Le décès de l’ami "bon sens’ ? (1) Ai reçu ce court texte qui m’inspire cette réflexion…
Aux obsèques assistaient dit-on trois faux frères : "Je connais mes droits", "C’est la faute de l’Autre" et "Je suis une victime".
Assurément « Bon sens » a souffert de la coalition des trois faux frères. Mais aucun de ces trois là n’est apparu sans notre complicité individuelle et collective, nous sommes tous dans ce cortège funéraire, proche de l’un de deux ou des trois assassins de la victime :
- Le "Je connais mes droits", a détourné au profit de l’égoïsme et de l’individualisme, une des avancées de la civilisation qui était la construction du Droit pour protéger la collectivité autant que les individus de l’arbitraire des puissants. C’est dans le "temps long’ entre les "ages farouches’ et la "République’ que l’idée même du "Droit’ est apparue, mais cette belle idée semble avoir été singulièrement trahie.
Ce détournement a été encouragé par un modèle de société où le chacun pour soi est élevé au rang de vertu et la réussite glorifiée même lorsqu’elle est l’aboutissement de l’écrasement des autres.
Là ou le Droit devait conforter la fraternité, être un outil central de la démocratie, du "vivre ensemble’ , au service de l’émancipation humaine la sécurité de chacun et la prospérité partagée ; la construction d’un droit protecteur d’abord des puissants a légitimé les injustices !
La "Nuit du Quatre août’ (1789) devait "abolir les privilèges’, le droit civil s’est chargé de les rétablir et de les protéger et l’évolution contemporaine du Droit ne fait que renforcer cette tendance dont le succès se mesure à la courbe en parallèle des profits du CAC 40 ! De la liberté égalité fraternité nous sommes passés à concurrence libre et non faussée compétitivité flexibilité productivité sans entraves…
Le pire est que cette dépossession du Droit autorise de douter de la démocratie elle-même par ceux qui ne veulent ou ne savent voir la perversion intervenue.
- Le "C’est la faute de l’Autre" est un dérivé du pêché et du transfert de culpabilité qu’autorise l’absolution de ses propres fautes pour rejeter le mal sur "les autres’ , mécréants de préférence ou ne partageant pas les présumées "valeurs’ qui ne sont bien souvent que la perpétuation des privilèges des puissants. C’est la servitude consentie qui crée une haine de soi se transformant de façon expiatoire en haine de l’autre.
Lorsque la compétitivité et la concurrence deviennent des "valeurs’, tout ce qui peut être une "arme’ pour déconsidérer ou anéantir "l’autre’ devient une "recommandation’ bien considérée par le plus grand nombre, enseignée dans nos écoles et instituts de "management’ capitaliste et inscrite dans une néo-morale aux couleurs incertaines. Ceux qui osent parler de fraternité sont assimilés à des réactionnaires, "loosers’ ou complices de tout ce qui menace l’arrogance des puissants. Même le "délit de solidarité’ a été inventé par un pouvoir "démocratiquement élu’ comme on dit et aussi la proclamation de l’existence de "sans droits’ et de "fin de droit’ qui donne aux révoltés de demain toutes les raisons de croire leur cause désespérée autant que légitime.
Le "bouc émissaire’ est un produit d’avenir, éternellement renouvelable et recyclable, juif, tzigane, musulman, franc-maçon, arabe, immigré ou simplement pauvre de quelque couleur de peau qu’il soit…La bonne conscience s’achète en sus par la promotion parallèle de nos compassions absolutrices au nom de la charité ou du droit de l’hommisme fourvoyé dans des enjeux plus obscurs qu’avouables.
- Le "Je suis une victime », est le plus ambigu des faux frères. Nul doute que le monde des gueux des damnés et des exclus de la prospérité et du bonheur sur terre soit infiniment plus nombreux que celui des nantis. Le drame est que ceux qui nous dominent savent aussi détourner la colère de leurs innombrables "victimes’ bien réelles pour les inciter non pas à demander justice mais a trouver des responsables expiatoires en revendiquant sans discernement souvent une fausse justice qui privilégie l’indemnisation sur l’effacement des causes et la condamnation des coupables, la vengeance sur la justice, la phobie des autres sur la fraternité.
Tout s’achète même la complicité avec l’oppression ; lorsque les victimes préfèrent obtenir indemnisation que construction de la solidarité et de la justice sociale. De tous temps les haines entre victimes ont été les meilleurs serviteurs de la domination des hommes par quelques uns d’entre eux.
Derniers mots autour de la tombe du "bon sens’ :
Le point commun et central dans chaque cas est la perte du sentiment d’appartenance à une communauté humaine, qui ne sait plus imaginer s’émanciper et sortir de ses ages barbares par la solidarité et la fraternité.
Peu importe pour y parvenir que les uns ou les autres s’appuient sur des "valeurs’ issues de convictions religieuses ou simplement humanistes héritées de vingt siècles de philosophie et bien au-delà de cent siècles, quatre mille siècles, d’histoire humaine qui se résument en une reconnaissance, une construction et une acceptation (ou pas) de l’altérité.
Le tragique de notre temps que nous osons croire "civilisé’ est que les partisans du "ou pas’ deviennent plus nombreux que les héritiers des sagesses et des spiritualités qui nous aideraient à anticiper pour éviter le pire. La barbarie n’est pas un moment de notre histoire ancienne, elle est une page possible de notre futur. Elle s’écrit déjà dans les banlieues du monde et nous en connaissons sinon toujours les causes au moins les images qui brûlent nos écrans …
Le "bon sens’ à lui seul ne nous en protégera pas, si nous ne refondons pas la fraternité en neutralisant ceux qui ont contribué à l’effacer pour des intérêts inavouables.
A chacun de reconnaître les maîtres à penser religieux ou profanes qui parlent comme les faux frères…
Il est même une manière d’écrire l’épitaphe du "bon sens’ qui peut servir la cause de chacun des trois faux frères au lieu de "déconstruire’ la perversion de leur credo.
Le choix est laissé à chacun de nous de choisir l’avenir barbare qui serait une évolution "naturelle’, celle issue du laisser faire et de nos pulsions les plus primitives, encouragées par certains ; ou une autre option qui se place du côté de la dignité de tous les hommes et de leur aspiration au bonheur humain qui est l’attente la mieux partagée sur notre terre, par ceux qui croient au ciel comme par ceux qui n’y croient pas.
Jacques Richaud 3 1 2011
(1) Aujourd’hui nous déplorons le décès d’un ami très cher qui se nommait "Bon Sens" et qui a vécu parmi nous pendant de longues années. Personne ne connaît exactement son âge, car les registres de naissance ont été perdus il y a bien longtemps dans les méandres de la bureaucratie. On se souvient de lui pour des leçons de vie, comme : "La journée appartient à celui qui se lève tôt", "Il ne faut pas tout attendre des autres" et "Ce qui arrive est peut-être de ma faute". "Bon Sens" vivait avec des règles simples et pratiques, comme : "Ne pas dépenser plus que ce que l’on a" et des principes éducatifs clairs, comme "Ce sont les parents, et non les enfants, qui décident". " Bon Sens" a perdu pied quand des parents ont attaqué des professeurs pour avoir fait leur travail en voulant apprendre aux enfants les bonnes manières et le respect. Un enseignant renvoyé, pour avoir réprimandé un élève trop excité, a encore aggravé l’état de santé de "Bon sens".
Il s’est encore plus détérioré quand les écoles ont dû demander et obtenir une autorisation parentale pour mettre un pansement sur le petit bobo d’un élève, sans pouvoir informer les parents de dangers bien plus graves encourus par l’enfant. "Bon Sens" a perdu la volonté de survivre quand des criminels recevaient un meilleur traitement que leurs victimes. Il a encore pris des coups quand cela devint répréhensible de se défendre contre un voleur dans sa propre maison et que le voleur pouvait porter plainte pour agression. "Bon Sens" a définitivement perdu sa foi quand une femme qui n’avait pas réalisé qu’une tasse de café bouillante était chaude, en a renversé une petite goutte sur sa jambe, et pour cela a perçu une indemnisation colossale. La mort de "Bon Sens" a été précédée par celle de ses parents : Vérité et Confiance, de celle de sa femme Discrétion, de celle de sa fille Responsabilité ainsi que de celle de son fils Raison. Il laisse toute la place à ses trois faux frères : "Je connais mes droits", "C’est la faute de l’Autre" et "Je suis une victime".
Mais " l’enfer c’est les autres "... (Sartre)