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La fabrication à la chaîne des cerveaux dans la société française contemporaine et nos prédéterminations socio-historiques.

Aristote, l’un des penseurs antiques le plus célèbre de la philosophie politique occidentale que l’Histoire ait retenu, aurait écrit que "l’Homme est un animal social".

Vraisemblablement, cet homme écrivait à une époque où l’individualisme généré par la globalisation néolibérale et l’esclavage aliénant sans chaînes des temps modernes n’existaient pas encore. L’Homme d’aujourd’hui est certes un animal social par nature, puisqu’il a besoin d’échanger avec ses semblables pour se cultiver, se développer, survivre, et l’environnement devient hostile pour qui vagabonde en autarcie. Mais l’humain est surtout devenu un animal moderne drogué à la technologie, et à la multitude de petits gadgets électroniques (GPS et autres passes temps reliés aux satellites, aïe phone, aïe pad, aïe pod) dont on parvient à se convaincre qu’ils sont utiles à l’évolution humaine une fois qu’écoulés sur le marché des biens, que les nouveaux besoins créés par les entreprises ont été comblés.

C’est l’Histoire d’un animal aveuglé qui vit le fil à la patte, par procuration, connecté à la matrice du système dans un cyberespace numérisé où l’échange, en phase de désolidarisation chronique, s’organise désormais seul, les yeux rivés devant un écran à communiquer virtuellement sous surveillance pour satisfaire des besoins sociaux biaisés dans une spirale chronophage. Le lien social et les relations humaines qui l’accompagnent au 21ème siècle, articulés autour des échanges virtuels, relèvent plutôt de la pathologie collective et chronique d’une apocalypse sociale que d’une société en émancipation. Ce que l’on nomme progrès technique permettant de démocratiser l’accès des biens, (et pérenniser le pouvoir des entreprises et leur totalitarisme économique), et dont l’humain aurait pu s’en servir plus intelligemment, est le vestige d’une belle route délabrée parsemée de crevasses dans un paysage chaotique, et dilapide chaque jour un peu plus les sentiments collectifs d’appartenance à des classes sociales. Le système d’économies d’échelle (productivisme, abondance des produits sur un marché, forte offre stimulant la demande et baisse graduelle des prix de vente, consommation accrue, et excédents nets d’une entreprise plus important permettant soit l’investissement, soit l’embauche) permettant l’accès aux biens de consommation secondaires à plus de population peut-être bénéfique, mais en étant en conséquence, nombreux à être reliés sous hypnose à la même machine, le virage vers l’autisme social est facile à prendre. Sans parler des dangers que provoquent le productivisme pour les écosystèmes qu’il ravage, cela éloigne des esprits des dominés leurs ennemis jurés de classe qui, toute lutte sociale considérée par leurs maîtres comme datant d’un autre siècle, obtiennent légitimité et impunité pour oppresser, exploiter, assassiner.

Dans l’hypnose collective, psychotique, autoalimentée par un système schizophrène vendant du rêve vicié en spots publicitaires, tel un psychiatre refourgue des neuroleptiques à ses malades, la mondialisation de la cécité impliquée par le système capitaliste néocolonialiste permet de faire croire à une antilope apeurée que la lionne qui lui court après ne lui veut que du bien. Et nous marchons, tête baissée, dans l’espoir de rejoindre la tête du cortège, pour parader et se pavaner avec ceux qui nous ont crevé les yeux.

Je sais que les lecteurs de ces paragraphes se diront qu’il s’agit encore d’un obscurantiste nihiliste refusant en bloc les progrès d’une société qui n’a jamais autant créé de richesses et proposé de confort et de bien-être sanitaire, social et matériel à sa population…du moins pour ceux qui comme nous, avons la chance d’être né sous ces latitudes. Autant répondre d’avance que ce n’est pas parce qu’on critique l’arrogance, le cynisme et le chantage de celui qui nous tend le pain que nous ne le mangeons pas. Et d’ajouter qu’il serait temps de savoir utiliser les moyens de production de notre temps d’une manière saine, équitable, écologique, et dans un sens de redistribution à tous des fruits de la richesse produite, au lieu de laisser les renards décider de la vie ou de la mort des habitants de la bergerie.

Revenons à nos moutons, il est, de fait préférable que chaque cerveau soit le plus souvent branché sur ces appareils qui rythment nos vies, car chaque seconde, chaque minute qui s’écoule devant un gadget technologique est du temps de réflexion en moins pour penser à une autre société moins destructrice, moins déshumanisante. Donc du temps de gagné pour le système global capitaliste. Bien heureusement, cette addiction à la technologie n’a pas contaminé tout le monde. Mais cette pathologie cancéreuse de l’échange social touche de plus en plus de personnes. Encore faut-il savoir se servir à bon escient des fruits donnés par l’arbre malade qu’est le système productif. Même le temps passé prostré devant cet écran à rédiger ce modeste article est un frein à l’action collective, puisque son auteur demeure figé, statique comme une pierre, et ces quelques mots n’ont aucune influence pour construire un monde meilleur dans l’immédiat, si ce n’est que les mots qu’il contient peuvent juste espérer un jour servir à faire tomber quelques pierres de l’Empire Babylonien.

La société et ses milliers d’acolytes publicitaires en spots de chimères moisies à revendre, ses agents bancaires de la rareté, et ses chiens policiers sont plus forts que l’individu. Ils ont éloigné de son champ de vision ses propres formes élémentaires de la vie sur Terre. L’Homme ne devient qu’une machine à exécuter de l’ordre hiérarchique facilité par des siècles de peurs construites, entérinées par l’Histoire et concrétisées par les systèmes d’information en tous genre. L’individu moderne est libre, tant qu’il ne s’arroge pas le droit de déroger à des règlementations qu’il n’a lui-même pas choisi, il peut courir à loisir tout le long d’une corde dont la longueur a été préalablement déterminée, et ne doit pas en tomber, au risque de se transformer en vulgaire appât pour les fauves en bas, qui rodent au sol. Il est un animal qui vit par procuration dans une illusion de liberté, légitimant la suprématie de ceux qu’il ne peut récuser que silencieusement et en surface dans les sphères autorisées. Il paraît que cela se nomme la démocratie. Et la société est là pour lui rappeler qu’il est sanctionné parce qu’il faut veiller au respect de l’État, de la propriété privée, de la loi, ces choses présentées comme garantes de l’intérêt général là où ils oeuvrent pour satisfaire l’intérêt privé d’une riche caste dominante et peu nombreuse dont nous devrions tous nous méfier au lieu de l’aduler. Cette société du rêve périmé réoriente constamment le bas de la pyramide dans des sentiers bien spécifiques pré tracés, pré mâchés, et chamboule les comportements politiques et sociaux en permanence. Mais pour autant, il est heureusement encore possible, d’utiliser cette société intelligemment en ne regardant pas forcément en l’air lorsque le sage pointe son doigt vers le ciel, autrement dit, pour qui refuse la voie dominante de la surconsommation et de la stérilisation lente et organisée des opinions, il est encore possible de se chercher des voies différentes pour dériver des schémas de vie conformes et conventionnels…tant que penser de manière dissidente et le montrer en public ne fait pas l’objet d’une comparution au tribunal, d’une éviction, ou d’une disparition.

A défaut de pouvoir faire sauter les donjons institutionnels de l’Empire du capitalisme sauvage, nous ne pouvons donc qu’apporter notre pierre à la renaissance d’une conscience collective non tronquée, en écrivant, en militant dans les associations, en développant des projets alternatifs, maigre contribution pour espérer en finir un jour avec le bruit des bottes que le peuple français est d’ailleurs en train de réentendre. L’Histoire institutionnelle, quelques franges de l’héritage idéologique apporté par les penseurs du passé, et plus particulièrement le manque de recul pris devant l’information et les images, soupe médiatique à objectifs de rentabilité servie brûlante quotidiennement, contribuent à la mortification de la conscience politique : de nombreuses personnes, quel que soit leur âge se désintéressent de ce qui les concerne, des questions économiques, politiques et sociales touchant au coeur même de leur vie quotidienne. Et l’on en vient à considérer comme normal que la politique soit un exercice professionnel surpayé, et non comme un acte citoyen de la vie quotidienne voué à être exercé par tout le monde. Ce fait même de laisser cette tâche aux spécialistes autorisés, socialement privilégiés et gavés en diplômes élitistes destinés aux plus hauts grades de l’État ou de l’administration, est en fait, un cruel détournement de la politique (dans le sens de la réflexion citoyenne et collective d’une même société). Ces lignes récolteront sans doute davantage de désaccords que d’opinions similaires, mais la hiérarchie institutionnelle telle que nous la subissons est l’héritage d’un passé qu’il est nécessaire pour le système de tronquer, falsifier à l’école, pour éviter que tous se posent véritablement la question de savoir dans quel monde on évolue.

Un animal social libre de penser ? Le conditionnement des individus par la société.

Afin de jouir d’une bonne intégration sociale et d’évoluer en phase avec sa société, l’individu doit interagir en permanence avec les autres pour ne pas être marginalisé. Tout Homme doté d’un langage, de capacités de réflexion servant à se bâtir des systèmes rationnels de libre pensée, engage alors une relation d’échange avec autrui dès lors qu’il communique. Dès lors, pour ce faire, nous dit-on, il doit avoir été suffisamment socialisé (il doit avoir appris les normes et valeurs de son environnement), et correctement éduqué. Littéralement préparé par les agents de socialisations dites primaire et secondaire, (famille, école, amis, cursus professionnel) à se conformer aux règles, normes et valeurs produites par la société dans laquelle il a émergé, le cerveau quasiment vierge de données va dès l’enfance devoir commencer à reproduire cette masse de codes transmis. Il va adopter inconsciemment des comportements conformes à l’abri de la contrainte sociale qu’on lui inflige par le rapport à l’autorité (du père, des pairs dominants, du professeur, du patron plus tard, etc.), et il va ainsi devenir ce que ses éducateurs ont voulu qu’il soit. L’enfant devient inconsciemment ce que l’on veut qu’il soit, intègre dans sa caste, non ce qu’il veut lui-même être dans la mesure où il n’est pas l’artisan de sa propre conscience, celle-ci lui est inoculée lentement par les personnes auxquelles l’on s’identifie. Notre pensée politique par exemple, s’articule autour de la pensée des parents, de la fratrie, ou des amis, de ceux qui ont le plus d’influence sur nous, les fondations de toute culture se forgent rarement par nous-mêmes.
Ce que nous faisons de par nous même, c’est se servir des outils transmis pour approfondir les bases de notre formation, et ce n’est pas une mince tâche, devant laquelle beaucoup lâchent prise. De cela, découle un phénomène d’imitation, une reproduction sociale plus ou moins forte selon le degré d’identification aux agents de socialisation. Un fils de professeur des universités ou un fils de cadre supérieur par exemple, ne devient rarement un ouvrier, puisque sociologiquement, (ou plutôt selon l’analyse sociologique que l’on préfère), ce fils de cadre aura reçu davantage de capital économique et social que le fils d’ouvrier (Bourdieu). Davantage d’accès à la culture, cela signifie beaucoup plus de chances d’accéder aux postes professionnels dominants. Par ailleurs, un enfant issu d’une famille politisée et appartenant à tel ou tel courant de pensée politique, aura plutôt tendance à cultiver plus ou moins la même politisation que ses ainés. Autrement dit, la pomme ne tombe jamais loin de l’arbre.

Chaque Homme, entité sociale unique et indivisible, consent à intégrer le rôle que société et institutions lui attribuent, et l’on s’engage à tenir ce rôle coûte que coûte auprès des autres, dans la crainte camouflée du contrôle social, qui exerce une coercition et une pression permanentes pour réguler les comportements dissidents non souhaités. La politique économique de la mondialisation néolibérale oeuvre à imposer à ses sujets subalternes un seul format de vie, les uniformisant dans un même pâturage pour tous (travail salarié, cadrage professionnel autour du monde de l’entreprise et des courbettes à la hiérarchie, course au profit vecteur de réussite sociale, etc.), et les citoyens dociles en retour fournissent à leurs maîtres bergers la légitimité du vote et leur consentement à survivre en bas de la pyramide. Et même si trois humains sur quatre consentent à obéir à ceux qui suppriment leurs droits fondamentaux pour protéger la propriété et la loi par la force militaire ou policière, dans l’oubli de l’article 35 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 24 juin 1793 (1), il faut constater qu’il est beaucoup plus rassurant de subir l’autorité d’un chef ou d’une institution en transférant à autrui la gestion de sa vie, plutôt que d’assurer sa propre prise en charge. L’individu dominé se fixe lui-même cette autocontrainte par réaction à ces pressions sociales pour se bâtir un semblant de liberté et d’apaisement, lui donner l’impression d’être libre là où il est pied et poings prit dans un étau qui se resserre peu à peu. Et les maîtres capitalistes du monde ne savent que trop bien que pour empêcher la révolte mondiale, et que celle-ci prenne de l’ampleur au Nord économique industrialisé, il suffit juste de fournir un minimum de subsistances à la population. Tant que l’Homme a un minimum à manger, il se contente de ce qu’il a, s’interdisant de se plaindre lorsqu’il imagine le sort de millions de personnes en Afrique soumises dès la naissance à la famine organisée. En revanche, il devient violent lorsque l’on retire le pain de la bouche du pauvre.

L’Histoire et son enseignement républicain, une formidable boîte à pensée commune.

L’Histoire est une science humaine qui, de fait, traverse les âges, et transcende la vie humaine, puisqu’elle existe avant la naissance, pendant la vie et après la mort de l’individu. Elle permet de comprendre le monde dans lequel on vit, et il est tout aussi passionnant pour qui s’y intéresse, de comprendre que le présent, le régime politique et économique actuel, les idéologies courantes, sont l’héritage de l’Histoire, et nous ne pouvons donc les comprendre qu’à travers l’analyse du passé.

Pour autant, c’est un tort de considérer cette matière comme une science figée, et il y a bien des raisons de se méfier de la manière dont cette discipline nous est inculquée en France (ou ailleurs), d’une, car elle est écrite par des humains, et que les théories développées sont toujours soumises à moult interprétations de la part du conteur. Secondement, car les humains qui écrivent, sélectionnent, voire glorifient l’Histoire, sont ceux qui auraient le plus intérêt à la modifier à leur avantage. C’est une bonne arme de poing pour une administration ou un dictateur, tel Big Brother dans 1984 de George Orwell par exemple, d’orienter le passé en supprimant les éléments néfastes à son pouvoir, pour changer les consciences du présent.

Imaginons un régime, même une idéologie, une oligarchie quasi dictatoriale au pouvoir depuis trois ans, qui méprise sa population, entame un programme sécuritaire d’expulsions sur "simple" bases ethniques, et qui, prostitué aux grandes banques de la mondialisation, saborde d’une manière autoritaire l’économie française autrefois basée sur un programme né après 1945 oeuvrant pour la redistribution des revenus envers les plus nécessiteux. Il est bien évident, que dans notre ère où toute politique sociale sera renversée, si besoin par intervention secrète des agents de la CIA, l’accent ne sera pas mis dans les discours politiques sur les acquis sociaux obtenus dans les années du Front Populaire, et ceux institutionnalisés par le CNR. A la trappe, le rôle des tirailleurs sénégalais et autres soldats africains de l’Empire colonial morts pour des idées, toutes autant aberrantes les unes des autres, de patrie, de solidarité envers la nation, de puissance de la France.

Oubliée aussi, la gratification et la reconnaissance des étrangers du sud (d’Europe, d’Afrique) ayant répondu à l’appel de la France après 1945 pour reconstruire un pays dévasté par six années de guerre, ce pays qui se charge avec véhémence aujourd’hui d’insulter et expulser sans vergogne du territoire leurs petits-fils. Afin que la majorité de ceux qu’ils considèrent comme des cons de citoyens versatiles à opinions façonnables votent à nouveau pour les maintenir en haut de la pyramide politique dans deux ans, les experts en communication auprès du Présidictateur devront bien évidemment veiller à ce que les aspects historiques qui concernent une "réforme"/cassure soient passés sous silence, ou évoqués dans le flou. Par exemple, il suffit de simplifier le vocabulaire pour rendre le discours plus fluide, les cerveaux davantage perméables. Parler de plan social, de rachat ou de restructuration plutôt que de nettoyage, d’opération de licenciements. Faire passer le flicage et la surveillance systématique des individus pour de la sécurité. Pourquoi ne pas associer par exemple le programme des socialistes ou du Conseil National de la Résistance à de l’assistanat, terme à connotation péjorative et médiatiquement connue, pour que le lecteur non spécialiste d’Histoire sociale et politique de son pays approuve en bloc le non sens flagrant proféré (en toute conscience ?) par le dirigeant politique ou le journaliste. Ce ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres qui régissent l’art de l’exercice de la politique en France.

Avoir le contrôle du passé, c’est posséder le contrôle du présent et du futur, écrivait George Orwell. Il ne croyait pas si bien dire. L’Histoire est indissociable de la propagande, en ce qu’elle est le moteur central de la propagation des idées et de leurs croyances fermes, de droite ou de gauche. Tout, et spécialement en politique, tout provient de l’Histoire. Les dogmes religieux, le droit, la justice, le vote, la démocratie, le système de représentation politique, les sondages, les idéologies politiques, les rapports de force inégaux existants entre travailleurs et dirigeants dans l’entreprise, l’actionnariat, la condition sociale des individus et leur place dans la hiérarchie sociale, etc., rassemblent d’innombrables paradigmes et valeurs communément partagés qu’il est souvent considéré comme dangereux et extrémiste de remettre en cause. Nous sommes depuis la naissance habitués à exécuter et reproduire des règles de conduite, et notre conscience, notre culture s’est construite autour de la socialisation reçue différemment selon le milieu d’origine sociale. Nous aussi, sommes donc modelés, habitués à croire des notions prémâchées, précuites, prédites sans en vérifier sources et fondements, de telle sorte que ce que l’on tient pour étant la vérité, n’est en fait peut-être qu’une théorie publiée par un groupe d’individus puissants qui sauvegardent leurs intérêts de classe. Loin d’être une théorie du complot, deux individus qui racontent une histoire ne la relateront pas de la même manière...Il en est de même pour tel ou tel gouvernement, qui fomente les programmes scolaires selon telle ou telle vision de l’État, des institutions, de l’histoire économique et sociale du pays.

Sous nos latitudes, il est important de maintenir un maximum de personnes dans des mêmes formats, pour qu’ils puissent être réceptifs en masse aux dogmes et qu’ils croient aux clivages idéologiques sur l’échiquier politique. Alors que certains récits de flagrante désinformation devraient être remis en cause, ne serait-ce que par culture du doute rationnel, ils sont lus, crus, considérés comme étant des axiomes inaliénables, des explications du passé tellement martelées dans le même sens que l’on finit par les considérer comme des vérités collectives. Joseph Goebbels, ministre de la propagande et de l’éducation du peuple au Troisième Reich allemand, sans qui le régime nazi n’aurait jamais pu s’établir, disait (en se servant des écrits d’Edward Bernays, théoricien américain de la propagande en démocratie) qu’en martelant qu’un rond est un carré, les gens trouveront l’idée absurde au début, mais qu’à force, ils finiront par le croire, et se disputeront avec ceux qui affirme le contraire. Tout est dans le vocabulaire et la représentation que l’on en fait.

Quelques exemples d’interprétations de l’Histoire menant à des non-sens :

Il y a dans l’enseignement de l’Histoire des non sens que l’on tient aisément pour étant la vérité : pour ne citer que quelques exemples, (il faudrait une vie entière, des thèses et des bibliothèques complètes pour tout énumérer), il est d’usage de penser que le 14 Juillet 1789 fut une révolution abolissant la monarchie et les privilèges, un truc de gauche républicaine donnant le pouvoir et la démocratie au peuple. Qu’avec la révolution française, le Tiers-État allait enfin pouvoir s’affranchir de la division en trois ordres, et en tirer bon parti. Les constitutionnalistes de 1946 et 1958 ont été inspirés des écrits des philosophes des Lumières ayant préparé l’opinion publique à la révolution française. Même les prophètes du socialisme libéral, dont la verve bo-boïsante se répand dans les esprits depuis mai 1968, se réclament non du droit des travailleurs à jouir d’une vie égale pour tous et de la lutte des classes, mais de l’individualisme libéral prôné par les Lumières du 18ème siècle.

Lorsque l’on se penche sur les idées de Montesquieu, Rousseau, ou Locke, on s’aperçoit que la révolution qui s’en inspire vingt ou trente ans après leur mort, n’allait pas avoir pour objet de supprimer les privilèges, mais de faire en sorte que le pouvoir soit confié non pas à une dynastie, une famille royale, mais une catégorie d’élites bourgeoises légitimant leur pouvoir par l’argent et la possession. J. Locke, par exemple, prônait la liberté politique. Sa théorie peut être vue comme antimonarchiste, libérale et démocratique, sauf que l’axe majoritaire de sa philosophie politique voulut obtenir la liberté politique pour sauvegarder l’aristocratie et la propriété privée. Montesquieu pensait à un régime plutôt républicain, géré par les aristocrates, à l’abri des révoltes et de l’ignorance estimée du peuple, avec une séparation des pouvoirs attribuée à un corps politique de notables et de riches cultivés, préalablement sélectionnés. Pour J.J. Rousseau, il faut une société par laquelle chaque individu s’émancipe à travers un pacte commun tacite prit dans le respect de la loi, qui émane de la volonté générale : le contrat social protégeant tous les individus de l’arbitraire. Dans cette philosophie de la société, une grande majorité du peuple doit s’incliner devant la loi puisqu’elle est prise par la majorité des individus, ce qui en fait, ne supprime pas l’arbitraire de la loi, bien au contraire. (Si une loi émerge selon lui, elle est le fruit de la collectivité, si on s’y oppose, c’est que nous sommes dans l’erreur et nous devons nous plier à la loi de la communauté). Évidemment, l’oppresseur n’a de sentiment d’être arbitraire, et même le pire des dictateurs pourrait dire qu’il veille aux soins de sa population…tant qu’elle n’est pas dissidente. Hitler et Staline protégeaient la liberté d’expression…de ceux qui ne s’opposaient pas au régime. Bref, en transposant ces idées des Lumières à nos jours, l’on peut aisément se demander où est la volonté générale dans la loi, quand elle est décidée par un très maigre pourcentage de la population d’un pays. On se rend surtout compte que ces auteurs parlaient non de la liberté, mais de la leur, celle de l’aristocratie.

Ces auteurs que notre Histoire a tenus pour référence partaient de l’idée que la démocratie, gouvernement et souveraineté confiée au peuple, était dangereuse et démagogique, que la loi est la seule autorité souveraine, et que celle-ci devait être dévouée aux riches cultivés plutôt qu’aux masses stupides, ignares. L’objectif était, comme les Pères fondateurs aux États-Unis en 1776, d’éviter par tous les moyens que le putsch de 1789 ne se transforme en insurrection populaire où le pouvoir politique serait transféré au peuple majoritaire. Voici donc comment, dans la crainte des révoltes, et pour canaliser le peuple, ont été institutionnalisées la séparation des pouvoirs, le vote censitaire, la nomination ou l’élection d’hommes politiques dits représentants du peuple (ministres, députés, préfets, maires). Ce que nous appelons donc démocratie par vérité historique n’est pas la démocratie, et a été vidé de son véritable sens au moment où celle-ci commençait à gagner du terrain. La démocratie telle qu’elle est décrite aujourd’hui, c’est obtenir du peuple son consentement à vivre sur du temps emprunté, et considérer le passé comme étant une succession de régimes tests, et que, en France, le meilleur des mondes arriva enfin en 1871 avec la Troisième République. Lorsque l’on appose la marque du mot démocratie sur les pages des constitutions, c’est un peu comme tenir fermement un chat dans ses bras, l’empêcher de s’en aller et affirmer que celui-ci est entièrement libre de tout mouvement.

Un autre exemple frappant touchant au passé proche de notre continent, est celui de la manière dont est racontée la Guerre 1939-1945, notamment sur ce qui touche à la dictature totalitaire nazie. Bien entendu, il ne s’agit pas d’humaniser un monstre historique, ni de remettre en cause des faits que l’on a pas vécu… justification primordiale à une époque où l’on est vite accusé de tenir des propos révisionnistes, voire négationnistes ou antisémites.

Durant les années 1930 en France, les capitalistes et les fascistes luttaient contre le Front Populaire socialiste de Léon Blum, et ont tenté (avec succès) de le renverser, notamment par le biais de calomnies et de violence nationaliste antisémites dans la presse (L’action française de Charles Maurras), ou des ligues d’extrême-droite. Les livres d’histoire diabolisent la montée du fascisme en Allemagne, Espagne et Italie, mais omettent que la France, a aussi son lot de honte fasciste et de responsabilité dans le déclenchement de la guerre. Et ensuite, le régime de Vichy, la Gestapo ont sans doute travaillé bien au-delà des attentes d’Hitler à propos de la collaboration et ce qui en suivit de rafles, et de soumission à l’égard des allemands.

A propos de l’ascension des fascismes grâce à la récupération des idéologies socialistes dans toute l’Europe, les manuels d’Histoire traitent cette période comme des faits que les gouvernements successifs n’ont pu empêcher. En ce qui est de la France, il était beaucoup plus souhaitable pour les élites gouvernantes des années 1930 de laisser la guerre éclater que de tout faire pour conserver à tout prix la vie des sociétés civiles et la paix. Le fascisme et la guerre sont des bons moyens pour les entreprises de générer du bénéfice, et cela permettait de pallier à la crise de 1929, par la participation forcée de tous à l’industrie de l’armement et de la mort. On le conçoit, une entreprise ne fonctionne pas comme un État, elle doit faire du profit pour exister, et n’a que faire d’où provient l’argent, et un régime totalitaire qui supprime tous les droits sociaux est plus rentable qu’un autre qui les protège. Les entreprises publiques Renault, et la SNCF, qui transportaient, entre autres, armes, soldats, aidaient à la déportation en Pologne, et à l’envoi au Système de Travail Obligatoire pour le compte du Reich, ont du tirer des sommes faramineuses de cette logistique malsaine. Outre Atlantique, la société IBM, dont le siège social est pourtant établi dans un des pays dits démocratique, fournissait à l’Allemagne une aide considérable dans le repérage des juifs grâce au système de cartes perforées qui permettait plus facilement de recenser les populations juives d’Europe.

La question finale sans solution que l’on peut se demander, c’est que sans l’aide de ces entreprises des pays "alliés", ce génocide alimenté et soutenu de toutes parts, que l’on nous présente, en se lavant les mains, comme émanant uniquement d’une politique raciste et totalitaire, aurait-il pu être évité si les élites des pays dits démocratiques avaient réagi différemment ?

Ainsi donc, les élites françaises ont préféré adopter la politique de l’autruche, plus joliment dénommée politique d’apaisement, sous l’instigation du britannique Chamberlain dès 1938 aux accords de Munich, avec pour argument que leur engagement dans la lutte antifasciste aurait généré, de toute façon, une guerre contre les puissances de l’Axe. Cet argument est contestable, puisqu’une fois que les soldats d’Hitler aient envahis la Pologne, ce sont la France, le Royaume-Uni, l’Australie, et la Nouvelle-Zélande qui ont lancé l’ultimatum, puis déclaré la guerre à l’Allemagne le 3 septembre 1939. Non l’inverse. Évidemment, Hitler, imbu de sa folie meurtrière et de sa volonté de conquérir l’Europe aryenne et germanique pour mille ans, aurait sans doute fini par déclencher lui-même la guerre. Mais fin stratège, ce monstre totalitaire attendit de se faire agresser pour obtenir auprès de son peuple la pleine légitimité et mener à bien son programme idéologique. En 1945, (ou bien avant pour bien des personnes), les allemands se sont rendus compte qu’ils avaient eu tort d’élire en 1933 un Adolf Hitler chancelier d’Allemagne, chef d’un parti national socialiste qui allait, dans les discours, démanteler l’économie capitaliste et ses échecs de 1929, supprimer la précarité et remettre l’Allemagne sur la voie de la prospérité économique. Pour autant, il est possible que nombre d’allemands, lavés par la désinformation du Reich, se sentaient pacifiques, puissants et libres, ne se rendant pas compte qu’ils vivaient dans un pays absolument haineux, meurtrier et totalitaire. Et dans la France de 2007 ? Nous n’en sommes pas encore là heureusement, mais en 2007, lorsque le mythe d’une présidence du pouvoir d’achat accru, du bonheur et pourquoi pas de la liberté sans exploitation tant qu’on y est (oui, au moins 45 millions de français croient encore que la liberté s’acquière par le vote), faisaient lorgner plus d’un électeur sur les urnes bleues, parler de dictature molle était encore considéré comme faire un raccourci abusé, trois ans plus tard, parler de dictature ethnique, policière et de république bananière corrompue est devenu un simple triste constat. La dictature, c’est toujours réservé aux autres pays, mais nous ne nous rendons pas compte qu’il en est de même au pas de notre porte.

Mais comme disait J. Ferrat, «  le sang sèche vite en entrant dans l’Histoire  ». Il ne faut cependant pas oublier que ce genre de scénario macabre, à savoir la montée en puissance d’idéologies xénophobes menant à des purges ethniques, facilitées par les systèmes de manipulation et de propagande pour noyer les consciences, et travaillant de concert avec les grandes multinationales mondialisées, n’est pas un phénomène justement, enfoui dans les méandres des livres d’Histoire qui n’arrivera plus. Qui aurait dit, avant le sarkozysme, et le durcissement électoral d’extrême-droite nationaliste de la politique sécuritaire à l’été 2010, qu’en France, un triste parallèle aurait pu être établi entre les stigmatisations ethniques et religieuses du régime nazi, et la hargne que peut avoir un gouvernement autoritaire à expulser de France des populations sur simples critères ethniques ? (Et pour que même la commission européenne dénonce cette politique, c’est que le malaise est grand…)

Précisons ici tout de même, à l’instar de l’amalgame fait par tous les journalistes de grande audience, que les Roms ne sont pas des gens ayant émigré de la Roumanie vers d’autres frontières, mais des populations n’ayant jamais eu de pays particulier, ayant toujours vogué de contrées en contrées. Renvoyer des Roms en Roumanie et Bulgarie en 2010, c’est comme dire dans l’Allemagne de 1920 à 1945 que la Grande Allemagne n’est pas le pays des juifs. Cela n’a, pour résumer, aucun sens, et heureusement, la ficelle, si grosse soit elle, n’étrangle pas tout le monde.

Les patibulaires dignitaires réactionnaires du pouvoir politique actuel déterrent de l’Histoire des modes de gouvernance délétères et récupèrent des messages nauséabonds à caractères ultra-sécuritaires pour réhabiliter la peste brune, la rendre propre à la consommation, et enfouir ainsi toute lutte sociale au cimetière de la pensée critique. Quand la petite oligarchie française aguiche sans vergogne le client-électeur pour se maintenir au top du classement des corrupteurs, Mr Woerth et L. Bettencourt en grands champions, comme une femme de petite vertu ferait quotidiennement sur son lieu de travail… Lorsque l’aura d’un bon orateur aura fini par toucher toutes les foules qu’il harangue savamment faisant passer des insanités nationalistes pour des nécessités à négocier dans l’urgence, et quand le dessein de la politique ne se résumera qu’au cynique cirque du triptyque travail-sécurité-patrie… Alors il sera déjà trop tard ce jour là pour réveiller nos âmes serviles de moutons babyloniens et s’affranchir de nos traitres maîtres, car nous serons tous des esclaves aux chaînes invisibles, surveillés, numérotés et numérisés comme un code barre sur un emballage, face aux rois invincibles dont les génocides impassibles demeureront à jamais impunis. Espérons que la mayonnaise ne prendra pas. Mais comme se choisir des chefs est un acte paraît-il rassurant pour l’être humain depuis Aristote, ce n’est pas non plus demain que l’autorité du pouvoir s’agenouillera devant l’égalité pour qu’enfin la liberté soit la plus grande de toutes les valeurs socialement partagées.

L’autre monde possible tant prêché par les militants de gauche du monde entier, affranchi des grands consortiums d’empires économiques mondialisés qui réduisent à l’esclavage des milliards de salariés sous-payés, ne se construira pas en un battement de cils, par des mots et des débats militants de comités réduits... Nous sommes 80% de la population mondiale à vouloir faire tomber ce royaume des vandales, et pour autant, nous sommes tous seuls devant ce sentiment d’incapacité à faire bouger les lignes. Et cette solitude collective n’est pas prête de devenir une fédération unie de peuples ayant plus ou moins les mêmes desseins, ceux de faire tourner la roue dans l’autre sens. Qu’adviendra-t-il si un jour cette roue change de sens ? A chaque bouleversement transnational, les opprimés, vengeurs d’avoir souffert se retrouvent historiquement oppresseurs à leur tour, il paraît qu’il est dans la nature humaine que de prendre l’ascension sur des faibles que l’on se crée.

L’Histoire retrace les évènements économiques, politiques et sociaux qui régissent les Hommes à telle ou telle période, et l’on pense toujours qu’un jour, l’on parviendra à tirer des leçons des erreurs de nos ancêtres. A voir la manière dont celle-ci se répète indéfiniment, il y a bien des dimanches où l’on devrait penser aux leçons à tirer de l’Histoire plutôt que se déplacer à la mairie pour déposer un bulletin dans une urne…

Samuel MOLEAUD
http://sam-articles.over-blog.com

1. Article 35 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 24 juin 1793 : «  Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus responsable des devoirs. »

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"Pourquoi les pauvres votent à droite"
Thomas Frank
Titre original : What’s the matter with Kansas ? (2004, 2005, 2007) Traduit de l’anglais par Frédéric Cotton Nouvelle édition. Première parution française dans la collection « Contre-feux » (Agone, 2008) À la fin des années 1960, la concurrence internationale et la peur du déclassement transforment un populisme de gauche (rooseveltien, conquérant, égalitaire) en un « populisme » de droite faisant son miel de la crainte de millions d’ouvriers et d’employés d’être rattrapés par plus (…)
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"Nous avons abattu un nombre incroyable de personnes, mais à ma connaissance, aucune ne s’est jamais avérée être une menace"

Stanley McChrystal,
ex Commandant des forces armées U.S en Afganistan
(Propos rapportés par le New York Times, 27/3/2010).

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