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Venezuela : 18 questions et réponses sur le socialisme du XXIè siècle, par Haiman El Troudi.








[Ce texte de Haiman El Troudi s’inscrit dans le débat florissant au Venezuela sur le Socialisme du XXIe siècle, c’est-à -dire un socialisme vénézuélien qui en s’inspirant des modèles du XX siècle entend prendre une certaine distance et l’agrémenter des propres racines du pays bolivarien. Ce texte, écrit pour le débat d’idées, est une des nombreuses collaborations des intellectuels vénézuéliens à la réflexion sur le Socialisme. Ecrit pour tous les Vénézuéliens, il nous a semblé utile de le traduire pour que le public francophone puisse se représenter un des courants d’idée qui traversent la discussion politique au Venezuela. NDT]




Le socialisme du XXIè siècle peut-il coexister avec l’entreprise privée ?

La carte jouée par toutes les expériences du socialisme réel du siècle dernier a été fondée sur la recherche de l’égalité basée sur la propriété sociale des moyens de production. Avec l’élimination de la propriété privée, ces expériences socialistes affirmaient assurer l’élimination des inégalités sociales, donnant ainsi naissance à une société sans classes.

A part en de notables exceptions, cela ne s’est pas passé ainsi. Même si l’Etat était propriétaire des moyens de production, la division en classes perdurait malgré tout : d’un côté la bureaucratie étatique privilégiée et nantie, les « représentants » de la société dans l’administration du gouvernement, et d’un autre, la population privée d’espaces pour la participation à la gestion publique, mis à l’écart de l’exercice d’un pouvoir populaire et démocratique.

En grande part, leur échec est venu d’une erreur : ne pas interpréter la dialectique des processus qui naissent et se développent au milieu de contradictions importantes et de résistances.

En cela, le Socialisme du XXIè Siècle (SSXXI) doit être compris en termes de processus ; son idéal étant d’établir de nouvelles relations de « vivre-ensemble » fondées sur l’égalité, la justice sociale et la solidarité, en instaurant pour cela un nouveau mode de production. Réaliser cet idéal suppose d’effectuer un long chemin, que les théoriciens nomment la transition. La transition vers le socialisme peut durer de longues années, ce sera peut-être le travail d’une génération.

Le défi dans cette transition est d’obtenir un consensus.

Rappelons-nous que la révolution bolivarienne est pacifique, et transformer pacifiquement le Venezuela suppose le dialogue des savoirs et le respect de la pluralité d’opinions. Que se passerait-il dans le pays si on décidait brusquement d’étatiser ou de nationaliser toutes les entreprises ?

Ceci n’est pas le cas. Le cap vers le socialisme peut toujours, sans aucune difficulté, développer l’initiative privée qui accepte les nouvelles règles du jeu. Rappelons-nous que Marx lui-même n’était pas opposé à la propriété privée gagnée dans l’effort et l’honnêteté. Tant pis pour ceux qui s’excluent eux-mêmes, pour ceux qui se refusent à reconnaître que le socialisme est notre nouvelle réalité.

Pour ceux qui n’ont pas écouté le Président Chavez dire qu’il n’existe pas de recette du socialisme, je le répète, nous construirons le Socialisme du XXIè Siècle de manière collective, et l’idée est de prendre de la distance avec les erreurs des socialismes du XXè Siècle. Le développement national requiert le concours de tous : l’Etat, les institutions privés et les communautés organisées.

Pour l’instant - et nous ne savons pas pour combien de temps-, il est donc question d’un modèle d’économie mixte : la propriété sociale des moyens stratégiques de production aux mains de l’Etat ; dans tous les autres secteurs économiques, la propriété privée aux mains de particuliers sera possible, qu’elle soit individuelle ou collective ; et enfin la gestion populaire directe sur la propriété sociale, assumée par une communauté ou des organisations créées à cet effet.

Les membres d’une organisation de ce type ne sont pas les propriétaires, ils ont l’usufruit des facteurs de production tant qu’ils y travaillent. En décédant ou en quittant l’organisation productive, ils ne peuvent pas transmettre leur droit, ni le céder, ni le vendre.


Quels sont les changements que doit expérimenter le secteur privé actuel pour s’adapter le socialisme du XXIè siècle ?

Le Président Chavez avait déjà lancé une proposition en 2005 : se constituer en Entreprises de Production Sociale. Dans ce cadre, l’activité privée participe en co-responsabilité avec la Souveraineté Productive Nationale, respecte un ensemble de pré-requis ordonnés par l’Etat, et de cette manière peut accéder aux bénéfices que cette structure offre : exonérations fiscales, marchés d’Etat, financement, machines, etc...

Dans le livre « Entreprises de Production Sociale, instrument pour le Socialisme du XXIe siècle », nous rapportions notre opinion quant aux traits caractéristiques que toute EPS doit incorporer progressivement :

1. La Responsabilité Sociale de l’Entreprise : les entrepreneurs dispensent des oeuvres sociales au bénéfice de la communauté ;

2. Lien avec les problèmes locaux : elles apportent leur soutien à l’organisation sociale, et à la recherche de solutions, elles s’articulent avec les Conseils Communaux, etc ;

3. Elles produisent pour satisfaire les besoins sociaux, et non pas dans l’objectif de vendre pour vendre et d’augmenter ses revenus : elles ne cherchent pas à stimuler la consommation de biens superflus ou luxueux, elles se concentrent sur la fabrication de produits fondamentaux pour la subsistance humaine ;

4. Redistribution des excédents entre les propriétaires des entreprises, les travailleurs et la société : elles ne s’enrichissent pas aux dépens de l’exploitation du travail d’autrui, mais partagent au contraire les marges de bénéfices ;

5. Diminution des bénéfices particuliers et augmentation des bénéfices sociaux : les EPS gagnent le nécessaire et réduisent les prix des marchandises au maximum, en bénéfice de la population ;

6. Elles tissent des relations de Commerce Equitable : elles rompent les chaînes et les filets de la distribution et de la spéculation, en échangeant leurs marchandises avec le moins d’intermédiation possible ;

7. Elles s’incorporent aux plans de formation des travailleurs, et en cela elles contribuent à diffuser la culture et à élever les consciences

8. Elles construisent des relations de démocratie directe à l’intérieur des unités de travail : élection des représentants et des administrateurs, rendu de comptes, contrôles sociaux des travailleurs, révocabilité des mandataires ;

9. La production est guidée par les principes de la valeur d’usage de la marchandise : on ne produit pas pour la valeur commerciale de biens déterminés, outre le fait que la rentabilité de l’entreprise de rime pas avec qualité...

10. Elles donnent une rémunération digne et régulière aux travailleurs : à chacun selon ses besoins et son travail ;

11. Elles destinent la production à ceux qui en ont le plus besoin : elles s’intégrent de façon désintéressée aux Plans de Protection Sociale destinés à ceux qui sont en situation de grande pauvreté et d’exclusion ;

12. Elles prennent un engagement écologique pour les générations futures ;

13. Elles s’articulent avec les Plans Gouvernementaux de Développement comme les Noyaux de Développement Endogène [1], les budgets participatifs, les cabinets mobiles ;

14. Elles créent et/ou encadrent de nouvelles entreprises, coopératives ou associations productives sans but lucratif et sans y rechercher un intérêt économique

15. Elles appliquent les nouveaux protocoles de service au public : traiter dignement les travailleurs, les clients et toutes les personnes en général, dépasser les pratiques bureaucratiques clientélistes et les dysfonctionnements hérités de la IVe République.

Même si les EPS sont propriétaires de certains moyens de production, elles agissent selon un logique solidaire, ne retirant que le bénéfice nécessaire, sans chercher le surprofit, et collaborant avec l’Etat pour l’instauration d’une société juste, inclusive et égalitaire. Il ne s’agit pas ici d’entrepreneurs dont l’unique but est l’accumulation démesurée. Les EPS ont une conscience sociale, elles organisent leur activité productive en fonction des besoins du peuple. Les entrepreneurs savent qu’ils gagneront de l’argent mais qu’il s’agira de richesse obtenue par le travail.

Le programme « Fabrica Adentro » [2] a déjà incorporé plus de mille entrepreneurs, avec l’idée de transformer leurs entreprises en EPS. Ceux qui ne sont pas disposés à le faire ne pourront pas espérer obtenir d’aides publiques, devront payer leurs impôts, respecter la loi, et fatalement devront se soumettre à l’opinion publique nationale, chaque jour plus consciente et mobilisée pour construire le socialisme.


3. Autant de marché que possible et autant d’Etat que nécessaire ?

Certains défendent cette thèse. Pas moi. Entre autres parce qu’elle laisse de côté la communauté organisée qui participe à la production.

Selon moi, dans le Socialisme du XXIè siècle, la communauté s’organise aussi bien pour assurer les fonctions de gouvernement local : Conseils Communaux, Conseils Locaux de Planification Publique, contrôle citoyen, prises de décision, etc..., que pour entreprendre des activités productives : coopératives, EPS, entreprises autogérées ou cogérées, associations de mutuelles, etc... C’est-à -dire en fait pour prendre en charge les domaines du pouvoir politique et du capital. La communauté est protagoniste, et pas uniquement un acteur de la répartition.

La relation entre l’Etat, le marché et la communauté doit toujours dépendre de la capacité d’organisation de la communauté. C’est un triangle orienté par la communauté. Il ne peut en être autrement dans le socialisme, puisque c’est le bénéfice collectif qui indique le Nord, pas celui des secteurs dirigeants ni de groupes privilégiés.

Parmi les hypothèses de l’économie politique, le marché suppose une production sociale et une appropriation privée, ce qui est le contraire même du socialisme. L’équation correcte est « production sociale + appropriation collective ». Le rôle de l’Etat est de servir de pilier et de moteur du processus, il ne doit pas s’ériger sur la société et la diriger, mais faire pleinement partie de la société.

L’Etat vénézuélien héritier de la IVè République n’est pas un Etat révolutionnaire, mais est au contraire un Etat déformé, inefficient, corrompu et clientéliste. Il faut donc construire un nouvel Etat démocratique, dans lequel le peuple soit au centre de la prise de décisions. Le marché, qui est ici toujours défini comme le champ où s’échangent les biens et services pour la satisfaction des besoins réels de la population, doit se plier aux règles et à l’intérêt de la majorité.


4. Le modèle rentier toujours en place entraîne le consumérisme. N’est-ce pas une contradiction que la politique sociale du gouvernement se place sous ces auspices ?

Le pari du gouvernement bolivarien a été celui de l’inclusion sociale fondée sur la satisfaction des besoins réels de la population, aussi bien que le plan matériel que culturel, et sur le soutien à la consommation de ces biens, notamment pour les secteurs pauvres et marginalisés de la société. Le nivellement des conditions de vie doit se faire par le haut, afin que nous puissions tous vivre dignement et bénéficier d’une certaine qualité de vie. Il s’agit de former une sorte de classe moyenne, mais qui soit une catégorie socio-économique médiane agissant au sein de relations et de valeurs socialistes, et non régie par la logique capitaliste.

Il faut bien distinguer la consommation et le consumérisme. La consommation est une activité absolument nécessaire à la vie, qui consiste dans l’achat rationnel de biens et services nécessaires : alimentation, toit, chaussures, énergie, services, sécurité sociales, etc. Le socialisme alloue à tous l’accès à ces consommations vitales.

Le consumérisme est une consommation démesurée, superflue, créée par la soif d’enrichissement du capitalisme, ou, ce qui revient au même, c’est une attitude frivole et superficielle qui consiste à acheter pour acheter tout ce que propose le marché, une forme de mercantilisation extrêmement développée. Pour assurer leur subsistance, le capitalisme et le marché nécessitent une société de consommation sous l’égide du consumérisme.

Ce que la révolution a accompli, c’est la redistribution de la rente nationale pétrolière en priorité aux exclus. Cela a si bien fonctionné que, très récemment, les secteurs les plus vulnérables de la société ont commencé à épargner.


5. Comment sera le modèle économique qui se substituera au capitalisme ?

La métaphysique du capitalisme, c’est l’idée de la rupture de stock : les ressources de la planète sont insuffisantes pour que tous puissent s’enrichir. Seule une minorité privilégiée y parvient, à travers l’exploitation du travail d’autrui et des moyens de production. Moins de 15% de la population mondiale concentrent plus de 80% des richesses.

Au contraire, le socialisme repose sur la théorie de l’abondance : il existe sur Terre suffisamment de ressources pour subvenir aux besoins de la population mondiale si elles sont distribuées équitablement. Pour cela la révolution bolivarienne a redistribué les richesses entre tous...

Il est ici question d’un nouveau modèle économique qui se forgera à la lumière des circonstances historiques qui résultent de la transition vers le socialisme. Celle-ci, de la voix même du Président Chavez, sera une économie mixte mais construit autour de nouvelles relations productives, auxquelles participeront les communautés organisées et les petites, moyennes et grandes entreprises, aussi bien publiques que privées.


6. Le coopérativisme est-il le modèle qui soutiendra la nouvelle économie ?

Les coopératives sont des formes d’association dont la propriété est privée mais collective. Le coopérativisme n’est pas une forme d’organisation typiquement socialiste, il peut exister également au sein d’une structure capitaliste. La propriété collective et la propriété sociale sont deux choses bien distinctes.

La révolution bolivarienne a vigoureusement encouragé toutes les modalités possibles d’organisation productive. Nous sommes passés de 12.000 à plus de 140.000 coopératives. Un large système de micro-financement qui démocratise le crédit est implanté. En accordant des terres et des machines, on augmente les capacités de production. La mission « Vuelvan caras » [3] va vers les gens et crée des noyaux locaux pour le développement endogène. La mission « Fabrica adentro » accorde des bénéfices aux entreprises privées. On encourage la constitution d’entreprises de production sociale, etc...

Comme nous pouvons voir, tout ne se fonde pas sur le modèle coopératif. Nous croyons au coopérativisme, mais nous ne le considérons pas comme la forme unique sur laquelle repose notre stratégie économique productive.


7. Quels sont les secteurs stratégiques de l’économie susceptibles d’être nationalisés ou étatisés ?

Tous les moyens de production stratégiques sont susceptibles d’être étatisés et/ou nationalisés au nom de la sûreté et de la souveraineté nationales... Pour donner un inventaire approximatif de ces ressources stratégiques, on pourrait citer : l’énergie quelqu’en soit la source (pétrole, gaz, électricité...), l’eau, l’air, les réserves de biodiversité, les industries productrices de matière première pour le secteur industriel, les télécommunications, les terres non cultivées, les trains et tramways, l’exploitation de minéraux précieux et à haut contenu radioactif.

Le secteur bancaire est également un outil de production stratégique, mais selon moi il ne devrait pas faire l’objet d’une étatisation, à moins que les entreprises privées ne contreviennent aux dispositions de la loi et ne portent atteinte aux intérêts nationaux.


8. Les nationalisations et étatisations représentent-elles un quelconque risque ?

Ceux qui associent le socialisme à l’étatisation se trompent. Les expériences historiques d’un « tout-étatisation » ont conduit au capitalisme d’Etat. Le socialisme du XXIè siècle que le Président Chavez nous invite à construire collectivement doit apprendre des manques et des erreurs du passé, dans le même temps où il doit se servir des expériences couronnées de succès si elles sont applicables à la réalité vénézuélienne.

Les craintes au sujet des étatisations sont infondées, les autorités n’ont fait aucune annonce ni n’ont adopté aucune attitude hostile à la propriété privée. Ce que nous sommes en train de faire est de remettre de l’ordre dans les dysfonctionnements générés par les secteurs antinationaux qui cherchent à semer la confusion et la déstabilisation ; j’en prends pour exemple ce qui s’est passé récemment avec les blocages d’approvisionnement en nourriture.

A ce sujet, le Président Chavez a fait le commentaire suivant : « la propriété privée sera « supprimée et éliminée » quand elle porte atteinte aux intérêts de la communauté pour laquelle elle est supposée travailler ». Maria Cristina Iglesias [4] a dit : « Exproprier les moyens de production : NON !, mais les mettre au service du peuple ! ».

A ceci j’ajouterais, en réfléchissant aux questions de l’inefficience des institutions de l’Etat hérité de la IVè République, au bureaucratisme et à la corruption : l’Etat vénézuélien serait-il en mesure de gérer tous les moyens de production si ceux-ci passaient sous son contrôle ? Pour l’instant, j’en doute.

Le processus bolivarien s’oppose aux privatisations autant qu’il s’oppose au pouvoir des monopoles, mais il a également appris les leçons de l’histoire, et à cet égard il sait que la nationalisation des entreprises ne garantit pas que celles-ci soient gouvernées par le peuple et pour le peuple.


9. Pourquoi est-ce si important de dépasser le capitalisme ?

Parce que c’est impératif pour l’humanité. La survie de l’espèce humaine sur la planète n’est pas viable au sein du capitalisme.

La promesse du capitalisme est la richesse. Le problème est que pour être riche il faut posséder en abondance des biens matériels et financiers, et les premiers, présents dans la nature aussi bien sous forme de matières premières que de produits transformés, ne sont pas illimités, encore moins lorsqu’ils ne sont pas renouvelables. Par conséquent, avec plus de 6 milliards d’habitants dans le monde, il est difficile de garantir à tous une part importante dans la répartition des richesses.

La promesse faite par le capitalisme est irréalisable ; sa réalisation nécessiterait plusieurs planètes comme la Terre.

Pour chaque capitaliste riche, il y a des millions de personnes plongées dans la misère et une part de ressources qui s’épuise. La richesse des privilégiés s’est nourrie de l’exploitation des autres et de la destruction de l’environnement. Il est essentiel d’avoir cette réalité à l’esprit lorsqu’on peut être hypnotisé par les attraits de la richesse : si la grande majorité des habitants du monde se décidait à devenir riche et y parvenait - hypothèse d’école -, il y aurait derrière cette impossible réalisation un paysage désertique et une quantité incommensurable d’individus exploités et poussés au fond d’un abîme de misère.

Le capitalisme alimente ses propres résistances et ses propres antagonismes. Ils sont peu nombreux, ceux qui ne reconnaissent pas son ordonnement irrationnel du monde, non seulement en raison de sa logique d’oppression et d’exploitation, mais surtout pour sa capacité à générer des antivaleurs.

Ce système infâme repose sur « l’exploitation de l’homme par l’homme » ; il enrichit une classe dominante et minoritaire aux dépens de la misère de la majorité, il prive les travailleur-se-s de la possibilité de disposer de la richesse qu’ils créent eux-mêmes.

Les caractéristiques du capitalisme, dans sa marche historique, ont été de rompre les liens sociaux, de désintégrer les communautés, d’épuiser les ressources naturelles et de prolétariser des continents entiers. Nous voulons dépasser le capitalisme dans la mesure où nous voulons instaurer : un nouveau système de relations sociales dans lequel les intérêts privés ne primeraient pas sur les intérêts collectifs. Nous voulons fonder des relations sociales qui favorisent le triomphe de la fraternité sur l’égoïsme, du bien-être collectif sur l’individualisme, de l’égalité sur l’iniquité sociale, de l’inclusion sur l’exclusion, des besoins sociaux sur la richesse privée, du travail digne sur l’exploitation, de l’efficience socialiste sur l’inefficience capitaliste, de la satisfaction des besoins réels sur le consumérisme.

La promesse du socialisme est celle d’un développement humain intégral. Des hommes et des femmes qui se réalisent matériellement et culturellement. Pour cela il n’est pas nécessaire d’être riches, il suffit de calquer les conditions de vie de l’ensemble de la population sur celles de la classe moyenne.


10. Est-il possible de conjuguer le socialisme du XXIè siècle avec une économie basée sur l’exportation de pétrole ?

C’est parfaitement possible. C’est peut-être cette situation particulière d’abondance de ressources d’hydrocarbure qui a créé les conditions de possibilité de notre révolution.

La richesse en pétrole et en gaz, loin d’être un obstacle pour la transition vers le Socialisme en est le catalyseur. Que se passerait-il si nous ne disposions plus de ressources pour la relance de la production nationale et la lutte contre la pauvreté ? Qu’a donc fait l’ex URSS pétrolière dans ses années de plein essor ? Redistribuer la richesse, exactement ce que nous faisons ici.

Dans tous les cas, le défi est de vaincre la culture paternaliste, clientéliste, assistancialiste, et populiste hérité du consensus punto-fijiste [5]. Le défi est de nous éloigner de la logique capitaliste alimentée durant l’époque de la Venezuela saoudite, où tout était acheté par le pétro-argent.


11. Le Socialisme du XXIe siècle sera-t-il un retour au troc ?

Il est difficile d’instaurer un système de troc dans le système globalisé d’aujourd’hui. Dans une des petites îles de Cuba, plusieurs essais d’économie fondée sur l’échange ont été tentés et les résultats n’ont pas toujours été positifs.

Cependant, je suis partisan de l’idée que des économies complémentaires échangent des biens et des services, comme nous le faisons déjà à travers l’ALBA [6]. En échange du pétrole, le Venezuela reçoit des vaches uruguayennes, des semences argentines, du soja bolivien, ou des services médicaux cubains,...

Il est possible que le troc et la circulation de monnaie locale puissent s’instaurer dans des espaces réduits, comme par exemple dans les nouvelles villes fédérales socialistes, dans les noyaux de développement endogènes, entre coopératives et EPS, etc... mais pas dans le contexte élargi de l’économie régionale et nationale.


12. Est-il possible que l’industrie pétrolière soit régie par le modèle de cogestion ? [7]

Pas pour l’instant. Nous devons d’abord continuer de développer la culture cogestionnaire avant de l’adopter dans la principale industrie du pays, principale source de revenue nationale.

En vue d’éclairer ce concept, pour que nous soyons d’accord sur la définition, par cogestion, j’entends parler du partage de la gestion entre les travailleurs d’une entreprise qui assument par là des rôles de gérants, pratiquent la démocratie interne pour la l’élection des autorités qui devront rendre des comptes de manière transparente, ouvrir les caisses noires des administrations, et où les mandatés comme les fonctionnaires peuvent être révoqués. Le tout sur la base du critère de l’efficience productive... Je ne pense pas la cogestion comme un système fondé sur la participation actionnariale des travailleurs dans leur industrie.

PDVSA est et doit continuer à être à tous les Vénézuéliens et Vénézuéliennes.


13. Peut on avancer une définition temporaire du Socialisme du XXIe siècle ?

Le Socialisme du XXIe siècle ne peut pas encore être confiné dans une définition temporaire rigide. Je préfère avancer certaines caractérisations qui pourront être interprétées au final comme un système de traits distincts.

Dans tous les cas, nous proposons des idées pour le débat qui vient de commencer sur ce thème : le Socialisme du XXI siècle est un nouveau socialisme, d’un nouveau type, qui cherche à dépasser les erreurs du passé tout en gardant les apports positifs, qui retient des autres expériences le profond sens humaniste et les relations fraternelles et libertaires, mais qui sera défini au prisme du nouvel ordre mondial et de la spécificité vénézuélienne.

Un Socialisme pensé et élaboré dans les champs féconds de l’originalité et de la créativité de ce peuple d’artisans et d’orfèvres. Un Socialisme forgé dans la justice de nos libertadores, un Socialisme au parfum d’utopie réalisable. S’interrogeant sur les incertitudes de ce qui est en train de naître. Annoncé dans les rues pavées du temps présent. Diabolisé par la marée basse de ce qui se résiste à succomber. Calomnié par l’écho des voix de ceux qui admettent la fin des idéologies. Vilipendé dans les cocktails de ceux qui trahirent leurs principes et leur conscience.

Mais avant de poursuivre dans l’identification de ses caractéristiques, laissons la parole à ceux qui ont exposé les idées fondamentales du Socialisme.

Avec Marx et Engels, la doctrine socialiste s’impose scientifiquement face au capitalisme, en signalant qu’il s’agit d’un système supérieur au régime capitaliste en en ce qu’il substitue la propriété collective des moyens de production à la propriété privée, en ce qu’il instaure un gouvernement du Peuple et parce qu’il pose les bases d’une société supérieure fondée sur l’égalité sociale et le développement intégral de l’individu.

Selon le Che, "le Socialisme n’est pas une société de bienfaisance, ce n’est pas un régime utopique basé sur la bonté de l’homme. Le Socialisme est un régime auquel on arrive historiquement, et qui a comme base la socialisation des biens premiers de production et la distribution équitable de toutes les richesses de la société, dans le cadre d’une production sociale."

Dans une société socialiste, chacun travaille selon ses moyens et est rétribué selon ses besoins ; de cette manière, on gomme les différences sociales entre les personnes.

Dans ce contexte, le défi socialiste du XXI siècle suppose une actualisation de l’idéal précurseur du Socialisme utopique, qu’on peut voir comme une pépinière où de nouveaux idéaux germent dans un horizon enrichi à travers l’Histoire par les enseignements et l’apprentissage des expériences précédentes.

Le nouveau Socialisme doit sauvegarder les idées de liberté, d’égalité, et de fraternité, mais en les rattachant à la base à une spécificité concrète, aux demandes actuelles et ce, à partir d’une analyse critique des réussites et des erreurs historiques du camp socialiste du XXe siècle ; il doit aussi signifier democratie sans limites, pluralisme, coopération, bien-être, développement intégral de l’être humain, paix, utopie et amour.

C’est pour ça que, lorsque je me réfère aux idées forces du Socialisme d’un nouveau type, je préfère esquisser ce qu’il ne doit pas être, séductions dans lesquelles la Révolution Bolivarienne évite de tomber :

Ne doit pas être :

12. Un capitalisme d’Etat

13. Populiste-paternaliste

14. Messianique

15. Etatiste

16. Guerrier

17. Athée

18. Avec un Parti unique

19. Totalitaire

20. La copie d’un modèle

21. Ne doit pas pratiquer excessivement un centralisme "démocratique"

22. Protecteur de la division entre dirigeants et dirigés

De la même manière, en me référant au Socialisme du XXIe siècle, je me propose de l’associer aux synonymes suivants. Le Socialisme du XXIe siècle est 1) une nouvelle société, régie par 2) le pouvoir populaire 3) au sein d’une démocratie profondément participative 4) avec une égalité matérielle et culturelle où 5) chacun reçoit de la société ce dont il a besoin pour mener une vie digne et donner selon ses capacités, dans la recherche du 6) développement intégral des êtres humains.


14. Quel sera le changement culturel des vénézuéliens accoutumés aux valeurs négatives du capitalisme ?

Nous voulons une nouvelle société, une femme nouvelle, un homme nouveau mués par la solidarité. Dans cette société devra exister l’égalité matérielle et culturelle entre tous, c’est-à -dire la matérialisation du développement intégral de tous, d’une vie digne et de la pleine réalisation de l’humanité. C’est une société avec des valeurs rénovées.

Entre autres valeurs, l’homme nouveau, la femme nouvelle doivent etre éthiques, justes, pratiquer la réciprocité, participatifs, honnêtes, disciplinés, responsables, humbles, efficients, sociables, créatifs, doivent asumer l’égalité de genre, desintéressés, passionnés, ne pas être individualistes, ni mesquins, ni racistes, ni intolérants, ni adulateurs...

Nous voulons mettre en pratique la formule marxiste : "que chacun s’emploie au maximum de ses capacités et soit rémunéré selon son travail" pour vaincre l’aliénation consumériste, le gâchis environnemental, le culte de l’argent, et la fortune facile, la corruption et l’égoïsme.


15. Socialisme Vs. Corruption. Comment va-t-on livrer bataille ?

La corruption est la déviation la plus connue de l’honnêteté. Cette pratique incorrecte est inhérente à tous les domaines sociaux, autant dans le capitalisme que dans le socialisme. La corruption existe dans les deux systèmes, dans l’administration publique comme dans le secteur privé, dans les foyers comme dans les institutions, chez les hauts cadres ou agents publics comme chez ceux de moindre rang.

La corruption est l’acceptation du style de vie matérialiste que nous impose l’idéologie capitaliste. La corruption est la fille de la recherche avide d’une richesse facile et de l’esprit de luxe induit par le fétichisme de la marchandise.

Un tel mal mérite une attention particulière centrée sur la personne et la société. L’éducation a un rôle de premier ordre à jouer dans cette bataille. Le socialisme éduque l’être humain afin que celui-ci devienne une personne capable d’utiliser de manière adéquate sa liberté, sans transgresser les normes et principes déterminés pour le bien commun au sein de son organisation et de la société.

C’est pourquoi la corruption ou la diminution de l’éthique publique sont le résultat d’un usage inapproprié de la liberté qui, à ne pas être soumis obligatoirement à un certain nombre de valeurs, incite les fonctionnaires et les citoyens à violer et/ou oublier les normes et préceptes qui soutiennent la bonne gouvernance.


16. Comment se manifeste la corruption ?

Les formes par lesquelles se manifeste la corruption sont diverses et variées.

Il y a corruption lorsque les fonctionnaires font profit des marges de liberté qu’ils possèdent dans leurs organisations et emploient le pouvoir et l’autorité qui leur ont été délégués pour leur propre bénéfice. Un exemple de ce type est la demande et/ou l’acceptation de commissions, de récompenses pour ses services.

Un autre exemple : lorsque les citoyens exercent une pression pour obtenir des bénéfices ou des faveurs, au travers de commissions qu’ils offrent aux fonctionnaires. De la même manière, il y a corruption lorsque l’argent public est détourné au moyen de stratagèmes administratifs et juridiques.

Ou encore, la corruption peut s’exprimer quand le devoir n’est pas accompli. De même, la corruption se base sur la mise en valeur de ses intérêts, en accélérant le service sollicité, par l’intermédiaire de l’influence d’un parent ou d’un ami. Enfin, la corruption est associée aux pratiques népotiques.

D’autre part, nous devons définir les pratiques de corruption comme une réponse à des circonstances sociales qui ne peut pas être détachée des actes individuels. Contrairement à ce que l’on pense fréquemment, la corruption ne repose pas sur des individus, mais sur des situations sociales déterminées qui s’insèrent dans les failles de l’éthique publique, que l’on peut attribuer à deux facteurs basiques : a) La présence d’individus moralement faibles b) la préexistence de contextes administratifs, organisationnels, et sociaux qui la favorisent.


17. Comment agir face la corruption ?

Le point de départ sera développé par les socialistes au sein de la fonction publique, en pratiquant de nouvelles conduites :

Traiter les usagers avec respect, accepter ses erreurs et recevoir positivement les conseils, ne pas accepter de commissions pour son travail, être prudent et bien gérer l’information que l’on reçoit, être juste dans sa prise de décision, se baser sur des faits démontrables et non sur des mensonges, des rumeurs ou des ragots, n’avoir aucune préférence pour quelqu’un, ne pas abuser de son pouvoir, tenir sa parole, agir avec transparence et sincérité, ne pas avoir de double morale, faire le maximum d’effort et mettre toute sa connaissance à la tâche, être solidaire, accomplir les objectifs communs, mettre en valeur les personnes pour ce qu’elles sont vraiment sans se laisser influencer par les apparences, respecter les croyances, opinions, coutumes et préférences politiques des autres, et ne pas traiter de manière injuste les personnes dont les points de vue divergent, être respectueux et obéir à la loi et à la justice, ne pas discriminer ses collègues féminines, ne pas utiliser son pouvoir pour dénigrer ceux qui nous sont antipathiques, ne pas harceler sexuellement ses collègues,...


18. Quels moyens appliquer pour combattre la corruption ?

Ce défi suppose une structure complexe, qui implique diverses avancées : l’Education et la morale socialiste, l’exemple des révolutionnaires, la le contrôle social (contraloria social), l’ouverture des caisses noires de l’Etat, la flexibilisation et la simplification des appareils bureaucratiques-administratifs, la démocratisation de la prise de décision aux mains des communautés organisées, la comptabilité publique périodique et transparente de la part des fonctionnaires et autorités du gouvernement, la gestion directe des oeuvres publiques par les communautés, qui peuvent aussi participer à leur réalisation, les appels d’offre publics, la bonne administration de la justice, etc. Tous ces moyens nous permettrons d’éradiquer la corruption dans la société.

Haiman El Troudi
Ancien directeur de cabinet du Président Chavez (2004-05), ancien Secrétaire National du Comando Maisanta durant le referendum d’août 2004, ancien conseiller du Ministère de la Planification, actuellement il est Directeur du programme de recherche sur le Socialisme du XXIe siècle au Centre International Miranda.
Auteur de nombreux ouvrages en espagnol consultables sur :
http://haimaneltroudi.blogspot.com


 Traduction : Mathilde Gauvain, Romain Migus.




La guerre de désinformation de Reporters Sans Frontières contre le Venezuela, par Salim Lamrani.






[1Les Noyaux de Développement Endogène sont des centres de développement économique et social, formés autour de coopératives de production et intégrant les unités des missions d’éducation et de santé. NDT.

[2Accord passé entre le Ministère du Pouvoir Populaire pour le Commerce et les Petites et Moyennes Industries et des entrepreneurs vénézuéliens afin de dynamiser l’agencement industriel du pays.NDT.

[3Fondée sur l’article 3 de la Constitution Bolivarienne, la mission Vuelvan Caras vise à encourager le développement des capacités productives au sein des communautés, grâce à des envoyés dans les quartiers populaires qui aident à la création d’organisations productives, notamment sur le plan logistique. NDT.

[4Actuel Ministre du Pouvoir Populaire pour le Commerce et les petites et moyennes industries. NDT.

[5Au sortir de la dictature du général Perez Jimenez, les principaux partis à l’exception du Parti Communiste signèrent un pacte dans la ville de Punto-Fijo qui eut pour conséquence le partage du pouvoir (et du pactole pétrolier) entre les partis social-liberal et démocrate-chrétien durant 40 ans. NDT.

[6ALternative Bolivarienne pour les Amériques. Accord régional signée entre la Bolivie, le Venezuela, Cuba et le Nicaragua qui tend vers une integration régional solidaraire et coopérative. Sa construction s’est faite en réaction à la Zone de Libre Echange entre les Amériques que prétendait imposé les Etats-Unis avant d’échouer devant la nouvelle donne régionale lors du Sommet de Mar del Plata en novembre 2005.NDT.

[7La cogestion est un des modèles de production prônés par le gouvernement bolivarien dans la construction du Socialisme du XXIe siècle. Une série d’entreprise occupée par les travailleurs ont été nationalisé et placé sous le contrôle de l’Etat et des ouvriers, regroupés en une coopérative. Ces derniers assurant la gestion de l’entreprise ne partenariat avec l’Etat. NDT.


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Claud Cockburn

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