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Z’avez pas vu mon Beijinois ?

Jacques Drillon est linguiste, stylisticien, musicien, écrivain. Un homme de culture au sens parfait du terme. Il a publié récemment un texte aussi savoureux qu’argumenté : “ Non, défendre la langue Française n’est pas réac. ”

J’ai adoré. En particulier, ce passage : « La soif d’anglais, c’est le syndrome du crocodile, cousu sur les polos des banlieusards ou les chemisettes des bourgeois, et qui signifie seulement : vêtement cher. En être ou ne pas en être, là est la question. Voyez la hâte piteuse avec laquelle nous avons dit Beijing pour Pékin. Comme nous aimons perdre ! Comme nous aimons notre servitude ! Quelle fierté nous tirons de notre propre abaissement ! Comme elle était heureuse, Christine Ockrent, de pouvoir interroger en anglais Shimon Peres, qui parle parfaitement le français ! Quelle impatience dans l’humiliation !  »

Effectivement, beaucoup, chez nous aiment perdre, jouissent de perdre, appellent, sinon l’humiliation, du moins la soumission intéressée, cette inclinaison totale du corps quand la tête touche le sol, que les Chinois (patience, on va revenir à la Chine dans un instant) appellent « kowtow » (叩頭), un vocable qui est passé dans la langue anglaise au XIXe siècle, quand les Anglais s’occupaient beaucoup de la Chine.

Je voudrais insister ici sur l’adoption, via les desiderata de l’empire étasunien, de l’orthographe « Beijing » en lieu et place de Pékin. En soi, cette adoption n’avait rien de scandaleux : Composé de 北 (běi, « nord ») et 京 (jīng, « capitale »). D’où 北京, « la Capitale du Nord », en opposition à l’ancienne capitale dans le sud du pays, devenue 南京 (nánjīng).

Pourquoi disions-nous « Pékin », au moins depuis le XVIIe siècle ? Parce que les Chinois ont changé la prononciation du terme en palatalisant le [k] devant un [i], ce qui a donné [tɕ], (noté j en pinyin, le système de transcription du mandarin depuis 1958). Les autres Européens avaient transcris comme nous : Pechino [pekino] en italien, Peking en allemand et en néerlandais, Pequim (prononciation semblable à celle du français) en portugais, par exemple. Jusque dans les années soixante, lorsque les Anglais nommaient la capitale chinoise, ils disaient « Peking » [pi:kiŋ]. Pour des raisons politiquement correctes, il a fallu, toute affaire cessante, passer à « Beijing ». Cette graphie fut reconnue par l’ONU, et par la France, alors que, normalement, en français, elle devrait se lire « béjingue », ou quelque chose d’approchant. Le politiquement correct connut néanmoins ses limites : Canton resta Canton et ne devint pas réellement Guangzhou. Bref : un joyeux bordel. D’ailleurs, s’il faut faire plaisir aux Chinois, cessons d’évoquer les Îles Paracels (probablement riches en pétrole et en gaz naturel), anciennes colonies française, et parlons de « Xisha ». Et tant pis pour les Vietnamiens qui rêvent de récupérer « Hoàng Sa ».

Je vous demande, moi, comment les Chinois nomment Paris, comment les Japonais se débrouillent de Buenos Aires, comment les habitants du Boutan (Bhutan ?) prononcent Ferkessedougou ? Vous savez comment les Flamands nomment Lille ? Moi, je sais, et cela n’a rien à voir avec « Lille », et grand bien leur fasse. Et au nom de quoi devrions-nous persister à dire « Londres » et non pas « Londonne » d’autant que le nom de la capitale anglaise vient du latin « Londinium » ? Dans la même veine, j’en ai ras le bol d’entendre parler des Emirati et des Qatari. Il s’agit de désinences anglaises reprises de l’arabe. Ou alors il faut désormais écrire « les Saoudi » et « les Algéri ».

Les Allemands nomment notre pays Frankreich (et non pas « Frantz »), ce qui est d’ailleurs un peu bizarre puisque « Reich » signifie empire, par extension royaume, domaine. Nous disons « Espagne » et non pas « Espagna ». Les Allemands ne se gênent pas avec « Spanien » (et tout se complique car, en hébreu, « séfarade » signifie « Espagne »).

Devrons-nous cesser de dire « Varsovie » pour quelque chose comme « Varchava » ? Moscou pour « Moskva », Prague pour « Praha » ? Les Anglo-Saxons (comme on dit, car très peu d’entre eux sont effectivement anglo-saxons) nous ont donc bassiné avec « Beijing » mais ils se sont bien gardés de toucher à « The Hague » qui, euphoniquement, n’a rien à voir avec l’original néerlandais. Ni à « Norway » (Norge, qui signifie – bien vu les Anglais – « le chemin du Nord »), « Finland » (Suomi), « Ireland » (Èire), « Wales » (Cymru). Devrons-nous cesser de dire « Lettonie » pour « Latvia » (comme les Anglais … et les Lettons) ? Allons-nous écrire « Chad » pour « Tchad », « Peru » pour « Pérou », « Ecuador » pour « Équateur » ?

Décidément, nous ne sommes pas sortis de l’auberge.

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Bernard GENSANE
Il s’agit là d’un court ouvrage collectif, très dense, publié suite à un colloque organisé par Mémoire des luttes et la revue Utopie critique à l’université Paris 8 en juin 2008, sous la direction de Bernard Cassen, fondateur et ancien président d’ATTAC, à qui, on s’en souvient, le "non" au référendum de 2005 doit beaucoup. La thèse centrale de cet ouvrage est que l’« Europe » est, et a toujours été, une machine à libéraliser, au-dessus des peuples, contre les peuples. Dans "La fracture (…)
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