Lors des récentes élections israéliennes, un nouveau parti laïque, Yesh Atid, est arrivé en deuxième place avec un programme qui remettait en cause le pouvoir des ultra-orthodoxes qui veulent imposer une version intégriste du judaïsme sur de larges secteurs du pays, comme obliger les femmes à s’asseoir au fond des bus et expulser les juifs laïques de certains quartiers.
Pendant ce temps, aux Etats-Unis, le gouverneur Républicain de la Louisiane, Bobby Jindal, candidat potentiel pour la présidentielle de 2016, s’est finalement rendu à l’évidence en déclarant que son Parti Républicain était « le Parti des Imbéciles ». Et le sénateur Marco Rubio de la Floride, un autre Républicain qui monte, a signé un plan bi-partisan de réforme de l’immigration qui offrirait aux étrangers en situation irrégulière une possibilité de se faire naturaliser, mesure que l’aile nativiste du Parti Républicain raillait comme « une amnistie ».
Ces différents événements semblent indiquer un retour du réel. Mais l’horreur qui nous guette fut rappelée lors d’une audition judiciaire à Hartford, Connecticut, lundi dernier, lorsque Niel Heslin, père d’un enfant massacré à Newtown le 14 décembre, fut harcelé par un partisan du port d’arme qui affirmait, à tort, que le Deuxième Amendement garantissait le droit de porter une arme d’assaut. (Même la Cour Suprême des Etats-Unis contrôlée par la droite ne le dit pas).
Les Républicains n’ont pas abandonné non plus leurs arguments racistes sur la nécessité d’arranger les élections en vue d’exclure du scrutin des afro-américains, des hispaniques et des américains d’origine asiatique et autres habitants des centres urbains et de favoriser le vote des blancs issus des milieux ruraux.
Rien n’indique non plus que les Républicains vont évoluer sur certains sujets importants de leur « stupide » programme politique, comme leur déni du phénomène de réchauffement climatique, leurs concessions aux extrémistes partisans du port d’armes et leur résistance à pratiquement tout ce que le Président Obama propose.
Il faut néanmoins voir des encouragements dans les petits signes qui indiquent que l’antirationalisme du Parti Républicain commence à se fissurer. La chaîne de télévision Fox News a remercié la commentatrice et ancien gouverneur de l’Alaska, Sarah Palin. La candidate du Parti Républicain au poste de vice-président de 2008 - connue pour son ignorance - a tellement dépassé les bornes que même une chaîne de propagande de droite comme Fox a estimé qu’il y avait des limites.
La disparition ultra-rapide du candidat girouette de 2012, Mitt Romney, est un autre signe que les Républicains veulent tourner la page et oublier le numéro de clown offert lors de la dernière campagne présidentielle. Un numéro qui culmina lors d’une convention nationale du Parti Républicain qui s’acharna à sortir de son contexte la fameuse phrase d’Obama sur « vous n’avez pas construit ça… ». Toute personne sérieuse savait qu’Obama faisait référence aux infrastructures nationales, aux routes, ponts etc, et non à la petite entreprise individuelle, mais Romney a fait semblant.
Le Parti Républicain avait atteint un point où il semblait satisfait d’alimenter sa « base » idiote avec des mensonges éhontés. Lorsque ce n’était pas Palin qui hurlait contre d’imaginaires « panels de la mort » [accusation selon laquelle le système de santé proposé par Obama conduisait à la création de « panels » d’experts qui décideraient de la vie et de la mort des assurés - NdT], c’était le milliardaire Donald Trump et le Shériff Joe Arpaio qui remettaient en cause les certificats de naissance hawaïennes de Barack Obama.
Prendre les Américains pour des simplets
Bien sûr, le divorce entre le Parti Républicain et la réalité ne date pas d’hier et remonte à l’apparition de l’ex-acteur Ronald Reagan qui a démontré qu’avoir un rapport très distendu avec la réalité peut se révéler très efficace sur le plan politique.
Cette dérive s’est accélérée sous la présidence de George W. Bush qui a donné le pouvoir à une clique d’intellectuels intelligents connue sous le nom de néoconservateurs. Les néocons ont traité les Américains comme des simplets, faciles à manipuler par des techniques de « gestion de la perception ».
Appuyés par Fox News et les médias commerciaux carriéristes, les néocons se sont sentis libres d’appuyer sur tous les boutons rouges qu’ils trouvaient, effrayant les Américains avec des histoires exagérées sur des menaces extérieures et mettant en doute le patriotisme de tous ceux qui pouvaient les gêner. Un des résultats fut l’invasion de l’Irak pour trouver des Armes de Destruction Massive qui n’existaient pas.
De même, les présidents américains - de Reagan jusqu’au deux Bush - ont nommé à la Cour Suprême des Etats-Unis des idéologues qui prétendaient être de « purs juristes » de la Constitution mais qui en réalité ont appliqué de minables critères pour aboutir à des conclusions conformes à leur idéologie.
(…)
Un des juges de de la Cour Suprême, Antonin Scalia, est régulièrement salué par la presse de Washington comme un universitaire brillant alors qu’il n’est en réalité qu’un petit soldat idéologique qui pond des conclusions décidées à l’avance en trouvant entre-temps un peu de jargon technique pour enrober son militantisme juridique.
C’est ce qu’il a fait pour le Quatrième Amendement et son principe de « tous égaux devant de la loi » pour empêcher un nouveau comptage des voix en Floride lors de l’élection présidentielle de 2000, accordant ainsi la victoire à George W. Bush. Lui et les autres juges républicains connaissaient la conclusion à laquelle ils voulaient arriver et se sont mis à chercher les justifications, aussi extravagantes fussent-elles.
Une des motivations des cinq juges (sur 9 en tout - NdT) pour faire de Bush le président - malgré la majorité de voix obtenue par Al Gore - était que Bush nommerait plus de Républicains de droite à la Cour suprême et renforcerait ainsi leur capacité de modifier la Constitution.
Ainsi, en 2008 et 2010, la majorité de droite a renversé une interprétation ancienne du Second Amendement qui reconnaissait aux citoyens le droit collectif de constituer des milices. Par une faible majorité de 5 contre 4, les juges républicains ont transformé un droit collectif en un droit individuel, même si des restrictions peuvent être imposées par des lois locales, étatiques et fédérales.
En 2010, cette Cour de droite - là aussi par une majorité de 5 contre 4 - autorisa les riches à financer sans limites les publicités à la télévision et autres propagandes, leur permettant ainsi de dominer le processus politique US. La motivation sous-jacente était que les milliardaires de droite pourraient acheter les élections pour les candidats républicains.
Le malheur de ce pays est que les pratiques du Parti Républicain de recourir à l’art du sophisme et à la manipulation pour contrôler le système médiatique et politique américain est profondément enraciné dans les appareils judiciaires, politiques et médiatiques. Des millions de citoyens - qui ont trop regardé Fox News et trop écouté Rush Limbaugh , Glenn Beck et leurs semblables - croient fermement en une réalité imaginaire et se fâchent lorsque leurs illusions sont remises en cause.
Bien-sûr, les Républicains et la Droite ne sont pas les seules coupables pour cette situation. Après tout, ils ne font qu’utiliser ce qui fonctionne sur le plan politique. Les Démocrates aussi ont leur part de responsabilité, ainsi que la Gauche et les médias professionnels, pour avoir largement déserté ce champ de bataille pour la réalité et pour avoir cédé devant des propagandistes bien financés et les militants de droite enragés.
Oui, il y a aussi eu des cas où les Démocrates et la Gauche ont choisi de combattre le feu par le feu, c’est-à -dire en inventant leurs propres théories du complot pour discréditer leurs adversaires. Mais c’est à droite que l’on constate le plus souvent de tels comportements.
Le retour de bâton contre tous ces fantaisistes de droite pourrait être le signe d’un important tournant dans le combat pour l’avenir du monde. Si les gens conscients se décident à planter leur bannière dans la terre ferme de la rationalité et de l’empirisme, ils pourraient créer un point de ralliement pour une nouvelle forme de politique, basée sur le pragmatisme, le réalisme et le respect mutuel.
Dans un tel cadre politique, on assisterait à de vigoureux débats sur les problèmes modernes - y compris sur les rôles respectifs de l’état et du secteur privé - mais ces échanges porteraient sur des faits et non sur des élucubrations. Cependant, pour construire un tel avenir, les rationalistes doivent se montrer aussi mordants et déterminés que les idéologues.
Robert Parry
http://consortiumnews.com/2013/01/29/reality-bites-back/
Traduction "la réalité commence à me manquer, pas vous ?" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement les fautes et coquilles habituelles.