par Jean Fabbri, Bertrand Monthubert et Jean-Baptiste Prévost
Article paru dans l’édition du Monde du 18.11.08.
Le gouvernement clame haut et fort que la recherche et l’enseignement supérieur constituent ses "premières priorités". Il impose, par une série de réformes, un véritable bouleversement de ces activités, au mépris de toutes les mises en garde des étudiants et des personnels qu’il accuse d’"immobilisme". Et il communique à l’envi sur les moyens qu’il allouerait à ces secteurs. Nous ne demanderions qu’à le croire. Mais nombreux sont les éléments qui dessinent un paysage bien plus sombre, notamment pour les universités.
Pour que ces dernières puissent accueillir correctement les étudiants, il faudrait accroître leurs moyens, aussi bien matériels qu’humains. Trop de locaux universitaires sont encore dans un état lamentable. Et si de nombreux étudiants tentent de contourner l’université, en s’inscrivant dans d’autres filières, c’est notamment pour bénéficier d’un meilleur encadrement et de meilleures conditions d’études.
Les dépenses par étudiant le prouvent : moins de 8 000 euros par an à l’université, contre 14 000 en classes préparatoires. Cela a inéluctablement des conséquences sur la réussite des étudiants. Le budget 2009 nous permettra-t-il de progresser ? Il n’en est rien. En effet, nous avons appris cet été que 900 postes vont être supprimés dans l’enseignement supérieur et la recherche.
Les besoins humains seraient partiellement satisfaits à coups d’emplois de courte durée, sans avenir. Comment, face à une telle précarisation et avec de telles annonces, s’étonner que les jeunes se détournent des métiers de la recherche et de l’enseignement, que les masters recherche se vident peu à peu, que bien des laboratoires, y compris les plus prestigieux, rencontrent des difficultés pour attirer des doctorants ? Le gouvernement organise de fait la "fuite des cerveaux" qui a pourtant été l’un de ses arguments pour imposer, au nom du "déclin" de la recherche française, ses réformes.
Le gouvernement entend réduire l’échec que connaissent beaucoup de jeunes à l’université. Nous partageons cette ambition. Mais pour lutter contre l’échec, il faut améliorer l’encadrement des étudiants et remplacer, notamment en première année, les cours en amphis de plusieurs centaines d’étudiants par des enseignements en petits groupes. Ce type d’évolution pédagogique a déjà été mis en place avec succès dans certaines universités ou filières. Pour les généraliser, il faut des moyens humains et matériels.
Qui, à part la ministre, peut croire que les recours aux heures supplémentaires, déjà surutilisées et qui diminuent le temps consacré aux activités de recherche, ou à des tuteurs sans qualifications permettront d’augmenter le nombre d’heures de cours ou de dédoubler les amphis ? Le tutorat peut être nécessaire pour soutenir certains étudiants, mais il ne s’agit pas de cours en tant que tel. Le gouvernement doit donc se rendre à l’évidence et abandonner ses postulats idéologiques sur le prétendu excès de fonctionnaires : nos universités ne pourront relever le défi de la démocratisation sans création de postes.
Ce dont nous avons besoin en matière d’encadrement a été chiffré depuis longtemps et représente moins de 10 % des sommes dites supplémentaires annoncées au budget 2009. Ce sont, d’abord, 1 000 créations d’emplois d’enseignants-chercheurs pour améliorer l’encadrement en premier cycle universitaire. Mais il faut aussi donner le temps aux enseignants-chercheurs de développer leur activité de recherche en réduisant leur service d’enseignement pour se rapprocher des standards internationaux. Enfin, les établissements ont besoin d’emplois techniques et administratifs qui contribuent, notamment, à un meilleur accueil des étudiants dans des universités parfois trop "anonymes".
Qu’en est-il par ailleurs de la "priorité" budgétaire accordée à l’enseignement supérieur et incarnée par ce fameux 1,8 milliard d’euros supplémentaires mis en avant ? Nous sommes ici face à un pur effet d’annonce : la croissance des crédits budgétaires se réduit en fait à 740 millions, ce qui, avec une inflation de 3 % en 2009, correspond à une croissance réelle nulle dans une enveloppe globale de 24 milliards !
Nous sommes bien loin des discours optimistes de Mme Pécresse. Elle assure avoir amélioré les conditions de vie des étudiants alors que 9 étudiants sur 10 subissent une baisse de pouvoir d’achat du fait de décisions qui lui sont imputables (hausse des droits d’inscription, réforme des bourses). La seule réponse annoncée en cette rentrée est la possibilité pour les étudiants de s’endetter. La crise bancaire actuelle démontre, s’il en était besoin, l’inadaptation d’un tel dispositif.
Concernant la recherche, nous avons besoin de redonner de l’oxygène aux laboratoires, de permettre aux chercheurs de faire de la recherche plutôt que de passer du temps à chercher de l’argent. Les budgets de base des laboratoires vont à nouveau baisser cette année. L’augmentation du budget de la recherche est essentiellement préemptée par le crédit d’impôt recherche (CIR), dont le montant explose, mais qui n’est plus sous contrôle ni du gouvernement ni des universités. Depuis 2002, ces aides de l’Etat aux entreprises se sont accrues de 1,6 milliard d’euros, sans effet d’entraînement réel sur les dépenses de recherche privées : l’efficacité du CIR reste à démontrer.
Nicolas Sarkozy aime à parler de rupture. Assurément, la suppression de 1 000 emplois, pour la première fois depuis quinze ans, dans un secteur prétendument prioritaire en est une ! Il y en a d’autres : la marginalisation de 71 % des universités, écartées du plan campus et qui risquent d’être de plus en plus coupées de la recherche, alors que nous avons proposé une mise en synergie des universités au niveau territorial pour tirer le système vers le haut.
Dans un contexte économique fragilisé par la crise financière, où le gouvernement démontre qu’il peut en une nuit débloquer plusieurs milliards d’euros pour sauver un système bancaire en faillite, il refuse de donner aux étudiants et aux personnels les moyens de leurs ambitions. Alors même que les dépenses d’avenir sont dans l’éducation, l’université et la recherche.
L’avenir de la France est-il servi par ces mesures ? Assurément pas. Pourtant, la communauté universitaire aspire à des transformations, fondées sur le dialogue avec ceux qui font la recherche et l’enseignement supérieur, ceux qui en connaissent la complexité et, chaque jour, en défendent les valeurs. Ce ne sont pas que des mots : au printemps 2007, avec d’autres organisations, nous avons formulé des propositions dans le prolongement des états généraux de la recherche de 2004. Le gouvernement les a contournées, a imposé des réformes qui aggravent les difficultés.
Il est urgent et indispensable de donner une tout autre ambition à l’enseignement supérieur et à la recherche, pour passer à une nouvelle étape de la démocratisation. Comment atteindre autrement l’objectif européen de 50 % d’une classe d’âge diplômée de licence ? Au-delà de la nécessaire augmentation des moyens, il est grand temps d’engager les transformations profondes dont notre système d’enseignement supérieur et de recherche a besoin. Cela suppose de rapprocher universités et grandes écoles (où les inégalités sociales jouent à plein) ; d’ouvrir un débat national et transparent sur la carte universitaire et la carte des formations, tant les regroupements actuels d’universités sont anarchiques et autoritaires ; de revaloriser la recherche publique et ses métiers en garantissant son indépendance ; d’engager une réforme profonde du système d’aide sociale aux étudiants pour lutter contre la dégradation de leurs conditions de vie ; de lancer un véritable plan Marshall en faveur des premiers cycles universitaires. Toute autre politique préparerait une explosion des inégalités.
Jean Fabbri est secrétaire général du SNESUP-FSU ;
Bertrand Monthubert est président de Sauvons la recherche ;
Jean-Baptiste Prévost est président de l’UNEF.