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La prostitution élevée au rang de catégorie universelle

Les événements de ce début d’année et l’expérience en cours -extrêmement intéressante- de la #spanishrevolution poussent à réfléchir sur les limites du système capitaliste et les possibilités réellement existantes pour tenter une alternative réelle qui ne soit vouée ni à l’échec à court terme, ni à la perversion de terminer par faire la même chose mais peut-être en pire. L’analyse de la dynamique en place et des discours des uns et des autres, à la lumière des théoriciens traditionnels de la gauche démocratique et marxienne (au premier rang desquels on retrouve Zizek), ouvre la voie à l’espérance en même temps qu’elle offre des pistes de réflexion et d’action pour une praxis réellement révolutionnaire. L’article ici part du présupposé qu’une démocratie réelle (non formelle et représentative, "aristocratique" comme les nôtres) doit retourner rechercher ses fondements dans les sages principes qui régirent la démocratie Athénienne (horizontale, contrôlée par la majorité du peuple, non technocratique, sans caste politique ni professionnalisme de la chose publique, etc.) ; donc que la dictature de la majorité, la loi du peuple n’est pas une dictature, contrairement à ce qui fonde l’actualité : le pouvoir sans partage d’une minorité qui impose ses intérêts à l’ensemble du monde et des peuples.

Les trompettes de l’apocalypse annoncent, au loin la fin du capitalisme. Comme le rappelle Slavoj Zizek dans son livre « Vivre la fin des temps », cela sonne comme la fin des temps, après le triomphe planétaire de ce système. On pourrait y croire car, à la violence des opprimés contre les oppresseurs, à la violence des luttes de classe, viennent s’ajouter des périls nouveaux qui, comme la destruction des écosystèmes et de la Planète en général, constituent un danger de plus en plus réel de catastrophe globale irréversible. Tout le monde le sait. Personne n’ose plus, aujourd’hui, nier l’évidence ; cependant, nombreux sont encore ceux qui pensent que si l’Homme a mis en place tous ces processus destructeurs, il n’a par contre pas les moyens de les stopper et que la Nature, comme le Marché, se régulera d’elle-même « comme elle le fait depuis que l’Homme est sorti de l’état de dépendance naturelle ». D’autres vont user de la dénégation (faire semblant que ce qui est n’est pas), comme les ultra libéraux pour qui la cause de tous nos maux, comme de ceux de l’environnement, sont le fait d’un trop grand laxisme, d’une trop grande ouverture et d’un trop de sentimentalisme (pour eux, il suffirait de rejeter les étrangers, le multiculturalisme et l’Etat social pour que tout aille mieux et que, chacun chez-soi, les boeufs seront mieux gardés).

Ces deux manières d’envisager l’analyse de la situation catastrophique actuelle -et donc d’y apporter des solutions- impliquent, contradictoirement, non pas moins d’Etat, mais plus d’Etat : plus de contrôle, de sélection, de surveillance, de repli, plus de frontières et l’omniprésence d’une société sécuritaire et de suspicion. Le « harcèlement » devient le terme phare de l’époque et « Alzheimer » sa maladie emblématique. En fait, l’Etat ne se retire en rien si ce n’est de la sphère économique, occupant, par ailleurs, des pans de plus en plus importants en matière sociale, culturelle, juridique, psychologique, s’immisçant jusque dans la sphère la plus privée de chaque citoyen : jamais les Etats n’ont été aussi forts, aussi dirigistes en même temps qu’impuissants fasse à l’économique et aux finances qu’ils ne font que protéger en exerçant le rôle du gendarme des banques -de l’aval qui garantira que le payeur paiera et que le débiteur remboursera, si vous préférez… Enfin, une dernière attitude (en dehors de celles qui appellent le changement) et qui vient renforcer les deux autres en renforçant le pouvoir de l’Etat, est celle que Zizek appelle du « sujet post-traumatique » : de ceux qui ont tellement subi les chocs assénés depuis des décennies qu’ils restent littéralement interdits et passifs (impuissants, sans énergie ni options).

Ces mêmes tenants de l’Etat fort-faible, sont ceux qui lancent l’anathème « idéologiques » contre les opposants au système. La droite et le capitalisme n’auraient pas d’idéologie et la bataille politique se jouerait ailleurs : au-delà ou en-deçà . Or, le « pas d’idéologie » constitue la pire des idéologies ! Car, sous cette bannière, plus rien n’est critiquable, plus rien moralement ou éthiquement inacceptable, si ce n’est le résultat économique et les balances de paiement. A ce petit jeu pervers, les alliances ne veulent plus rien dire et les concepts de liberté et de démocratie deviennent obsolètes, dans les pires des cas, sujets à débat, dans les meilleurs. Et cette idéologie du pas d’idéologie s’est imposée de manière globalisée, elle aussi ; de sorte que gauche et droite au pouvoir se limitent à gérer le système (en le protégeant contre ses maux internes dont le multiculturalisme, etc. tout comme contre ses maux externes dont les anciens, futurs ex amis-tyrans) ; de sorte que dans cette partie de couillon mondialisée et « désidéologisée », USA-Europe-Chine sont dans le même camp : celui du nouvel ordre capitaliste globalisé. Comme si l’alternative du XXIème siècle n’était plus entre capitalisme et autre chose, mais entre capitalisme libéral et capitalisme à la chinoise, entre libéralisme cru ou libéralisme social, entre démocratie libérale et démocratie ultra-libérale… Nous sommes retournés dans une « société du destin », la globalisation étant présentée ici comme un destin, une espèce de "mission" globale et obligée. On a, bien sûr, le droit de refuser, puisqu’en "démocratie" on aurait tous les droits, mais alors au prix de l’exclusion. L’idée même que l’humanité peut influencer la vie avec un pacte collectif est dénoncée comme potentiellement totalitaire, empreinte d’idéologie, de dangereux utopisme, de "chienlit", de goulags, de stalags ou de fondamentalismes dangereux. On nous répond : "Vous voyez bien ce que l’histoire nous dit, ce qu’elle nous a donné comme leçons au XXème siècle !"

« Il y a comme un pacte selon lequel l’économie aurait ses propres règles dépolitisées, le débat « démocratique » se limitant finalement aux questions culturelles. La tragédie réside précisément dans cette dépolitisation radicale de l’économie, conjuguée au glissement vers un état d’exception permanent. Les nouvelles formes d’exclusion, d’apartheid, vont de pair avec l’idéologie prédominante de la victimisation. Richard Rorty, l’un des philosophes du libéralisme contemporain, souligne que ce qui, en dernière instance, définit aujourd’hui la dignité humaine n’est pas l’intelligence ou la créativité, mais l’habilité à souffrir, à être victime, à éprouver de la douleur. » (…) « La réponse traditionnelle, qui consiste à - prôner plus de programmes sociaux, plus de solidarité, ne suffit plus. Les racines du mal sont plus profondes. C’est toute la logique du capitalisme contemporain qui est en cause. Prenons un exemple. S’il y a un phénomène mondial caractéristique de cette époque, ce sont les bidonvilles. Comme le souligne Mike Davis, un sociologue urbain critique in Planète Bidonvilles, Ab Iraten, 2005, on tend à occulter l’envers de la réussite économique de la Chine, de Singapour, de la Corée du Sud : l’explosion des bidonvilles. D’après certaines estimations, plus d’un milliard d’êtres humains vivraient aujourd’hui dans des bidonvilles. Leurs habitants sont en passe de devenir le groupe social le plus important à l’échelle mondiale. » (…) « . La visée de l’État n’est plus même de les contrôler, mais seulement de les isoler. Oui, « post-politique » parce qu’elles sont le strict envers de notre société post-politique. Quand on joue la carte du post-politique, les émeutes elles-mêmes deviennent post-politiques. C’est cela la véritable tragédie, le prix de l’impossibilité même de formuler une alternative. On devient utopiste dès lors qu’on ne peut pas faire autrement. Dans ce sens, je crois que nous serons de plus en plus contraints à l’utopie. » Slavoj Zizek dans l’Humanité.

Le dogmatisme des (soi-disant antidogmatiques) tenants du système capitaliste -sourds et aveugles à la réalité des crises, de la misère galopante, des interventions de l’état ces deux dernières années pour soutenir le système financier et le cataclysme écologique- soutiennent dur comme fer que le marché s’autorégule, qu’il ne lui faut aucune aide extérieure et qu’il ne détruit aucune richesse (ni humaine, ni naturelle) puisqu’il ne ferait « qu’en créer » (des richesses). L’illusion et l’idéologie sont bien présentes : chez les néolibéraux et au fondement même du système capitaliste. Le système qui se base sur la production de marchandises, sur l’accumulation toujours plus grande de celles-ci et sur le profit individuel dans un marché, par ailleurs régi par la loi du plus fort, ne peut prétendre mettre en avant les valeurs démocratiques, universalistes des Lumières : liberté, égalité, fraternité.

A entendre ses porte-parole les plus éloquents -ceux du Adam Smith Institute de Londres, par exemple- la dernière crise financière ne serait pas venue parce qu’on n’aurait pas assez fait pour la contrecarrer (comme le prétendent les autres libéraux et les financiers), mais, au contraire, parce qu’on en aurait trop fait : l’Etat dispose d’un monopole sur l’argent qui lui permet d’établir des taux que le Marché, lui, n’établirait pas, n’aurait jamais, dans sa grande sagesse logico-mathématique, jamais établi. On voit le Marché installé en place presque religieuse, magique, une espèce de grande machine autorégulée dont le destin est de ne jamais se tromper et de trouver sans cesse l’équilibre… Pour le bien de tous et de la planète ?

La chute du mur n’a pas signé la mort de l’idée socialiste, ni du communisme marxien -d’autant plus que ces régimes n’avaient de communiste que le titre et se contentaient d’un capitalisme d’Etat, productionniste compulsif. Non, la chute du Mur de Berlin a sonné le glas de l’alibi que le capitalisme mondial possédait, en l’URSS et ses satellites, pour s’ériger en modèle unique émancipateur et ouvert la voie vers une alternative redevenue claire : socialisme démocratique ou barbarie. Les tentatives d’imposer une bipolarité axée sur le clash des civilisations et la lutte contre le terrorisme se sont heurtées aux propres contradictions du système et se dégonflent comme baudruches : le développement à n’importe quel prix provoque des Fukushima et toute la liste des désastres inutiles de répéter ici.

On reproche trop souvent aux alternatifs, aux marxistes et aux opposants au système libéral, en génral, d’être de dangeraux utopistes, de grands adolescents ingénus ET utopistes… Or, l’utopie est devenue, de toute évidence, depuis quelques années, le maintien du système actuel. Utopiste est celui qui croit encore au capitalisme et opte pour sa survie ; utopiste, celui qui ne veut pas saisir que c’est déjà la fin et que le temps n’est plus à la « réparation » de quoi que ce soit, mais à contribuer à mettre en place ce nouvel agencement sociétal qui tient en ces trois mots (Liberté, Egalité, Fraternité) en quoi se fonde l’idée même du communisme démocratique. Le reste, c’est comme le souligne Zizek « tenter un capitalisme à visage humain » (comme on disait avant de certains satellites de l’URSS qu’ils tentaient « un socialisme à visage humain ») et qui n’est pas autre chose que « le visage humain du Lepenisme. »

Ainsi, pour les adeptes niais du capitalisme, la marchandise est-elle neutre tout comme l’économie ; ce serait affaire de « nature humaine » et ils en veulent pour preuve le phénomène de la mode qu’ils expliquent par la tendance humaine, naturelle, à suivre les célébrités, les gens qui comptent… En disant cela, ils peuvent convaincre ; mais ils ne convaincront pas quiconque réfléchit plus loin et s’aperçoit que cette soi-disant tendance « naturelle » à l’Homme est précisément née avec le capitalisme -dès sa période première ; avec la naissance des marchandises et du Marché. Avant, s’habiller, n’était pas affaire de mode ni d’imitation des « célébrités », mais la meilleure manière de combler un besoin essentiel : se protéger des intempéries, du froid, du soleil, des insectes et chercher un mieux-être en comblant une nature (l’humaine) incomplète et pauvre en comparaison aux autres mammifères, grâce à l’intelligence. L’objet remplissait une fonction de recherche de mieux-être et de confort. On pourrait dire que dans ce sens la marchandise n’a pas changé cette essence. En quelque sorte, si ce n’est -et de là l’importance de lire les passages sur le fétichisme de la marchandise dans le Capital- que les marchandises ne sont plus achetées pour ce qu’elles sont mais parce qu’elles renferment quelque chose d’autre au-delà de leur fonction première (promesses de plénitude, de reconnaissance, de réparation narcissique, etc.) et quelque chose qui, de l’ordre des besoins et du mieux-être peut se trouver complètement artificiellement créé par le système dans le seul but de vendre. Ainsi, crée-t-on des besoins et invente-t-on des « réparations » sociales et/ou psychologiques dans l’acte de consommer certains biens dont on pourrait aisément se passer.

Il en va ainsi, de nos jours, au point que tout est marchandise jusqu’aux rapports entre les êtres, aux rapports entre les sexes, à la communication et jusqu’aux fantasmes que l’on peut -de manière virtuelle- lancer et donc trouver sur le Marché : les avatars, les second life, etc. en constituent les archétypes les plus connus à l’heure actuelle. Tout est mercantilisé ou, du moins, susceptible de le devenir. Comme Walter Benjamin, de l’Ecole de Francfort, nous pourrions dire que la marchandise et son fétichisme ont universalisé la catégorie de la prostitution (la relation structurelle entre la marchandisation de l’Homme et de l’Objet) : une marchandise, se fait belle et cherche à attirer le passant et se vendre à travers le processus de la séduction ! La valeur se mesurant en termes d’argent. La question devient alors celle-ci : un monde sans marchandises est-il possible ? Il était pensable pour Marx qui écrivait que celles-ci disparaîtraient dès qu’on aurait développé d’autres modes de production et d’autres rapports de production. La critique de certains repose alors sur le fait qu’un monde sans marchandises serait un monde sans argent car, pour eux, c’est ce dernier qui ferait que toute chose se transforme en marchandise, au moins potentiellement… La réalité démonte cet argument, du moins en partie, avec l’éclosion de nouvelles formes d’entendre le lien social, de nouvelles manières de produire, alternatives, plus solidaires, collectives, durables et sans gaspillage (donc, au-delà , de ce fameux fétichisme de la marchandise). Idée de communisme, de plus en plus répandue, comme le souligne Slavoj Zizek : « au sens du bien commun, dont nous sommes tous responsables et qu’il s’agit d’aborder ensemble, tels les défis écologique, technologiques notamment de biotechnologies, etc. »

La question devient alors : peut-on faire face à ces défis communs, planétaires et urgents dans le cadre d’un système capitaliste, de profit et basé sur la propriété privée (notamment des biens et des moyens de production) ou l’abolition de la propriété privée s’avère-t-elle indispensable ? Comme le rappelait Marx dans son Manifeste de 1848 : "les philosophes se sont contentés jusqu’ici d’interpréter le monde ; il s’agit à présent de le transformer." En 2011, il s’agirait sans doute de sortir de la fausse alternative : gestion sociale-socialiste du capitalisme ou gestion libérale-néolibérale de ce même capitalisme. Il s’agit à présent de repenser de manière radicalement différente, le monde, l’économie, la politique, les relations internationales, le rapport à la jouissance !

José Camarena 090611

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