En septembre 2017, je participais à Caracas à un colloque de solidarité avec le Venezuela (oui, je sais, c’est mal). J’y ai fait connaissance d’un Espagnol nommé Willy Toledo. Pour tout avouer, je n’avais pas pris la précaution de retirer de l’argent avant de partir de France et, sur place, l’affaire s’avérait compliquée. De sorte que, au début de mon séjour, c’est Toledo qui payait mes bières et mes clopes (à l’époque, je fumais. Oui, c’est mal).
C’était un joyeux drille, charismatique, en tee-shirt fatigué, vieux jean déchiré et bottillons éculés. Il m’avait dit qu’il était comédien. J’ai pensé : intermittent dans la panade. En vérité Willy Toledo est un grand acteur de cinéma espagnol, une star qui a reçu pas moins d’une dizaine de récompenses, dont deux fois le prix Goya (équivalent
des César français et des Oscar états-uniens). Sa fiche Wikipedia en espagnol le présente comme un « actor, productor de teatro y activista politico ».
Retenons bien le « activista politico ». Il se proclame aussi ami de Cuba (aïe, c’est très mal).
WillyToledo, m’a confié une chose qu’il aime bien répéter : « Avant que je parle de mes engagements politiques, je recevais 15 propositions de films par an. Je n’en reçois plus aucune. « Ils » m’empêchent de faire mon métier. A présent, je travaille en Argentine ».
Bien entendu, si Toledo était un célébrissime acteur vénézuélien brimé par « le régime bolivarien », les médiacrates de la bande à Pujadas, Salamé et autres, s’étrangleraient en des « Toledôôôô » aussi vibrants que leurs habituels « Venezuelââââ ».
Donc, « tricard » dans son pays, ostracisé, censuré, WillyToledo joue à celui qui n’a plus rien à perdre.
Quand pérore dans toutes les villes d’une Espagne catholicarde (qui a oublié de se nettoyer du franquisme) la statue de la « vierge Marie » portée en de longues processions, l’Eglise dit en quelque sorte merde aux adeptes d’autres religions et aux athées. Pourtant, plus de 50 % des Espagnols de 15-24 ans se déclarent non-croyants. En janvier 2009, deux autobus sillonnaient Barcelone en affichant sur leur flanc le slogan : « Dieu n’existe probablement pas. Maintenant, cesse de t’en faire et profite de la vie. »
Quand trois femmes organisent dans les rues de Séville en 2014 la procession d’un gros « vagin insoumis » (« procesión del coño insumiso) » l’association « Abogados Cristianos » dépose plainte et WillyToledo les soutient (Elles ont depuis été acquittées).
En réplique à la bien-pensance espagnole, Willy Toledo avait donné sur cette affaire un avis cinglant : « Yo me cago en dios y me sobra mierda para cagarme en el dogma de la santidad y virginidad de la Virgen María ». Lu en version originale, c’est plus fort et chacun peut deviner.
Poursuivi par la Justice, il refuse de se rendre à la convocation du juge et il se moque : « Je veux informer les sicaires du régime bourbonico-franquiste espagnol que je n’ai pas la moindre intention de perdre une seule seconde de ma vie pour me présenter devant vos illustrissimes personnes ». Il précise les jours et heures où l’on pourra venir l’arrêter au « Théâtre Lliure de Gràcia », à Barcelone. Pédagogue, il ajoute : « Dites aux agents qui viendront me chercher qu’un théâtre est un bâtiment dans lequel on joue des pièces de théâtre, ce n’est pas un endroit excessivement dangereux, donc vous ne courrez aucun danger ».
Autre lieu d’arrestation possible, indique-t-il : « …ma maison habituelle à Madrid, que vous connaissez très bien car c’est à ce même endroit que vous avez envoyé vos hommes de main pour m’arrêter la dernière fois.
Je vous prie seulement de ne pas le faire à des heures intempestives, comme la fois où vous êtes venus à 00h40 alors que je dormais déjà du sommeil du juste : ce n’est pas une heure pour aller déranger une maison décente, il n’est pas question de me présenter au poste de police de la Brigade politique sociale avec de la chassie dans les yeux : je suis un mec élégant ».
L’ironie n’est pas un délit en Espagne. Grâce à Willy Toledo, nous saurons bientôt si le droit au blasphème (si mal connu de Nicole Belloubet en France) existe chez nos voisins. Et accessoirement, nous verrons si soutenir les pays latino-américains qui défient Trump est le blasphème des blasphèmes.
Maxime VIVAS
COMPLEMENT PAR JEAN ORTIZ
Solidarité avec l’acteur Willy Toledo
Willy Toledo est un acteur espagnol connu et aimé du public populaire. Son travail d’acteur, dans de nombreux films et pièces de théâtre, est remarquable. A l’époque, il était la coqueluche que le « tout-Madrid » se disputait.
Mais voilà, il s’est engagé, avec un courage qui force l’admiration, dans la solidarité avec Cuba, le Venezuela, la Bolivie... Il est devenu, dès lors, pour la pensée dominante persona non grata et condamné à une mort lente professionnelle. L’homme ne manque ni de courage ni d’humour. On sait que l’Espagne demeure un pays où la hiérarchie de l’Eglise vit encore à l’heure du « national-catholicisme », des restes de la dictature franquiste, de la « croisade »... Contre l’avortement, contre le mariage pour tous (adopté), contre la procréation assistée, on a vu des évêques manifester, suivis d’énormes foules bigotes et néo-fachotes, dans les rues de Madrid. C’est dans ce contexte que l’acteur et quelques amis ont organisé une « procession des chattes (« de los coños ») insoumises », une initiative à l’humour ravageur, subversif, jouissif, chargée de remises en causes radicales... Willy Toledo, ô sacrilège des sacrilèges, a, ce faisant, remis en cause le dogme de la virginité de la Vierge Marie.
A la suite de cette parodie de procession, et de ses déclarations « athées », hâtées d’en finir avec le poids social et culturel, ultra-conservateur, de l’Eglise espagnole, Willy Toledo est poursuivi pour « atteinte au sentiment religieux », un euphémisme qui, pour l’acteur, cache en fait que le « délit de blasphème et d’hérésie » de l’époque franquiste reste en vigueur, sans vraiment dire son nom.
Pour répondre de ce délit, Willy Toledo est convoqué devant la justice à Madrid. On savait l’ordre moral en Espagne à cheval sur le dogme, mais tout cela pue le franquisme, comme lorsque les militants étaient « caressés » à la Brigade politico-sociale.
Il va sans dire que nous, communistes français, démocrates, antifascistes, sommes aux côtés de Willy Toledo, contre les obscurantistes, les inquisiteurs d’hier et d’aujourd’hui.
Jean ORTIZ