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Une journée au 35 bis

Au 35 bis, chambre du Palais de justice où défilent les étrangers que la France juge indésirables, il arrive que l’on fasse signer à des personnes qui n’ont pas commis de délit des procès-verbaux pas vraiment fidèles à leurs déclarations, il arrive que les avocats ne plaident pas, et souvent l’on s’apprête à renvoyer des Serbes au Kosovo, des Kurdes en Irak ou des Tunisiens au Maroc...

"Ici il ne se passe rien de drôle, rien de croustillant. Vous feriez mieux d’aller voir ailleurs", signale d’entrée une avocate. Au Palais de justice de Paris, la chambre du juge délégué, dite le 35 bis, se trouve au troisième étage dans un couloir étroit et vétuste, et n’a rien de commun avec les prestigieuses salles d’audience du rez-de-chaussée. Au 35 bis, en référence à cet article de l’ordonnance du 2 novembre 1945 sur le placement en rétention des étrangers, on ne juge personne, on ne juge pas non plus de délit… on y étudie des requêtes émanant de la préfecture.

Les décisions sont prises rapidement et en petit comité : un juge, une greffière, une envoyée de la préfecture et un étranger à expulser, accompagné parfois d’un interprète, d’un avocat.

"Monsieur le juge, il y a un vol pour Pristina dans quelques jours", insiste la représentante du préfet. "Je suis prêt à repartir dans mon pays, mais pas dans un avion qui atterrit au Kosovo. Je suis Serbe, envoyez-moi plutôt à Belgrade s’il vous plaît". Ce jeune homme est en France depuis trois ans. La police yougoslave lui aurait pris son passeport, comme à nombre de candidats à l’exil, pour qu’il ne parte pas. Lui, en plus, c’est parce qu’il n’a pas fait son service militaire, pense-t-il.
Ayant compris une question du juge avant qu’elle ne lui soit traduite, il commence à adresser à l’interprète une réponse en serbo-croate. "Oh, mais monsieur parle très bien le français", le coupe l’émissaire de l’administration, qui tranche aussitôt : "de toute façon, le Kosovo fait partie de la RFY". Le maintien en rétention est prononcé.

Les étrangers qui passent aujourd’hui devant le juge sont amenés du centre de rétention de Vincennes, en groupe, par la police, et y sont reconduits après l’audience. Jamais un motif d’arrestation ne sera donné, tout au plus des circonstances : la plupart ont été placés en garde-à -vue pour défaut de papiers, suite à un contrôle d’identité.

"Depuis quatre jours que je suis en France, je n’y ai vu que des menottes et des barreaux. Comment voulez-vous que je demande l’asile politique ici ? On croit que j’ai fait quelque chose de très grave." Le juge préfère dicter à la greffière : "Je n’ai nullement l’intention de demander l’asile politique en France." L’homme s’exprime en irakien. Il est jeune aussi. Il tentait d’atteindre l’Angleterre pour y demander l’asile. Il est kurde. "Je sais ce qu’ils attendent, les kurdes, les sikhs..., commente alors la représentante de la préfecture, ils s’imaginent que là -bas il y a des structures d’accueil et des aides pour les demandeurs d’asile, ce qui est vrai, d’ailleurs. On n’en fait pas tant en France, c’est moins confortable".
Le juge lui fait traduire à nouveau qu’il n’ira pas en Angleterre. Outre l’Irak, l’administration a déjà pris les contacts avec les consulats du Maroc, d’Algérie et de Tunisie, on ne sait jamais, mais "si les Irakiens le reconnaissent des leurs, il partira". Le juge prononce le maintien en rétention quand l’avocate commise d’office se signale : elle n’a pas encore plaidé. Alors qu’elle y est invitée, elle annonce qu’elle ne voit pas comment aider cet étranger qui, après tout, ne veut pas de l’asile politique en France, en plus, elle ne connait pas le dossier, il lui semble vide. Elle décide donc de ne pas plaider. Personne n’a l’air étonné. La voix de la préfecture se fait entendre : "il faut faire de la pédagogie, leur faire comprendre qu’on ne voyage pas comme ça dans les pays d’Europe."

Larbi est tunisien, en France depuis plus de dix ans. Ses deux demandes de régularisation ont été rejetées. Il fait de petits travaux payés au noir et vit surtout grâce à son frère. Celui-ci a pu choisir un avocat, et a apporté des pièces susceptibles de l’aider : sa propre carte de séjour, une quittance de loyer, une promesse d’embauche. L’avocat plaide que son identité ne fait aucun doute, qu’il n’a jamais posé de problème à l’ordre public et qu’il s’engage à présenter son passeport : les "garanties de représentation" devraient être suffisantes pour obtenir une assignation à résidence.
Mais les trois consulats du Maghreb ont déjà été contactés. Le juge interrompt : "je ne vais pas faire durer le suspense" et prononce le maintien en rétention. La greffière prend note, sous sa dictée. Il lui souffle encore : "A Maghreb, il y a un ’h’."

Anne-Gaëlle

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