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Chronique de l’Anti-empire

En Amérique, on peut tout dire...

« En Amérique, on peut tout dire - tant que cela n’a aucun effet. »
Paul Goodman

Les militants et écrivains progressistes se plaignent sans cesse du fait que les nouvelles qu’ils diffusent et les opinions qu’ils expriment sont systématiquement ignorées par les grands médias et ainsi tenues à l’écart des masses. Ce dédain pour les opinions progressistes est intrinsèque aux grands médias. Il est inutile d’invoquer une conspiration ; c’est juste une question de qui est propriétaire des médias et du genre de journalistes qu’ils embauchent - des hommes et des femmes qui aimeraient bien garder leur job ; c’est donc quelque chose de plus insidieux qu’une conspiration, ça fait partie du système, c’est comme ça que le système fonctionne. Le dédain envers le monde progressiste n’est bien sûr pas total car parfois ils y trouvent matière à faire un bon papier et, à quelques rares occasions près, lorsque les idées progressistes risquent de devenir populaires, elles doivent être combattues.

C’est fut le cas pour le livre de Howard Zinn, Une Histoire Populaire des Etats-Unis. Voici ce qu’écrivait Barry Gewen, éditorialiste du New York Times Book Review, le 5 juin 2005, au sujet du livre de Zinn et d’autres oeuvres similaires :

« Il y avait une vision unificatrice, mais elle était simpliste. Puisque les victimes et les perdants étaient bons, c’est donc que les gagnants étaient mauvais. Selon les noirs déshérités, l’Amérique était raciste ; selon les ouvriers exploités, elle était exploiteuse ; selon les hispaniques et indiens conquis, elle était impérialiste. Il y avait là de quoi condamner l’histoire de l’Amérique et pas grand chose de positive à en tirer... Ainsi, les Européens qui sont arrivés dans le Nouveau Monde étaient des prédateurs génocidaires, les indiens qui étaient déjà là croyaient en l’hospitalité et le partage (peu importe les profondes différences culturelles qui pouvaient exister), et l’Afrique violée était un continent qui débordait de bonté et d’harmonie (peu importe les profondes différences culturelles qui pouvaient exister). »

C’est à se demander si M. Gewen pensait que toutes les victimes de l’Holocauste étaient des saints sans différences culturelles entre elles.

L’éminent historien américain Arthur Schlesinger Jr a un jour déclaré, en parlant de Zinn : « Je sais qu’il me considère comme un dangereux réactionnaire. Et je ne le prends pas très au sérieux. C’est un polémiste, pas un historien. »

Dans les nécrologies qui ont suivi la mort de Zinn, cette diffamation a été reprise et a fait le tour du monde, du New York Times au Washington Post et par les grandes agences de presse jusqu’au New Zealand Herald et le Korea Times.

En ce qui concerne les réactionnaires et les polémistes, il faut noter que M. Schlesinger, en tant que haut conseiller du Président John F. Kennedy, a joué un rôle clé dans le renversement de Cheddi Jagan, le premier ministre progressiste et démocratiquement élu de la Guyane Britannique (Guyana, aujourd’hui). En 1990, lors d’une conférence à New York, Schlesinger a publiquement présenté ses excuses à Jagan, en déclarant « je me sentais mal à cause de mon rôle il y a trente ans. Je crois qu’une grande injustice a été commise envers Cheddi Jagan. » (1) Ceci est à porter au crédit de Schlesinger, mais le fait que Jagan ait été physiquement présent à cette conférence a peut-être réveillé chez lui quelques remords tardifs au bout de trente ans. Comme pratiquement tous les historiens américains qui ont été choyés et respectés par les grands médias, Schlesinger était un guerrier de la Guerre Froide. Ceux qui, comme Zinn, remettaient en cause les postulats de la Guerre Froide à l’extérieur et le capitalisme à l’intérieur étaient considérés comme des polémistes.

Une de mes citations préférées de Zinn est celle-ci : « Le principal problème avec l’honnêteté historique n’est pas le mensonge éhonté. C’est l’omission ou la minimisation d’une donnée importante. La définition de « importante » dépend bien sûr des valeurs de chacun. » (2) Une Histoire Populaire et ses autres écrits peuvent être perçus comme une tentative de corriger les omissions et les minimisations du côté sombre de l’histoire des Etats-Unis telle qu’elle est racontée dans les livres d’histoire américaines et les médias.

[...]

Ce dont on ne peut pas parler

« L’objectif du terrorisme est de provoquer une réaction disproportionnée, » écrit Fareed Zakaria, un éminent partisan de la politique étrangère des Etats-Unis, et rédacteur en chef de l’édition internationale du magazine Newsweek, et contributeur au Washington Post, en référence au « terroriste en sous-vêtements », Umar Farouk Abdulmutallab et sa tentative ratée de faire sauter un avion de ligne le jour de Noël. « Son véritable objectif n’est pas de tuer spécifiquement des centaines de personnes mais de semer la peur dans le reste de la population. Le terrorisme est une tactique militaire inhabituelle dans le sens où son effet dépend de la réaction des témoins. Si nous ne sommes pas terrorisés, alors l’attaque a échoué. Malheureusement, celle-ci a parfaitement réussi. » (9)

N’est-ce pas étrange ? Qu’un individu puisse tenter de tuer des centaines de personnes, y compris lui-même, juste pour « provoquer une réaction disproportionnée », ou pour « semer la peur » ? N’y avait-il pas quelque part un profond ressentiment contre quelque chose ou quelqu’un d’Américain ? Aucune sorte d’injustice qu’il pensait corriger ainsi ? Rien dont il aurait voulu se venger ? Pourquoi est-ce que ce sont les Etats-Unis qui sont le plus souvent visés ? Autant de questions qui sont complètement ignorés par Zakaria dans son article.

Lors d’une conférence de presse à la Maison Blanche au sujet de la même tentative d’attentat, conduite par John Brennan, conseiller auprès du Président sur les questions de Terrorisme et de Sécurité Nationale, la journaliste vétéran Helen Thomas a soulevé la question :

THOMAS : « Ce qui nous manque toujours, c’est que vous ne donnez jamais leurs motivations pour nous faire du mal... Quelles sont leurs motivations ? On n’entend jamais parler de ce que vous avez découvert à ce sujet ».

BRENNAN : « Al Qaeda est une organisation qui se consacre à l’assassinat d’innocents... (ils) attirent des individus comme M. Abdulmutallab et les utilisent pour ce genre d’attaque. Il était motivé par une sorte de croisade religieuse. Malheureusement, Al Qaeda a perverti l’Islam, et a corrompu un concept de l’Islam, pour pouvoir attirer ce genre d’individus. Mais l’objectif d’Al Qaeda est la destruction et la mort. »

THOMAS : « Donc, vous dites que c’est à cause de la religion ? »

BRENNAN : « Je dis que c’est à cause d’une organisation appelée Al Qaeda qui utilise la religion d’une manière perverse et corrompue. »

THOMAS : « pourquoi ? »

BRENNAN : « Je crois... c’est un vaste sujet, mais Al Qaeda est déterminé à mener des attaques contre nous. »

THOMAS : « mais vous n’avez pas expliqué pourquoi. » (10)

Les officiels américains ne font que rarement ne serait-ce qu’un effort pour expliquer pourquoi. Et les journalistes posent rarement la question et très certainement pas à la manière de Helen Thomas.

Et quels sont ces phrases que les officiels ont tant de mal à prononcer ? Serait-ce que les terroristes anti-américains deviennent des terroristes anti-américains en guise de représailles contre des actes commis par les Etats-Unis contre leur pays ou leurs proches ou pour des actes commis par Israel avec le soutien total des Etats-Unis ?

Ben Laden, dans une cassette audio, a lui aussi commenté l’affaire Abdulmutallab : « le message que nous voulions vous envoyer est que l’Amérique ne pourra pas espérer vivre en sécurité tant que la sécurité ne sera pas instaurée en Palestine. » (11)

Nous avons aussi le cas récent de Humam Khalil Abu-Mulal al-Balawi, un médecin jordanien qui s’est transformé en kamikaze et qui a tué sept employés de la CIA dans une base en Afghanistan, le 30 décembre (2009). Sa veuve a déclaré : « je suis fière de lui... Mon mari a fait cela contre l’invasion des Etats-Unis. » Balawi lui-même avait écrit sur Internet « je n’ai jamais voulu être à Gaza, mais à présent j’aimerais être... une voiture piégée et envoyer un maximum de Juifs en enfer. » (12)

Il faut noter que la base de la CIA attaquée par Balawi était fortement impliquée dans la sélection des cibles pour les avions sans pilotes (drones) envoyés par l’agence le long de la frontière Afghano-pakistanaise, un programme qui a tué 300 personnes l’année dernière. (13)

Il y a de nombreux exemples de terroristes qui invoquent la politique des Etats-Unis comme principale motivation à leurs actes (14). Il y en a tellement en fait que les officiels américains, lorsqu’ils parlent du dernier attentat, doivent faire de gros efforts pour ne pas mentionner la politique étrangère des Etats-Unis ; et les journalistes ne soulèvent jamais la question.

C’est la même chose partout dans le monde. Dans les années 50 jusqu’aux années 80 en Amérique latine, en réponse à une longue série de politiques américaines détestables, il y a eu d’innombrables attentats contre des cibles diplomatiques et militaires US ainsi que des bureaux de sociétés multinationales US.

Le bombardement, l’invasion, l’occupation et la torture en Irak et en Afghanistan, le bombardement du Pakistan, de la Somalie et du Yémen, et la poursuite du génocide Israelo-américain contre les Palestiniens ont crée une armée de nouveaux terroristes anti-américains. On n’a pas fini d’en entendre parler. Et on n’a pas fini non plus d’assister à toutes les contorsions des officiels américains pour éviter soigneusement les questions intellectuelles et morales qui sont posées et pour ne pas aborder ce sujet.

Dans son discours sur « l’Etat de l’Union » prononcé le 27 janvier (2010), le Président Obama a déclaré : « Mais si quelqu’un d’un des deux partis a un meilleur plan pour réduire les cotisations, réduire le déficit, garantir une assurance santé, renforcer l’assurance santé pour les personnes âgées, et faire cesser les abus des compagnies d’assurance, qu’il me le fasse savoir. » Alors voilà  : mettre fin aux nombreuses guerres des Etats-Unis dégagerait suffisamment d’argent pour faire ce que toute société rationnelle et humaine aimerait faire.

L’éradication du budget militaire permettrait de financer une couverture de santé gratuite pour tous. Une éducation pour tous. La création d’un secteur public qui offrirait des millions d’emplois avec des salaires décents, qui se consacrerait par exemple à réparer les infrastructures délabrées et l’environnement. Vous pouvez y ajouter vos propres projets préférés. Ils pourraient tous être financés. Simplement en arrêtant ces putains de guerres. Imaginez.

William BLUM
http://killinghope.org/bblum6/aer78.html

traduction par Le Grand Soir

1. The Nation, June 4, 1990, pp.763-4

2. Failure to Quit : Reflections of an Optimistic Historian" (1993), p.30

(...)

9. Newsweek, January 18, 2010, online January 9

10. White House press briefing, January 7, 2010

11. ABC News, January 25, 2010

12. Associated Press, January 7, 2010

13. Washington Post, January 1, 2010

14. Rogue State, chapter 1, "Why do terrorists keep picking on the United States ?" ; this chapter ends in 2005 ; some later examples can be provided by the author.

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