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Pourquoi la victoire de la droite n’a-t-elle déclenché aucune liesse dans les rues ?

VENEZUELA : PAYSAGE AVANT LA BATAILLE

Avec l’élection de deux tiers de députés de droite vient de se répéter le scénario médiatique qui accompagna la défaite électorale des sandinistes au Nicaragua en 1990. Le pays semble rentrer dans l’ordre néo-libéral, on reconnaît que la « dictature » est une démocratie, on félicite les perdants pour leur reconnaissance immédiate des résultats.

Mais pourquoi Caracas, au lendemain du scrutin, était-elle si triste ? Pourquoi une telle victoire n’a-t-elle déclenché la moindre liesse dans le métro, dans les rues ? Comment comprendre la mobilisation de collectifs populaires, ou que les syndicats se déclarent en « état d’urgence », alors qu’il y a trois jours une partie de même cette base populaire ne s’est pas mobilisée en faveur des députés bolivariens ?

Dès l’élection de Chavez en décembre 1998, nombre d’institutions révolutionnaires se sont peuplées du « chiripero » – surnom donné à la masse d’employé(e) qui troquèrent en 24 heures la casquette du populisme des années 90 pour une chemise rouge (alors que souvent les révolutionnaires authentiques étaient écartés). L’angoissante guerre économique a rendu insupportables la corruption et la surdité de ce secteur de fonctionnaires face à l’exigence d’une protection forte, d’un État plus efficace, plus participatif, travaillant à écouter les citoyen(ne)s.

Parallèlement, le « changement » promis par la droite a été interprété comme la fin de la guerre économique : les rayons des magasins se rempliraient de nouveau, les files disparaîtraient avec le retour du secteur privé au pouvoir. Or les leaders de l’opposition ont d’ores et déjà annoncé qu’il ne sera pas possible de régler le « problème économique » à court terme et que la priorité sera d’appliquer un programme visant à « modifier » les lois et acquis sociaux. Fedecámaras, organisation des commerçants et des chefs d’entreprises du secteur privé, demande à l’assemblée nationale d’annuler la Loi du Travail (1).

En ligne de mire : les hausses de salaire, la protection des travailleurs contre les licenciements, les conditions trop favorables des congés de maternité, la réduction de la durée du travail, les samedis libres, le paiement des heures sup, les bons d’alimentation. Les syndicats annoncent déjà des mobilisations de rue, réclament la nationalisation de la banque. Menacée et traitée de « cloaque » par le leader de l’opposition Ramos Allup, la chaîne parlementaire ANTV vient d’être remise intégralement à ses travailleurs par le gouvernement, et le président Maduro décrètera une loi pour protéger les travailleurs du service public, en étendant l’interdiction de licenciement de 2016 à 2018.

Assemblée populaire en cours á Caracas

La droite – elle ne s’en cache pas – veut revenir sur la plupart des acquis de la révolution (loi de contrôle des prix, loi des semences anti-OGM, loi de la réforme agraire, de protection des locataires, éducation gratuite, santé gratuite, construction de logements publics, pensions…), organiser avec les États-Unis la privatisation du pétrole et des autres ressources du pays, annuler les accords de coopération énergétique avec les pays plus pauvres des Caraïbes et de tout autre accord qui défie la vision unipolaire de Washington (PetroCaribe, ALBA, etc..), etc… Elle annonce aussi une « amnistie » pour les militants et le leader de “l’Aube Dorée” locale Leopoldo Lopez, organisateurs de violences meurtrières – celles de 2013 ont fait 43 morts, la plupart dans le camp bolivarien, et six membres des forces de l’ordre tués par balles. Ce sont eux que les médias internationaux appellent des “prisonniers d’opinion” au motif qu’ils appartiennent à l’extrême droite. Pour réaliser tout cela au plus vite, la droite cherchera, dans les mois qui viennent, à destituer le président bolivarien par un coup parlementaire comme celui subi par Fernando Lugo au Paraguay.

Faire la révolution n’est pas simple.

On voit la difficulté de construire une révolution socialiste sans démocratiser la propriété des médias, sans s’émanciper de cette prison culturelle de consommation massive, d’invisibilisation du travail, de fragmentation du monde, de passivité du spectateur. Le récent « rapport sur l’imaginaire et la consommation culturelle des vénézuéliens » réalisé par le ministère de la culture est en ce sens une excellente analyse politique. Il montre que la télévision reste le média préféré et que la majorité associe le Venezuela à l’image de Venevision ou Televen : « jolis paysages/jolies femmes ». Comment mettre en place une production communale à grande échelle, sans la corréler avec un imaginaire nouveau où la terre n’est plus la périphérie de la ville mais le centre et la source de la vie, de la souveraineté alimentaire ? Comment transformer des médias en espaces d’articulation et d’action populaire, de critique, de participation, si le paradigme anglo-saxon de la communication sociale (« vendre un message à un client-cible ») reste la norme ?

En conclusion

Une immense bataille commence, et deux issues sont possibles : soit un repli du camp bolivarien, avec répression des résistances sociales (l’histoire répressive (2) et les liens de la droite vénézuélienne avec le paramilitarisme colombien et la CIA sont bien documentés (3) ), vague de privatisations, retour à l’exploitation et à la misère des années 90, et silence des médias internationaux – comme lors du retour des néo-libéraux au Nicaragua de 1990 à 2006.

Soit les politiques de la droite serviront de fouet à la remobilisation populaire que Nicolas Maduro a appelée de ses vœux en provoquant la démission du gouvernement et en organisant une réunion avec les mouvements sociaux et le Parti Socialiste Uni (PSUV). Malgré l’usure de 16 ans de pouvoir et ces deux dernières années de guerre économique, la révolution bolivarienne conserve un socle remarquable de 42 % des suffrages. Même si les deux tiers des sièges parlementaires donnent à la droite une grande marge d’action, le chavisme dispose pour l’heure du gouvernement et de la présidence, de la majorité des régions et des mairies, et de l’appui d’un réseau citoyen – conseils communaux, communes, mouvements sociaux. Si le président réussit à repartir rapidement sur des bases nouvelles, sans diluer ses décisions dans une négociation interne entre groupes de pouvoir, si toutes ces énergies de transformation se reconnectent et agissent en profondeur, la leçon aura été salutaire.

Thierry Deronne, Caracas, 9 décembre 2015

Photos : merci à Orlando Herrera et à Milangea galea

Le mouvement populaire rencontre le président Maduro (juché sur le camion d’une radio associative) aux abords du palais présidentiel, Caracas, 9 décembre 2015

Notes :

(1) Lire « La nouvelle loi du travail au Venezuela », https://venezuelainfos.wordpress.com/2012/05/04/nouvelle-loi-du-travail-au-venezuela-un-pas-de-plus-vers-la-vraie-vie/

(2) Lire « la jeunesse d’aujourd’hui ne sait rien de ce qui s’est passé il y a trente ou quarante ans » https://venezuelainfos.wordpress.com/2013/01/19/la-jeunesse-daujourdhui-ne-sait-encre-rien-de-ce-qui-sest-passe-au-venezuela-il-y-a-trente-ou-quarante-ans/ et « comment la plupart des journalistes occidentaux ont cessé d’appuyer la démocratie en Amérique Latine » https://venezuelainfos.wordpress.com/2014/03/16/comment-la-plupart-des-journalistes-occidentaux-ont-cesse-dappuyer-la-democratie-en-amerique-latine/

(3) Lire « Venezuela : la presse française lâchée par sa source ? » https://venezuelainfos.wordpress.com/2015/08/04/venezuela-la-presse-francaise-lachee-par-sa-source/

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La poudrière du Moyen-Orient, de Gilbert Achcar et Noam Chomsky.
Noam CHOMSKY
L’aut’journal, 8 juin 2007 Les éditions Écosociété viennent de publier (2e trimestre 2007) La poudrière du Moyen-Orient, Washington joue avec le feu de Gilbert Achcar et Noam Chomsky. Voici un extrait qui montre l’importance de cet ouvrage. Chomsky : Un Réseau asiatique pour la sécurité énergétique est actuellement en formation. Il s’articule essentiellement autour de la Chine et de la Russie ; l’Inde et la Corée du Sud vont vraisemblablement s’y joindre et peut-être le Japon, bien que (…)
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Il n’y a pas de pays musulman plus intégriste que l’Arabie Saoudite (...) et pourtant c’est à la fois un ami et un pays important pour les Etats-Unis. (...) Nous ne devons nous opposer à l’intégrisme que dans la mesure exacte où nos intérêts nationaux l’exigent.

James Baker
Ministre des Affaires Etrangères des Etats-Unis, 1996

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