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A propos de la tourmente syrienne  : ce que je crois

« L’absence de catéchisme dans l’Islam fait dépendre l’enseignement religieux du pouvoir politique. Or les politiques culturelles ne sont nulle part innocentes. Elles reflètent des stratégies de pouvoir et répondent aux conditions de la reproduction des systèmes de domination sociale. (...) La formation d’une pensée déstructurée, qui est aujourd’hui la règle, est le fruit d’une stratégie éducationnelle et au-delà , politique. Elle fait partie de cette même entreprise qui voue le reste de la population à la marginalisation et à la clochardisation. Ces politiques ne sont pas séparables de l’ensemble des mécanismes sociopolitiques du système en place qui sanctionne, l’honnêteté, l’esprit d’initiative et la créativité. Il favorise le clientélisme, l’hypocrisie et la soumission aux chefs. Bref, il faut chercher la clé de la conscience déstructurée, désorientée, désaxée, désemparée et déstabilisée qui tend trop à définir la conscience musulmane d’aujourd’hui dans l’assujettissement de tout savoir, de toute culture, de toute religion, de toute littérature, de tout enseignement à la stratégie du pouvoir. » - Burhan Ghalioun. Islam et politique. P.182. Editions La Découverte 1997

L’auteur de ces justes mots est Burhan Ghalioun ancien professeur de sociologie politique à la Sorbonne nouvelle Paris III, il y a soutenu une thèse en 1980. Engagé dans le mouvement de démocratisation de la Syrie et du Monde arabe, il est intronisé président du Conseil national syrien. Cela donnerait une légitimité aux yeux de la France avec un président qui s’est nourri des lumières et de qui rien de méchant ne peut arriver. On comprend l’adoubement tacite de ce brillant intellectuel dont on peut se demander s’il a encore gardé des liens avec la Syrie profonde depuis plus de trente ans. On peut se demander si le peuple syrien éduqué n’a pas plus besoin de guides ancrés dans le terroir et mettant en avant la lutte sous toutes ses formes que l’apport d’intellectuels certes brillants, mais dont le rôle qui plaît à l’Occident n’est pas encore venu à ce stade de la révolution. Il est à souhaiter que le professeur saura séparer le bon grain de la beauté de la révolte, de l’ivraie de la récupération occidentale.

Les médias occidentaux, encore eux, avec toujours la même partialité mettent une chape de plomb sur les massacres en Libye et nous signalent le moindre mouvement en Syrie. Pourquoi cet amour ? Est-ce parce qu’ils veulent la liberté et la démocratie pour les Arabes ? On peut en douter. Est-ce un pays islamiste allié au terrorisme ? Non, au contraire, c’est l’un des pays qui ne connaît pas les divisions confessionnelles. Le mépris souverain des nations européennes à l’endroit des peuples arabes est loin d’être fondé.

Salah Eddine

Qu’on se le dise ! La Syrie comme l’Irak a connu les premières organisations sociales de l’humanité. Petit détour par Wikipédia. On lit : « L’histoire de la Syrie est marquée par sa situation exceptionnelle. C’est un territoire de transition au carrefour de plusieurs mondes : L’homme de la terre syrienne a peut-être découvert, pour la première fois de l’histoire de l’humanité, à Abu Huraïra, l’art de cultiver, d’associer l’eau et le grain de blé, pour multiplier les épis. C’est également en Syrie, que l’homme découvrit comment utiliser le cuivre, comment le façonner et en réaliser un alliage : le bronze. Dès le IIIe millénaire av. J.-C. les Syriens construisaient des palais, créaient des fresques, et connaissaient un essor culturel et commercial remarquables. Et c’est dans ce pays que naquît aussi l’alphabet (site de Ugarit, près de Lattakié).

La Syrie a eu une part importante dans l’histoire du christianisme. Elle a donné 6 papes au christianisme. Elle doit à Salah Eddine des victoires décisives sur les croisés. Pour la période récente. La Syrie fut ottomane depuis 1516. En 1861, l’intervention franco-anglaise eut pour conséquence l’autonomie du Liban vis-à -vis de Damas. En 1918. Les troupes du général Gouraud arrivent, vainquent une armée menée par Youssef al-Azmeh dans la bataille de Maysaloun le 23 juillet, et entrèrent à Damas. Fayçal se trouva contraint à l’exil. Les Français ne se retirèrent totalement du Liban et de la Syrie qu’en 1946. Au cours de l’été 1920, T. E. Lawrence - appelé Lawrence d’Arabie -, faisait le commentaire sarcastique suivant : « Les Turcs avaient été de meilleurs dirigeants. » Il affirma que les Turcs avaient utilisé 14.000 conscrits locaux en Irak et avaient tué en moyenne annuelle 200 Arabes pour maintenir la paix. Par contre, les Britanniques avaient déployé 90.000 hommes, avec des avions, des chars blindés, des navires de guerre et des trains blindés, et avaient tué près de 10.000 Arabes au cours du seul soulèvement de l’été 1920. Le 7 août 1920, The Times [le quotidien impérial britannique] demandait de savoir : « Combien de temps encore des vies précieuses devront être sacrifiées pour l’objectif vain d’imposer sur la population arabe une administration élaborée et coûteuse qu’elle n’a jamais réclamée et dont elle ne veut pas ! » (1)

Une contribution de Zénobie nous montre la réalité des services de sécurité syriens- dirigés d’une main de fer par le clan alaouite, qui terrorisent tous ceux qui s’opposent au pouvoir des El Assad. On se souvient en effet que ce docteur avait pendant près de 8 mois donné l’illusion de l’ouverture. Le parti Baâth l’a rappelé à l’ordre. Le témoignage suivant d’un général : « L’armée de la Syrie n’est que l’armée des services de sécurité syriens (jaych amni). » Mon interlocuteur a prononcé ces mots gravement. On l’appellera Mohammed, c’est un officier supérieur sunnite. (...) Le ciment de l’édifice sécuritaire, c’est la culture de la peur que la révolte vient de mettre à bas. Sous M. Bachar Al-Assad (depuis 2000), le parti, la bureaucratie et l’armée sont passés directement sous le contrôle des services de sécurité, eux-mêmes entièrement aux mains de la famille Assad. « Le nombre total dans l’armée et les services de sécurité dépasserait 700.000 personnes : 400.000 hommes dans les forces armées régulières, 100.000 hommes dans la police et les services de renseignement, et plusieurs dizaines de milliers employés à temps partiel par les organes de la Sûreté. (...) On est arrivé à cette situation hautement symbolique où il n’y a plus que deux appartenances réelles : l’alaouite et la sunnite (fi alawi wa fi sunni) mais par sunnite, il faut entendre toutes les autres communautés » [sunnite, druze, chrétiennes, etc., soit 90% de la population, Ndlr]. L’armée syrienne est composée de sept divisions (firaq), chacune dirigée par un général de division (liwa). (...) La composition communautaire de chaque unité militaire empêche toute homogénéité pour les sunnites (mais pas pour les alaouites comme la quatrième division le prouve). (...) Les perspectives de la révolte ? Difficile à dire sinon qu’elles sont sombres. En même temps, le régime s’est perdu lui-même... La seule possibilité du côté militaire ne pourrait venir que d’une scission, peu probable, au sein de la direction des services de sécurité, qui pourrait alors entraîner d’autres secteurs de l’armée... » (2)

Zénobie nous explique par ailleurs, comment la révolution a amené un nouveau langage imprégné par le terroir mais profondément percutant par ces enfants qui sont fauchés au nom de la liberté et dont on risque de confisquer la révolution. Il écrit : « Comme les résistances nationalistes arabes en Syrie au cours du XXe siècle, l’actuel soulèvement populaire est marqué par la place de la mosquée dans les mobilisations, par le rôle moteur de la jeunesse, de secteurs sociaux économiquement en crise ou éloignés de la capitale, et la participation des femmes. « Ma fi khawf baad al-yawm ! » [« Plus de peur à partir d’aujourd’hui ! »], scandaient les habitants de Deraa le 18 mars dernier. La rue s’attache aussi à répondre aux accusations de division, de violence et de complot. Elle proclame son désir de pacifisme, d’unité et son rejet du confessionnalisme : « Un, un, le peuple syrien est un ! » ; « Pacifiquement, pacifiquement, musulmans et chrétiens, pacifiquement, pacifiquement, non, non au confessionnalisme ! » ; « Non à la violence, non au vandalisme ! ». Dans les zones où des provocations communautaires ont été perpétrées, les slogans et banderoles ripostent : « Sunnites, Kurdes et alaouites, nous voulons l’unité nationale » (« Sunni wa kurdi wa alawiyya, badna wahdah wataniyyah »). (...) Forts des leçons de la guerre civile qui a ravagé durant quinze ans le Liban voisin et plus récemment l’Irak, les Syriens se méfiaient d’une confrontation longue et sanglante comportant des risques d’affrontements confessionnels. (...) « Zenga, zenga, dar, dar, badna nchîlak ya Bachâr » - « Ruelle après ruelle, maison après maison, Bachar, on va se débarrasser de toi ». (3)

Le veto sino-russe

Il y a donc à l’évidence un profond désir de changement - les ouvertures jugées insuffisantes par l’opposition syrienne qui demande à juste titre le départ d’El Assad- Cependant les dirigeants occidentaux veulent instrumentaliser les espérances du peuple syrien. Après plus de six mois de soulèvement et malgré, le Conseil de sécurité sous la houlette occidentale a voulu rééditer le coup de l’invasion de la Libye. Coup d’arrêt ! La Chine et la Russie ont opposé mardi 4 octobre leur veto à un projet de résolution du Conseil de sécurité de l’ONU menaçant le régime syrien de « mesures ciblées ».

Le président du Conseil national syrien (CNS), Burhan Ghalioune, a déclaré que le veto russe et chinois ne fera qu’« encourager » la répression en Syrie. Pour le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, le veto russe et chinois constitue une « erreur profonde et regrettable ». Les Etats-Unis se sont dits « furieux » (...) En visite en Afrique du Sud, Tayyip Ordogan a estimé que le gouvernement syrien « aurait dû recevoir un avertissement ». A son avis, ils « n’ont pas besoin d’endurer un régime tyrannique sans pitié et sans vergogne qui bombarde son propre peuple depuis la mer ». (4)

La Russie qui s’est expliquée par la voie du chef adjoint de sa diplomatie s’opposera à toute tentative de pays occidentaux de légitimer, à l’aide du Conseil de sécurité de l’ONU, des sanctions unilatérales contre les régimes indésirables. « Certains pays occidentaux et leurs groupements régionaux recourent de plus en plus souvent à des sanctions unilatérales contre tel ou tel régime qu’ils ne trouvent pas à leur goût et ce, sans consulter les autres membres de la communauté internationale », a relevé le vice-ministre. Commentant les motifs du veto russe opposé mardi dernier au projet de résolution européen du Conseil de sécurité de l’Onu sur la Syrie, Moscou a déclaré mercredi que le « modèle libyen » de la protection des civils illustrait un « abus grossier des résolutions du Conseil pour réaliser des projets unilatéraux visant à renverser les régimes indésirables ». (5)

Personne ne conteste que le régime des Al Assad depuis 1970 n’a que trop duré. Il y a des meurtres avérés. Le pouvoir n’a plus de légitimité. Pendant ce temps, la famille El Assad brade des immeubles en Europe et ses propriétés en Espagne. Quelle est la solution ? Voulons-nous d’une histoire à l’Irak, l’Afghanistan ? Personne ne croit aux droits de l’homme version occidentale. La Chine et la Russie sont de surcroît échaudées pour s’être fait convaincre pour le cas de la Libye et la fameuse résolution de mars qui a été dévoyée. L’Otan bombarde toujours alors qu’El Gueddafi n’est plus aux commandes. les victimes d’hier sont les bourreaux d’aujourd’hui avec la bénédiction du Ciel de l’Otan. Le peuple syrien a droit à la liberté, la démocratie, l’alternance. Certes, la Russie a aussi des intérêts, notamment en Syrie avec sa base maritime dit-on à Tartous qui lui permet dit-on de dresser des missiles contre l’Otan (Turquie). D’un autre côté, la Syrie sert dit-on les intérêts de l’Iran. De fait, la sanction pétrolière est sans effet : la production pétrolière est marginale.

A qui profite-t-il ?

Pour sa part, René Naba avance aussi d’autres arguments pour décrypter l’entêtement des Occidentaux à démolir la Syrie : (...) Au-delà des vives critiques fondées sur les tares du pouvoir syrien, la déstabilisation de la Syrie vise à compenser le basculement de l’Egypte dans le camp de la contestation arabe et à rompre la continuité stratégique entre les diverses composantes de l’axe de la résistance à l’hégémonie israélo-américaine en coupant les voies de ravitaillement du Hezbollah au Sud-Liban. L’effet secondaire est de détourner l’attention sur la phagocytose de la Palestine par Israël avec la complicité des Etats occidentaux. Israël et la Syrie ne partagent pas le même intérêt. L’Etat hébreu cherche à constituer une ceinture d’états vassaux sur son pourtour, la Syrie à se dégager du noeud coulant glissé autour de son cou pour la forcer à la reddition. La Syrie et l’Irak constituaient les deux seuls états du Monde arabe animés d’une idéologie laïque. L’Irak a été démantelé par les Américains avec pour conséquence la constitution d’une enclave autonome pro-israélienne dans le Kurdistan irakien, le schéma qui a préludé au démembrement du Soudan avec la constitution d’une enclave pro israélienne au Sud-Soudan, sur le parcours du Nil. (...) La libre détermination des peuples est un droit sacré inaliénable. Cela doit s’appliquer en Syrie, comme en Palestine. Cautionnée, en juillet à Paris, avec Bernard-Henri Lévy, une conférence de l’opposition syrienne discrédite les participants et jette un voile de suspicion sur leurs objectifs. (...) Gageons que si la Syrie souscrivait à un règlement de paix avec Israël, dans des conditions avilissantes pour elle, elle retrouverait grâce aux yeux des Occidentaux, particulièrement de Nicolas Sarkozy en voie de carbonisation et de Barack Obama, en voie de pantinisation ». (6)

Je prends le même pari que René Naba en y ajoutant qu’on le veuille des jours sombres pour le vivre-ensemble interconfessionnel. Nous risquons de revivre les événements tragiques de 1861 fomentés par les Anglais et les Français. Que fait l’ONU ? Pourquoi s’en remet-elle au Conseil de sécurité, voire à l’Otan pour gouverner le monde ? Pourquoi ne met-elle pas en place une force des Casques bleus avec les Arabes ? Après El Assad, les suivants qui feront allégeance d’une façon ou d’une autre, à l’Occident accepteront une partition du pays. On peut penser que plus rien ne peut arrêter la dynamique d’effritement des anciens pouvoirs arabes au profit de l’inconnu. Chacun s’interroge sur ce qui en restera quand l’inexorable tsunami de la contestation balaiera les pouvoirs en place. Ceci permettra d’assurer encore pour quelques décennies le confort énergétique de l’Occident et assoira définitivement Israël.

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique enp-edu.dz

1. C. E. Chitour. La Faceboukisation de la jeunesse arabe : La Syrie en marche pour la partition
http://www.palestine-solidarite.org/analyses.Chems-Eddine_Chitour.280311.htm

2. Zénobie,
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2011-09-07-Syrie-un-officier-superieur-parle

3. http://www.monde-diplomatique.fr/ 2011/06/ZENOBIE/20746

4. Veto russe et chinois contre la condamnation de la Syrie AFP 06.10.11

5. Guennadi Gatilov : Déclaration à l’agence RIA Novosti 6 octobre 11

6. René Naba
http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=26917 3/10/2011


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