d’Alançon http: //www.la-croix.com/Actualite/S-informer/Monde/Bertrand-Badie-professeur-des-universites-La-mondialisation-favorise-le-retour-des-particularismes-_NG_-2011-07-07-687060


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Jay Taylor, responsable de la section des intérêts américains à Cuba entre 1987 et 1990, in "Playing into Castro’s hands", the Guardian, Londres, 9 août 1994.

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