RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher
Il y a cent ans mourait le génial écrivain hispano-paraguayen (1876 - 1910)

Gallinacés (Rebelion)

Aussi longtemps que je ne possédais que mon lit de camp et mes livres, j’ai été heureux. Aujourd’hui, je possède neuf poules et un coq et mon esprit n’est pas en paix.

La propriété m’a rendu cruel. Chaque fois que j’achetais une poule, je l’attachais, deux jours durant, à un arbre pour lui apprendre mon domicile et détruire dans sa mémoire fragile l’attachement à sa demeure antérieure. J’ai réparé la clôture de ma basse-cour pour éviter l’évasion de mes volatiles et l’invasion des renards de quatre et de deux pattes. Je me suis isolé. J’ai fortifié la frontière. J’ai tracé une ligne diabolique entre mon prochain et moi. J’ai divisé l’humanité en deux catégories : moi, maître de mes poules, et les autres, qui peuvent me les ravir. J’ai inventé le délit. Le monde m’est apparu plein de voleurs en puissance et pour, la première fois, j’ai porté de l’autre côté de la palissade un regard hostile.

Mon coq était trop jeune. Le coq du voisin a sauté par dessus la clôture ; il a fait la cour à mes poules et il a empoisonné la vie de mon coq. J’ai jeté dehors l’intrus à coup de cailloux, mais mes poules, elles, ont sauté la palissade et sont allées faire leurs oeufs chez le voisin. J’ai réclamé les oeufs et mon voisin m’a maudit ; depuis ce jour, j’ai vu son visage par-dessus la palissade et son regard inquisitorial et hostile, exactement comme le mien. Ses poulets franchissaient la clôture et dévoraient le maïs mis à tremper que je destinais à mes poulets à moi. Les poulets d’autrui m’ont semblé criminels ; je les ai poursuivis et, aveuglé par la rage, j’en ai tué un. Le voisin a accordé une importance énorme à cet attentat. Il n’a rien voulu entendre quand je lui ai proposé une réparation pécuniaire. Il a relevé avec solennité le cadavre de son poulet et, au lieu de le manger, il est allé l’exhiber devant tous ses amis. Il s’en est suivi que la légende de ma brutalité impérialiste a fait le tour du village. J’ai été obligé de renforcer ma palissade et d’accroître ma surveillance. En somme, j’ai dû augmenter mon budget militaire. Le voisin possède un chien décidé à tout ; moi, j’envisage sérieusement d’acquérir un révolver.

Où est-elle mon ancienne tranquillité ? Je suis empoisonné par la méfiance et par la haine. L’esprit du mal s’est emparé de moi.

Avant, j’étais un homme ; maintenant, je suis un propriétaire…

Rafael Barrett

Rebelion http://www.rebelion.org/noticia.php?id=118841

(Publié dans El Nacional, le 5 juillet 1910)

Traduit par Manuel Colinas Balbona pour Le Grand Soir

URL de cet article 12273
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Même Thème
Sélection naturelle. Un roman capitaliste.
Alexandre Grondeau
John, Yan et Jean ont des quotidiens et des parcours professionnels très différents, mais ils arrivent tous les trois à un moment clef de leur vie. John est un avocat d’affaires sur le point de devenir associé monde dans un grand cabinet. Yan, un petit dealer toujours dans les embrouilles et les galères. Jean, enfin, est un retraité qui vient d’apprendre que ses jours sont comptés. Malgré leurs différences, ces trois antihéros se débattent dans les contradictions de la société de consommation, seuls (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

« Le combattant qui l’emporte est celui qui gagne la campagne de l’information. Nous en avons fait la démonstration au monde : l’information est la clef de la guerre moderne - stratégiquement, opérationnellement, tactiquement et techniquement. »

Glen Otis (Général US)

Comment Cuba révèle toute la médiocrité de l’Occident
Il y a des sujets qui sont aux journalistes ce que les récifs sont aux marins : à éviter. Une fois repérés et cartographiés, les routes de l’information les contourneront systématiquement et sans se poser de questions. Et si d’aventure un voyageur imprudent se décidait à entrer dans une de ces zones en ignorant les panneaux avec des têtes de mort, et en revenait indemne, on dira qu’il a simplement eu de la chance ou qu’il est fou - ou les deux à la fois. Pour ce voyageur-là, il n’y aura pas de défilé (...)
43 
La crise européenne et l’Empire du Capital : leçons à partir de l’expérience latinoaméricaine
Je vous transmets le bonjour très affectueux de plus de 15 millions d’Équatoriennes et d’Équatoriens et une accolade aussi chaleureuse que la lumière du soleil équinoxial dont les rayons nous inondent là où nous vivons, à la Moitié du monde. Nos liens avec la France sont historiques et étroits : depuis les grandes idées libertaires qui se sont propagées à travers le monde portant en elles des fruits décisifs, jusqu’aux accords signés aujourd’hui par le Gouvernement de la Révolution Citoyenne d’Équateur (...)
Le DECODEX Alternatif (méfiez-vous des imitations)
(mise à jour le 19/02/2017) Le Grand Soir, toujours à l’écoute de ses lecteurs (réguliers, occasionnels ou accidentels) vous offre le DECODEX ALTERNATIF, un vrai DECODEX rédigé par de vrais gens dotés d’une véritable expérience. Ces analyses ne sont basées ni sur une vague impression après un survol rapide, ni sur un coup de fil à « Conspiracywatch », mais sur l’expérience de militants/bénévoles chevronnés de « l’information alternative ». Contrairement à d’autres DECODEX de bas de gamme qui circulent sur le (...)
103 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.