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Le temps qu’il reste… pas des masses, pour Israël.

Cette année, le Festival du Film Palestinien à Londres a ouvert avec
la dernière oeuvre d’Elia Suleiman, Le Temps qu’il reste (105min), une
monumentale réflexion poétique sur la Palestine depuis 1948.

Le dernier film de Suleiman me fait penser au livre de Ramzy Baroud,
Mon père était un combattant de la liberté[1]. Chacune des deux oeuvres
retrace une exploration personnelle et dévastatrice de la
désespérance. Toutes deux sont saturées d’échecs et de trahisons à 
répétition. Baroud et Suleiman sont assez courageux pour critiquer
leur "récit collectif’, mais ils pimentent leur histoire avec un
esprit, un espoir et un humour stupéfiants. Ils vous font rire juste
au moment où vous alliez fondre en larmes.

Comme Baroud, Suleiman juxtapose le voyage palestinien du paradis vers
l’enfer à l’imaginaire sioniste du retour de "l’enfer’ vers "l’Eden’.
Les images terribles de dépossessions et tortures en Palestine
s’intercalent avec des scènes où l’arrogance, le pillage et le sadisme
israéliens s’en donnent à coeur joie. Ce mouvement croisé des deux
peuples est essentiel pour comprendre le conflit. Autant l’expulsion
de Palestine est concrètement et profondément ancrée dans la
conscience de chaque Palestinien, autant le "retour chez soi’ de
l’imaginaire juif, le voyage de "l’enfer hostile de la diaspora’ vers
"l’Eden sioniste’, s’est révélé hasardeux, voire impitoyable, pour les
juifs.

Il est manifeste que les Israéliens n’ont jamais réussi à faire de la
terre sainte leur "patrie’. Ils sont étrangers à sa nature, ils ont
empoisonné le sol et pollué les rivières, ils ont ravagé le paysage
avec des murs de béton gigantesques et de monstrueuses colonies, mais
pire encore, ils ont éradiqué la civilisation palestinienne, ou du
moins ont tenté de le faire. En fait, cette façon unique qu’ont les
Israéliens d’être "séparés’ est le point de départ du film de Suleiman.

Avec Suleiman lui-même, assis, silencieux, à l’arrière d’un taxi
flambant neuf, nous voyons un chauffeur israélien qui se prépare pour
un périple. Par son système de communication radio, il prévient sa
station, « n’essayez pas de me contacter, je pars pour une longue
course.. ». Dès les premières secondes du voyage, un orage éclate,
avec des éclairs, du tonnerre et une pluie battante. Notre chauffeur
israélien est totalement désorienté, il n’y voit plus, il ne sait plus
où il est, il n’a plus d’essence. Il ne tarde pas à arrêter la voiture
et se rend compte alors que la radio est morte. Il perd son sang
froid, « Mais qu’est-ce que je fous là , moi ? Où je suis, là  ? Mais
pourquoi je suis venu là , d’abord ? ». Le chauffeur israélien est
bloqué au milieu de la nuit et de nulle part. Il est isolé, sans radio
ni essence, sur une terre inconnue qui était supposée être sa terre
promise. Il est isolé mais il n’est pas seul. Il a un passager
palestinien silencieux, assis confortablement à l’arrière et qui le
regarde.

L’allégorie est assez évidente. Les sionistes voulaient tellement
croire que leur projet de "retour chez soi’ était un voyage de
"l’enfer de la diaspora’ vers un "abri garanti’, qu’ils sont devenus
prisonniers de leur aspiration immorale et fatale. Gorgés de pouvoir,
surchargés d’armement étazunien, ils conduisent un Hummer tout neuf,
traversant dans l’obscurité un terrain étranger et hostile, ils ne
savent pas où ils vont, ils n’ont presque plus d’essence et ils ne
savent pas pourquoi ils font ça. Toutefois, une chose est certaine,
ils ont un passager palestinien silencieux, assis confortablement à 
l’arrière. Ce dernier, comme nous tous, les observe dans leur déchéance.

Suleiman offre une lecture critique de la société palestinienne. Il
touche certains des sujets les plus douloureux, il examine les
collabo, il affronte la lâcheté, il aborde les pulsions maniaco-
dépressives qui font partie de la culture arabe, et pourtant, malgré
tout cela, il y a de l’espoir en lui. Aussi miraculeux que cela puisse
paraître, la Palestine semble triompher.

Dans la chronique filmée de Suleiman, nous suivons le reportage d’une
armée criminelle, organisée, qui combat la résistance éparse des
civils. Nous voyons les soldats des FID[2] piller, terroriser et
torturer la population civile, nous voyons les fiers habitants devenir
une minorité vaincue sur leur propre terre, des enfants palestiniens
chanter des chants sionistes à l’école devant un ministre israélien
ravi. Puis, on nous montre les soldats des FID tirant sur ces enfants
quand, devenus adolescents indomptables, ils lancent des pierres.
Ensuite Suleiman nous emmène au coeur de l’actuelle Ramallah, où nous
voyons des Palestiniens vivre plus ou moins dignement, en célébrant
d’une manière ou d’une autre leur culture arabe.

Toujours à Ramallah, nous assistons à une scène qui donne à réfléchir
parce qu’elle éclaire sous un jour différent le rapport de force entre
Israéliens et Palestiniens. Alors qu’un tank Merkava envahit la
totalité de l’écran, nous remarquons un jeune Palestinien qui sort de
chez lui pour aller vider la poubelle. Le tank israélien s’arrête. Son
canon suit la tête du jeune homme tandis que celui-ci marche vers le
container à ordures. C’est une image pénible à regarder. Mais, alors
qu’il retourne chez lui, le jeune Palestinien reçoit l’appel d’un ami
sur son téléphone portable. Le jeune reste alors dans la rue,
bavardant joyeusement avec son pote. Pendant tout ce temps, le canon
du Merkava suit le moindre de ses déplacements, ressemblant de plus en
plus à la parodie du pouvoir israélien. A aucun moment le jeune
Palestinien ne prête la moindre attention au canon de gros calibre qui
reste pointé sur sa tête, où qu’elle soit. Le pouvoir de dissuasion
israélien ne semble plus intéresser que les historiens.

Le message de Suleiman est clair. Pour perpétuer le projet national
juif, Israël pourrait bien devoir assigner un tank à chaque
Palestinien. Mais il va plus loin. Tandis que le jeune Palestinien est
debout et dehors, profitant librement du soleil méditerranéen, quatre
soldats israéliens, probablement du même âge, sont enfermés dans un
tank Merkava. Les Israéliens sont coincés par une impitoyable et
néanmoins futile idéologie qui ne mène nulle part. Ils sont assujettis
à un jeune homme qui ne prend pas la peine de leur jeter ne serait-ce
qu’un coup d’oeil. Les soldats israéliens sont privés de la lumière du
jour. Ils voient la vie à travers leur périscope militaire. Le tank
Merkava peut-être interprété comme une métaphore de la mentalité
israélienne de ghetto. Cependant, en ce qui concerne Israël, le
Merkava n’est pas qu’une métaphore, ce n’est pas seulement du
symbolisme, c’est la réalité vraie de l’état juif et de l’être juif
politique. Les Israéliens s’enferment eux-mêmes derrière des murs de
séparation ou dans des tanks et des bunkers.

Alors que dans son film précédent, la victoire nécessitait une
Intervention divine, dans celui-ci, le brouillard se dissipe. Les
Palestiniens semblent gagner simplement parce que les Israéliens sont
condamnés à perdre. Les Israéliens sont victimes de leur propre
brutalité implacable. Plus ils sont sinistres, plus ils sont
tourmentés par la peur qu’ils s’infligent eux-mêmes. La paranoia
israélienne est une affaire de projection. Ils pensent, « si d’autres
sont aussi brutaux que nous, nous allons vraiment au devant de graves
ennuis ».

Symboliquement, Suleiman est de Nazareth, ce qui peut rappeler à 
certains d’entre nous qu’un autre, de cette même ville, a fait, il y a
juste 2000 ans, une critique très semblable du tribalisme juif. Israël
est effectivement enfermé dans le même cercle vicieux que ses ancêtres
imaginaires. Plus il devient barbare, plus il est terrorisé par sa
propre sauvagerie. Jésus avait vu ça. Aime ton prochain était sa
solution. Tends l’autre joue, affirmait-il. L’impossibilité pour
Israël de comprendre que la compassion est la solution, voilà le sens
de la tragédie juive. Nous avons affaire à la chronique en temps réel
d’un désastre imminent. Par ailleurs, dans sa description de
l’histoire récente de la Palestine, c’est la clémence des Palestiniens
que Suleiman met au grand jour.

Suleiman pourrait bien être le dernier maître du symbolisme poétique
au cinéma. Il réussit à propager le message le plus subversif par la
musique et le silence. Il transmet les idées philosophiques les plus
profondes à travers la moindre chorégraphie. Bien que le cinéma soit
un art principalement visuel, dans le travail de Suleiman l’oreille a
une importance prépondérante. La musique, les bruits et les rythmes
montrent ce qui « est invisible pour les yeux ». Le son est le lien
avec le passé. C’est l’oreille qui transcende pour nous le royaume de
l’universel. C’est l’ouïe plus que la vue, qui nous met en relation
avec notre passé, notre présent et notre futur.

Gilad Atzmon

Texte original :
http://www.gilad.co.uk/writings/not-much-time-remains-for-israel-a-film-review-by-gilad-atzm.html

traduit par Chris.

Pour voir la bande annonce du film :
http://www.youtube.com/watch?v=ZmUPHXAC3Lk

[1] My Father Was a Freedom Fighter.

[2] Forces de Defense Israéliennes (sic !)

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