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USA : Le vent de l’intolérance souffle sur la frontière.





Il manifesto, Los Angeles, dimanche 22 octobre 2006.


Dans la plaine centrale de Californie, d’un côté le désert, de l’autre des cultures ininterrompues, immenses étendues de laitues, tomates et vergers. Mais ces jours ci, beaucoup de fruits pourrissent sur pied car la main d’oeuvre se raréfie : les élections du 7 novembre approchent et les exigences de la campagne électorale ont rendu plus strict le contrôle de la frontière avec le Mexique ; et réduit à un petit ruisselet le flux d’habitude impétueux des clandestins, sans lesquels l’agriculture californienne s’arrêterait d’un coup. Si bien que les durs du parti républicain se moquent des lettuce liberals, les « progressistes de salade », c’est-à -dire ceux qui redoutent un renchérissement brutal des produits alimentaires si des salaires plus hauts ramènent les étasuniens aux travaux des champs. Dans la galéjade, le député républicain de l’Arizona, J. D. Hayworth, en rajoute une louche dans son livre Whatever It Takes : Illegal Immigration, Border Security and the War on Terror (« Peu importe combien ça coûte : immigration illégale, sécurité des frontières et guerre au terrorisme ») dans lequel il propose une série de mesures drastiques : un nouveau mouvement « américaniste », pour faire de l’anglais la seule langue officielle ; un investissement de 4 à 8 milliards de dollars pour construire un mur qui aille du Pacifique à la Côte du Golfe ; davantage de centres de détention pour les clandestins surpris en train de traverser la frontière ; le retrait de la citoyenneté étasunienne aux « enfants ancre » - les enfants dont la naissance aux Etats-Unis leur donne la citoyenneté (ici c’est le droit du sol qui prévaut :on est citoyen du pays dans lequel on naît, pas de celui dont descend sa famille comme dans le « droit du sang ») et qui « ancrent » leurs familles aux Etats-Unis ; l’expulsion des diplomates mexicains qui critiquent la politique américaine de frontière ; l’enrôlement de 10.000 nouveaux agents de frontière, et le bannissement triennal, mais renouvelable, de l’immigration légale mexicaine.


Les Minutemen inquiètent

Hayworth écrit noir sur blanc ce que vocifèrent les Minutemen, l’association des rondes volontaires de frontière, qui au début avait l’air pittoresque mais, maintenant, inquiète. Et Hayworth n’est pas seul : toute une publicité xénophobe et de « guerre aux immigrés » est en train de fleurir. Les Illegals, par exemple : The Imminent Threat Posed by Our Unsecured U.S.-Mexico Border (« Illégaux : la menace créée par notre frontière insecure avec la Mexique" ), Jon E. Dougherty soutient que les Usa sont en train d’être englobés par le Mexique qui planifie en secret une « reconquête » (au 19ème siècle, les Etats-Unis extorquèrent au Mexique le Texas, le Nouveau Mexique, la Californie méridionale et une partie de l’Arizona). Douhgherty en arrive même à nier que les Usa soient vraiment une « terre d’immigrés ». Mais d’où vient ce vent léghiste qui souffle sur les Etats-Unis ? S’il y avait un aspect appréciable dans ce pays par rapport à la méfiante et mesquine hostilité de l’Europe vis-à -vis des immigrés, c’était justement cette attitude fondamentale d’appréciation et d’hospitalité, malgré les inévitables poches de xénophobie et de préjugés : même la paranoïa sécuritaire de l’après 11 septembre 2001 n’est pas arrivée à ralentir le flux migratoire, au contraire même. Bien sûr, de mouvements anti-immigrés, l’histoire étasunienne en a connus beaucoup, des Know Nothing de 1850 au grand internement des immigrés allemands pendant la première guerre mondiale, jusqu’à la fermeture des frontières dans les années 20. Et la Californie a depuis des décennies des renvois anti-hispaniques, ne serait-ce qu’à cause du facteur démographique : depuis quelque temps déjà les blancs sont minoritaires à Los Angeles. Mais jamais, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, avant cette année, l’immigration n’avait été désignée comme problème à l’échelon national.


Un problème qui divise chacun des deux grands partis

Une partie des républicains, le président Georges Bush en tête, et tout l’état major démocratique, font pression pour légaliser les clandestins et un programme d’intégration : comme me dit l’essayiste Mike Davis, une bonne digue est celle qui régule un flux, pas celle qui le bloque. Au contraire, les peones républicains et démocrates font pression pour expulser les clandestins et fermer les frontières : ce sont eux qui, à la Chambre, ont fait approuver l’extension de 1.200 Kms du mur qui sépare déjà les Etats-Unis et le Mexique sur certaines parties de la frontière, comme entre San Diego et Tijuana (voir l’article du 18 octobre). Au printemps, cette régurgitation xénophobe avait provoqué les manifestations gigantesques d’immigrés, avec des millions de gens dans la rue. La mobilisation fut stimulée surtout par des disc-jockeys et des présentateurs des radios latinos qui firent prise, en particulier, sur les étudiants. Mais depuis, les patrons des chaînes radios ont rappelé à l’ordre les coaches un peu trop indépendants. Les établissements scolaires ont adopté des politiques punitives à l’encontre des étudiants qui osent manifester, et le mouvement a perdu de son impulsion.


Sursaut des vaincus ?

Et le terrain est ainsi resté aux mains de la rhétorique anti-immigrés qui semble avoir supplanté celle sur la « loi et l’ordre » contre les « criminels » : et ceci est un phénomène nouveau, car à la différence des immigrés européens qui, entre le 19ème et le 20ème siècle, en estafettes idéales, se passèrent peu à peu le témoin de la criminalité (ce furent d’abord les irlandais qui furent considérés comme « délinquants par tempérament et caractère », puis les juifs russes, puis, bien entendu, les italiens), les travailleurs mexicains avaient toujours été considérés comme inoffensifs, leur criminalité se limitant à certains gangs de jeunes. Avant le 11 septembre, la seule idée d’un « terrorisme mexicain » aurait semblé folle. Le commentateur et essayiste Marc Cooper (dont certains livres sont traduits en Italie par Feltrinelli) a écrit en mai un bel essai sur l’immigration (« Exodus ») pour Atlantic Monthly. Je le rencontre chez lui, dans une petite villa d’un quartier résidentiel de la San Fernando Valley, où il vit avec son épouse chilienne, et il m’explique là une thèse provocatrice : selon lui, cette vague anti-immigration est le dernier sursaut des vaincus : « C’est comme les blancs dans les années 60 qui tiraient sur les noirs dans le Mississipi. Ils avaient déjà perdu, les noirs étaient déjà en train de gagner la bataille pour les droits civiques et ces violences n’étaient que la manifestation de leur impuissance.

La même chose se passe aujourd’hui avec l’immigration : ce que nous avons sous les yeux ici est le second plus grand mouvement migratoire de l’histoire, après la migration des campagnes vers les villes, en cours en Chine. Dans tous les cas, c’est le plus grand exode trans-national de l’histoire humaine : en l’espace de trente ans, entre 40 et 50 millions de personnes auront changé de pays (aujourd’hui déjà aux Etats-Unis ceux qui sont nés à l’étranger sont plus de trente millions, et il y a 11,5 millions de clandestins, NDR). Face à un tel phénomène on ne peut rien faire, on doit l’accepter. Le refus n’est que rhétorique. C’est comme pour les homosexuels : la démographie dit qu’ils sont de plus en plus nombreux et donc que le parti républicain ne peut pas continuer avec sa politique anti-gay ; exactement comme il avait du accepter les noirs, et ne peut plus se permettre un discours raciste contre eux : je ne sais pas si tu as remarqué que les républicains ont contrôlés pendant six ans la Chambre des Députés, la Cour Suprême et la Présidence, c’est-à -dire tous les organes du pouvoir politique des Etats-Unis. Et pendant toute cette période, ils n’ont pas voté la moindre mesure contre les gays ou contre l’avortement, malgré la rhétorique lourdement anti-avortement et anti-homosexuelle de leur discours politique. C’est sûr qu’une telle marée humaine crée des déséquilibres, bouleverse les assises culturelles, change la géographie.

Des zones entières du Midwest et des Plaines centrales qui n’avaient jamais vu un latino doivent maintenant se confronter à leur présence. Les vagues migratoires précédentes étaient constituées de langues et cultures différentes qui n’avaient pas d’autres choix que celui d’apprendre l’anglais et s’intégrer. Ici, pour la première fois, une culture et une langue homogène sont partagées par la majorité de la vague migratoire. Le renvoi anti-immigré n’est que le refus de reconnaître l’irréversibilité des changements du pays. Et cependant ce n’est que de la rhétorique : tout le monde sait bien que le capitalisme américain ne peut pas vivre sans immigrés, et qu’à long terme il doit trouver un moyen pour les légaliser et les intégrer. Wal Mart ne peut pas continuer à l’infini à mettre sur son livre de paye des dizaines de milliers de clandestins (un des phénomènes les plus curieux aux Etats-Unis est que les clandestins payent les impôts, NDR). Tu verras qu’après les élections tout ce bellicisme anti-mexicain se dégonflera ». Peut-être, mais entre temps, à moins de trois semaines du vote, un beau peloton de candidats démocrates s’est dissocié de la position pro immigrés adoptée par leur propre parti, et s’est converti à la ligne dure, à la « politique de la fermeté » et de la « tolérance zéro » (bel euphémisme pour revendiquer le droit à l’intolérance !).


Une traite en or

Cependant, la démagogie politique commence comme une forme de pure rhétorique, mais finit ensuite par devenir factuelle, comme toutes les prévisions qui s’auto réalisent ; par exemple, si un quartier d’une ville étasunienne commence à être considéré comme n’étant « pas sûr », peu à peu il le devient vraiment parce que les piétons l’évitent, les rues se vident et elles deviennent alors vraiment dangereuses. Le résultat concret que cette rhétorique a déjà obtenu est de rendre l’entrée aux Etats-Unis beaucoup plus coûteuse. Les obstacles interposés, les murs, les détecteurs, les rondes, la surveillance aérienne augmentent de façon démesurée le prix de la traversée de la frontière qui devient ainsi une activité économique alléchante même pour les grands opérateurs, et non plus seulement pour les artisans de la contrebande humaine. Quand débiter de l’humain devient rentable autant qu’écouler de la cocaïne, les grands cartels de narcotrafiquants commencent à entrer dans le secteur. De même que la « guerre à la drogue » a créé les prédispositions d’une extraordinaire accumulation originelle de capital en Colombie, dans le Triangle d’or et autres zones exportatrices, ainsi la « guerre aux clandestins » est-elle en train de transformer la traite des humains en un des secteurs porteurs de l’économie globale comme cela se passait il y a quelques siècles.

Marco D’ Eramo


 Source : il manifesto www.ilmanifesto.it

 Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio



L’Amérique lacérée par les barbelés, par Alesandro Portelli.

Si, se puede, la révolte de Los Angeles, par Luca Celada.


Mexique : une aussi longue ingérence, par Comaguer.




 Dessin : "Aucun mur ne pourra arrêter la faim".
Allan McDonald www.allanmcdonald.com


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Viktor DEDAJ

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