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Le mot chien ne mord pas ?

En ces temps de discussions sans fin autour de concepts plus ou moins neufs ; en ces semaines où l’on assiste aux premiers symptômes des "maladies de jeunesse" inhérentes aux #révolutions, il n’est pas inutile de revenir sur l’importance des mots et de la parole pleine, vraie. Comme le disait, Michel Lancelot, dans son livre "Le jeune lion dort avec ses dents", à force de dire n’importe comment, on finit par dire n’importe quoi... Comme à force de faire, d’écrire, de penser, d’agir n’importe comment, etcaetera !

Certains discutent encore quant à savoir si les mots peuvent réellement guérir. J’entends par mots, la parole, au sens premier du terme. Certains donc ont encore du mal à comprendre -ou à accepter- que la parole guérisse, par exemple dans la cure analytique.

Ces mêmes qui hésitent, qui réfutent ou qui lancent l’anathème contre une telle conception, ne s’étonneront pas, par ailleurs, de ce que l’état d’euphorie amoureuse -cette exaltation proche de l’extase et de la mystique- redonne force à qui n’en avait plus, améliore la santé de qui se trouvait dans la douleur et la plainte, rend possible pour d’aucuns ce que d’habitude ils tenaient pour impossible.

Et s’ils restent sceptiques ou fermés à cette vérité clinique, que tout bon praticien, peut expérimenter une et cent fois, en fonction de sa patientèle (même si clientèle serait un terme mieux approprié, à mon sens), ils n’en acceptent pas moins, sans rechigner, le postulat inverse, à savoir que la parole peut rendre malade, blesser et même, dans certains cas dits extrêmes, tuer. Ainsi donc, cette parole qui tue ne pourrait pas guérir…

Mais, de quelle parole parlons-nous  ? Quelqu’un me rapportait, il y a peu que si l’on veut vraiment blesser quelqu’un, il vaut mieux oublier le dictionnaire des insultes les plus courantes ou les plus viles et se concentrer sur les défauts réels de la personne. Dites donc à quelqu’un qu’il n’est qu’un fils de chien et, si d’aventure, il se trouve rassuré quand à sa lignée et à ses origines, il la trouvera sans doute mauvaise, mais sans plus. Or, que cette personne à qui vous avez lancé cette insulte, pour vous suprême, se promène avec des oreilles démesurées, appelez-le Jumbo et vous risquez, très rapidement, de vous retrouver avec son poing dans la figure.

Car il faut que la parole fasse mouche et pour qu’elle y parvienne, encore doit-elle être vraie. Vraie, à savoir riche d’affects  ; une parole neutre, universelle et standardisée ne touche rien ni personne car sa valeur d’échange est minime ou nulle  : parole asexuée, ne ressortissant pas du corps mais des dictionnaires... Pour qu’une parole soit vraie, il faut qu’elle soit porteuse de jouissance, d’un plus-de-jouir comme aurait dit Lacan en paraphrasant le concept de plus-value des Marxiens  : il lui faut une valeur ajoutée. Et, dans l’échange, la valeur ajoutée s’appelle le signifiant.

L’être humain, on le sait, est un être de parole. D’une parole qui le détermine par le jeu des signifiants qui le façonnent tout au long de son histoire -car la parole précède le sujet  : le symbolique est avant le langage. C’est pourquoi Lacan pouvait dire, en substance, que si la parole ment, l’angoisse, quant à elle, ne ment jamais. Car, il y a dans l’angoisse, de l’inconscient, de la pulsion, de la jouissance, donc du corps. On peut mentir avec des mots, on ne ment pas avec un symptôme  !

Alors, pour que vous compreniez mieux ce que je veux vous faire entendre par signifiant (puisque, comme dirait Simon Leys dans Chesterton « ã€€L’espèce humaine, à laquelle appartiennent tant de mes lecteurs  »), je prendrai quelques exemples qui pourront vous paraître quelconques, inventés ou sans aucune valeur autrement dite « ã€€scientifique  ». Je vous invite à les tester avant de vous prononcer de manière aussi radicale et définitive. Exemples, après lesquels je conclurai par le résumé d’une histoire édifiante de l’écrivain argentin Jorge Luis Borges, laquelle ne devrait pas vous laisser, vous qui faites partie, pour la plupart, de l’espèce humaine, dans l’indifférence.

Wittgenstein écrivait que le mot chien ne mord pas. Qui pourrait affirmer le contraire  ? Et pourtant… Je ne sais si vous avez lu l’opuscule du fameux pharmacien devenu mondialement célèbre pour sa méthode d’autosuggestion, Monsieur Emile Coué, mais il y a un exemple en tout début de livre qui ne manque pas d’attirer l’attention. Il explique, dans sa fameuse thèse qui veut que l’imagination domine la raison, comment si l’on demande à une personne « ã€€normale  » (c’est-à -dire d’aptitudes tout à fait moyennes) de jouer les funambules en traçant une ligne sur le sol sur laquelle elle devra marcher sans sortir de l’épaisseur de celle-ci ni perdre l’équilibre, l’exercice se déroulera sans peine et le plus naturellement du monde  ; que l’on demande à cette même personne, le même exercice, avec une ligne de même épaisseur, mais à dix mètres du sol et le péril, l’angoisse, l’échec, la chute seront, plus que probablement au rendez-vous… Premier exemple.

A présent, imaginez que vous êtes professeurs, par exemple de physique quantique dans une classe où vos élèves n’ont pas plus de 12 ans. Faites-leur faire l’un ou l’autre exercice pratique, en expliquant bien la méthode et vous verrez que même s’agissant d’équations compliquées, pourvu qu’il y ait un côté ludique et l’envie d’apprendre, les résultats seront au rendez-vous. Recommencez l’opération mais, cette fois, en annonçant d’entrée de jeu que vous allez leur demander un exercice de physique quantique d’un niveau universitaire très élevé et que seuls les doué-es en mathématiques devraient à peu près comprendre. Ils resteront tétanisés, interdits, regardant autour d’eux tels les chiens, face à un problème, recherchent anxieusement la présence et l’aide de leur maître (de leur sauveur)  : de celui Supposé-Savoir… Deuxième exemple.

Enfin, pour conclure, voici le résumé de la petite histoire de l’immense Borges  : on raconte qu’une armée se trouvait encerclée par une autre, ennemie. Le général dit alors à ses soldats réunis  : « ã€€N’ayez pas peur  », et il leur montre d’énormes cages contenant des animaux féroces en leur disant  : « ã€€Ce sont des lions  ; aussitôt que l’ennemi attaquera, nous ouvrirons les cages, l’ennemi prendra peur et nous les tuerons aisément, pendant leur fuite, et gagnerons la bataille.  » Lorsque l’armée ennemie commença de s’approcher, les soldats lâchèrent les fauves  ; c’est alors que les attaquants, demandèrent, eux aussi, à leur général ce qu’il en était de ces bêtes qui fonçaient et qui avaient l’air si féroces  ; le général leur répondit, tranquillement  : « ã€€Ce ne sont que des chiens et nous n’aurons aucun mal à les maîtriser avec de simples bâtons.  » Ce qu’ils firent sans peine  : à grands coups de bâtons, ils tuèrent les lions, prirent le bastion et remportèrent la victoire.

Et Borges de souligner  : « ã€€Vous vous rendez compte de la différence qu’il y a de les appeler lions à les appeler chiens  ?  » Le signifiant  !

José Camarena - alias HoZé - Psychanalyste

© Hozé 5/2011
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Je ne pense plus que les journalistes devraient bénéficier d’une immunité particulière lorsqu’ils se trompent à ce point, à chaque fois, et que des gens meurent dans le processus. Je préfère les appeler "combattants des médias" et je pense que c’est une description juste et précise du rôle qu’ils jouent dans les guerres aujourd’hui.

Sharmine Narwani

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