Monsieur Fillon, sans doute un peu à court d’arguments pour défendre une loi qui ne l’enchante guère (sûrement pas plus que son supérieur hiérarchique d’ailleurs) a trouvé bon de la justifier par une formule peu académique : « l’enjeu en vaut la chandelle »
Pour mémoire, cette expression (en réalité plutôt connue sous sa forme négative « le jeu n’en vaut pas la chandelle »), voulait dire que pour un trop faible bénéfice possible, il ne valait pas le coup de dépenser le prix de la bougie censée éclairer les joueurs. Mais pour le premier ministre, cela veut sans doute dire autre chose : car la loi sur la burqa n’est pas exactement un jeu, et peut-être même un enjeu…celui de sa future candidature aux élections présidentielles ?
Car pour ce qui est de la dignité humaine, il faudra bien repasser ! le fait même qu’on se préoccupe tant de ce problème prouve bien à quel point d’une part la dignité de ses concitoyens lui importe peu (il y a quelques sujets concernant une plus vaste population à régler d’abord il me semble), et d’une autre qu’il fait peu de cas de la sienne propre. Il est bien évident que cette question du voile intégral n’intéresse personne d’autre que les quelques malheureuses deux mille femmes ayant à supporter ce fardeau, et à qui on imposera en plus de cela de se cacher chez elles pour éviter les amendes.
Et par ailleurs, qui se préoccupe de la dignité de la femme, alors qu’on a reconduit les prostituées dans des lieux sombres et distants, à l’abri des regards et du minimum de sécurité ? qui se préoccupe de la dignité des étrangers séparés de leur famille sous prétexte qu’ils n’ont pas de papier ? qui se préoccupe des sans-domicile qui dorment dehors ? de tous ceux qui se font humilier à leur travail, de ceux qui n’en ont pas, et de tous ceux qui souffrent des injustices de ce monde ?
Et par dessus tout, que fait-il pour la sienne propre ? tout le monde sait que ses relations avec le président sont tendues, et que le rôle de porte-parole auquel il est relégué ne lui convient guère… et pourtant, malgré tout cela, il continue de soutenir un président qu’il s’apprête sans doute tôt ou tard à trahir, juste pour « avoir l’air » fidèle à ses engagements ! obligé de supporter ce qui n’est pas dans ses convictions, juste pour servir sa carrière, n’est-ce donc pas plutôt ça perdre sa dignité ?
Lorsqu’une femme est obligée par son mari de supporter la burqa sous peine de représailles, elle ne perd ni son honneur ni sa dignité : elle est tout simplement victime d’une oppression qu’elle ne désire pas. Mais si elle porte la burqa par conviction (peu importe la nature de celle-ci), alors elle ne perd pas non plus sa dignité. Pas plus que celle qui enlève son soutien à la plage, ou celui qui porte un baggy, ou une casquette. Par contre, exprimer que quelqu’un perd sa dignité s’il continue de porter telle ou telle chose, ce n’est pas une atteinte à la dignité d’autrui, mais à sa liberté d’expression.
Alors, et au lieu de faire la chasse aux burqas, pourquoi ne pas faire la chasse à ceux qui les y contraignent ? au lieu de faire la chasse aux prostituées, pourquoi ne pas faire la chasse aux proxénètes ? au lieu de faire la chasse au pauvres, pourquoi ne pas faire la chasse aux exploiteurs ? c’est plutôt à cela qu’il faudrait répondre !
La dignité n’est pas une chose qu’on peut retirer ou remettre comme un vêtement, mais un état d’esprit personnel. C’est comme l’humiliation, elle n’est conditionnée qu’à la volonté de celui qui la porte. Celui qui n’en veut pas peut se l’éviter, ou se la garder, selon sa propre force de caractère. Mais celui qui veut l’ôter ou la rendre à autrui, c’est justement celui-là qui la prend, ou qui la perd. Car la dignité est une interprétation morale, et il suffit que celui qui se fait juger indigne ne se considère pas comme tel pour qu’il cesse de l’être à ses propres yeux.
Le plus terrible dans tout ça, c’est sans doute que la plupart de ceux qui voteront cette loi ne se rendent même pas compte qu’au lieu de libérer ces femmes de l’oppression dont elles souffrent, ils vont les faire se sentir coupables de leur différence, et les mettre dans le même genre de situation que la victime d’un viol qui, à une certaine époque et parfois même encore aujourd’hui, se sent en plus coupable de ce dernier.
Tous ces députés, soutenus par de nombreux citoyens soumis au conditionnement médiatique et apeurés par les amalgames récurrents qu’on leur à intégré, n’ont pas l’air de bien se rendre compte de l’engrenage dans lequel ils sont en train de mettre la main… stigmatisation, peur, interdiction, incompréhension, amalgames, propagande, tout ceci ne présage rien de bon pour le futur ; le passé devrait pourtant nous l’avoir appris.
Alors non, le jeu n’en vaut pas la chandelle. En légiférant ainsi, à la va-vite et sous des prétextes fallacieux, nous sommes pas dans un jeu, mais dans la réalité. Et la réalité, c’est que ce gouvernement est peu à peu en train de mettre en place une sorte de ségrégation religieuse, qui n’a rien à voir avec la dignité, mais avec la liberté.
Au lieu d’interdire ces burqas, pourquoi ne pas proposer à celles qui y sont contraintes une aide similaire à celle offerte aux femmes battues ? Et pour celles qui la choisissent volontairement, qu’on leur demande simplement de s’identifier selon les besoins administratifs que chacun juge, (et même elles je crois), légitime… si les autres trouvent leur accoutrement ridicule, c’est affaire de goût : certains trouvent tout aussi ridicule la soutane des prêtres, ou les rouflaquettes !
Mais le gouvernement ne semble pas prêt à agir de la sorte, de la même manière qu’il ne souhaite pas que les tensions sociales s’apaisent, car cela sert leurs intérêts : diviser pour mieux régner. C’est un jeu très dangereux…
Caleb irri
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