Tous les regards sont braqués sur le nombre terrible de tués et de blessés et sur l’étendue des destructions - ainsi que sur la situation humanitaire désespérée de la population qui subit le siège de Gaza.
On accorde moins d’attention aux dommages à long terme causés par l’actuelle répression israélienne qui sévit partout dans les Territoires Palestiniens occupés (TPO) et qui a des conséquences négatives d’une grande portée pour le développement de la société palestinienne dans son ensemble.
Les attaques israéliennes contre les universités palestiniennes et contre d’autres institutions d’enseignement en sont un exemple. Elles ont énormément augmenté depuis le début de la répression militaire en juin dernier. La couverture déjà médiocre et partiale que livrent les médias occidentaux sur cette répression fait que ces attaques, qui ont également visé des étudiants et des facultés, ont largement été passées sous silence, sans beaucoup d’efforts pour imputer à Israël la responsabilité qui est la sienne dans les violations du droit des Palestiniens à l’éducation.
Le Ministère palestinien de l’Education a condamné les bombardements israéliens répétés d’institutions d’enseignement après que 10 écoles eurent été endommagées par des raids aériens sur Gaza en juin dernier. Quelques semaines plus tard, les Nations Unies annonçaient que 90 écoles étaient endommagées par les bombardements et nécessitaient des réparations. Un collège technique a aussi été l’une des nombreuses cibles civiles des militaires israéliens à Gaza, malgré les appels internationaux au cessez-le-feu. Fin juillet, plus de 95 écoles de Gaza servaient d’abris à quelque 190.000 personnes sur les 215.000 déplacés qui avaient dû fuir leur maison. L’ONU rapportait également qu’au moins 194.000 enfants avaient besoin d’un soutien psychosocial spécialisé direct, parce que leurs familles avaient vécu la mort, les blessures ou la perte de leur logement au cours des quatre semaines écoulées. Le traumatisme infligé par l’offensive israélienne sur un si grand nombre de jeunes vies se poursuivra longtemps après tout cessez-le-feu et il aura probablement un un impact critique sur leur éducation.
Si certains peuvent arguer que les répercussions plus larges des actes d’Israël ne sont pas intentionnelles, l’enseignement n’est absolument pas un dommage accidentel des pratiques et des politiques israéliennes.
En une même semaine, l’armée israélienne a effectué des raids sur les campus de cinq institutions d’enseignement supérieur, y compris l’Université Birzeit près de Ramallah, l’Université arabe-américaine (AAUJ) à Jénine, l’Université al-Qods à Jérusalem-Est et l’Université Polytechnique de Palestine à Hébron.
L’armée israélienne a également fait une descente sur l’Université Ahliya Palestine et l’a utilisée comme espace de détention pour les personnes arrêtées au cours d’un raid séparé dans le Camp de réfugiés Dheisha près de Bethléem. Pendant ces raids, des soldats israéliens lourdement armés ont attaqué et arrêté des étudiants, enfermé des gardes universitaires, détruit des propriétés et des équipements de l’université et confisqué du matériel des organisations estudiantines.
Ces attaques et ces abus de pouvoir scandaleux sont la dernière manifestation de ce qu’est la politique israélienne de ciblage et de répression de l’enseignement palestinien sous l’occupation du pays. Depuis des décennies, les restrictions israéliennes de la liberté de mouvement entravent la capacité des étudiants à rejoindre leurs écoles et leurs universités de même que les bouclages répétés d’établissements d’enseignement.
En même temps, les autorités israéliennes refusent le droit d’entrer à des professeurs invités désireux d’enseigner dans les TPO. Enseignants, étudiants et autre personnel de Cisjordanie dénoncent régulièrement le harcèlement, l’intimidation et la violences perpétrés par les colons et les soldats israéliens.
Par ses liens incontestables avec les militaires israéliens, et par son silence, voire sa collusion proactive avec des universitaires israéliens, l’enseignement israélien lui-même a été rien moins qu’un partenaire consentant de cet assaut prolongé. En voici un exemple : l’Université de Tel Aviv, qui est construite sur le village palestiniens ethniquement nettoyé de Cheikh Muwannis, est lourdement impliquée dans l’avancement de la technologie et de la stratégie militaires israéliennes ainsi que dans des projets qui permettent de continuer l’expropriation et le déplacement de Palestiniens.
Attaquer les universités est souvent justifié en les décrivant comme des pépinières de l’hostilité contre Israël et comme des espaces créateurs d’une culture de la haine. Cette croyance sur laquelle s’appuie la politique israélienne n’est pas seulement discriminatoire ; elle est inexacte et aberrante. Dès leur fondation, les universités ont été des espaces pour l’expression, l’organisation et le débat politiques, exactement ce dont a besoin un futur Etat palestinien pour favoriser le développement de ses dirigeants dans différentes sphères.
Les conséquences de la criminalisation de l’éducation
Le concept israélien d’universités comme foyers de résistance est la logique qui sous-tend la fermeture de toutes les institutions palestiniennes d’éducation du niveau supérieur pendant près de 5 années au cours de la Première Intifada, entre 1988 et 1992. Pendant cette époque, étudiants et enseignants n’ont pas été autorisés à suivre/donner des cours, à se servir des bibliothèques ni à travailler en labo. Des enseignants palestiniens ont refusé de subir cette criminalisation de l’éducation et ont continué de donner cours « clandestins » dans des maisons, des bureaux, des centres communautaires, des mosquées et des églises. A la suite de cela, beaucoup d’entre eux ont été arrêtés au simple motif de leur quête d’éducation.
Les arrestations pour avoir cherché à recevoir un enseignement ont continué jusqu’aujourd’hui. Des centaines d’étudiants universitaires ont subi des arrestations et des emprisonnements arbitraires ces dernières années, et des universitaires palestiniens eux aussi ont continué d’être emprisonnés sans justification, ainsi que le détaille en 2014 un rapport de la Global Coalition to Protect Education from Attack (GCPEA). Le rapport révélait le cas d’un étudiant universitaire de 20 ans à Tulkarem, détenu au motif que son projet de recherche de troisième cycle, la construction d’un avion sans pilote, posait une menace à la sécurité nationale d’Israël. Il semble qu’innovation et intelligence ne puissent être encouragées si elles sont le fait de Palestiniens.
Dans le sillage de l’opération Plomb Durci de 2009 à Gaza, le rapport GCPEA notait aussi que les militaires israéliens et leurs bombardements ont endommagé 280 écoles sur 641 et en ont détruit 18 autres. Dans cette même opération, 14 institutions d’enseignement supérieur avaient été endommagées, dont six ciblées directement.
Les droit palestinien à l’enseignement est aussi systématiquement restreint pour les Palestiniens en prison. On estime que 8.000 écoliers palestiniens ont été emprisonnés depuis 2000. Non seulement ils n’ont qu’un accès des plus restreints à l’éducation en prison, mais ils sont également traumatisés par les abus qu’ils ont à subir au cours de leur détention. En outre, quand leur accès à l’enseignement n’est pas refusé pour des « considérations sécuritaires », on impose aux enfants palestiniens quels cours ils peuvent suivre – maths, arabe, histoire mondiale – et lesquels il ne peuvent pas prendre, comme économie, actualités et sciences.
Les effets à long terme de ces violations cumulées sont multiples. La réussite éducative au niveau scolaire a dégringolé ces dernières années en raison de l’insécurité permanente et des épreuves subies du fait de l’occupation et des attaques militaires d’Israël.
L’isolement croissant des universités palestiniennes dû aux restrictions de la mobilité, a également un impact négatif sur le développement de l’enseignement supérieur en Palestine dans son ensemble. Ce qui entraîne à son tour une « fuite des cerveaux », en particulier au niveau du troisième cycle, puisque les étudiants qui en ont les moyens financiers choisissent d’aller étudier à l’étranger.
Réaffirmer le droit à l’éducation
Bien qu’on la trouve rarement en tête de liste quand des populations sont terrorisées, la protection de l’enseignement palestinien pendant ces périodes en particulier ne devrait pas être oubliée. Il est essentiel que la violence dirigée contre eux et ceux qu’ils servent soit mise lumière en tant qu’attaque explicite contre la liberté intellectuelle tout autant que contre le développement de la capacité des Palestiniens à l’autodétermination. Ce genre d’attaques cherche à punir toute la jeunesse qui va hériter de la lutte pour la survie des institutions, de la société et de la culture palestiniennes.
La Campagne pour le Droit à l’Education est un partenaire prêt à agir pour faire respecter ce droit humain fondamental, tout comme la Campagne Palestinienne pour le Boycott Culturel et Académique d’Israël. Toutes deux se sont positionnées pour servir de soutien à l’enseignement, aux étudiants et aux éducateurs en élevant le niveau de conscience, en facilitant des partenariats et en aidant à faire pression sur Israël pour qu’il se conforme à ses obligations de cesser ses attaques d’infrastructures civiles à permettre un accès sans entraves aux institutions d’enseignement pour tous les Palestiniens.
La résilience des universités dans de telles conditions d’existence témoigne de l’importance de l’enseignement en tant que chemin d’espoir portant les futures aspirations du peuple palestinien. Il ne faut pas permettre que les attaques contre l’éducation palestinienne se poursuivent en toute impunité, et lzaccès aux espaces de libre pensée et d’enseignement doit être garanti. Si la fin de l’occupation doit un jour se réaliser, les institutions d’enseignement doivent être traitées comme les sanctuaires de la pensée et de l’étude qu’ils sont en réalité.
Aimee Shalan, Samer Abdelnour
Aimee Shalan dirige l’association britannique de Amis de l’Université Birzeit (FOBZU) - après avoir été Directrice d’une association d’aide médicale aux Palestiniens (MAP) - et le Conseil d’Entente arabo-britannique (CAABU).
Elle est également enseignante et a publié de nombreuses analyses.
Samer Abdelnour est assistant à la Rotterdam School of Management et chercheur en sociologie politique. Il a travaillé sur le conflit au Darfour et termine actuellement un doctorat à la London School of Economics.
http://al-shabaka.org/another-casualty-israel%E2%80%99s-wars-palestinians%E2%80%99-right?page=show
Traduction : Info-Palestine.eu - AMM