Cette sanglante inauguration appelée cyniquement « opération de retour à la vie » se solda par la mort de 28 détenus. On dénombre par ailleurs près de mille blessés par tortures, brûlures et inhalation de gaz toxiques.
Officiellement, les autorités turques avaient invoqué la vétusté des prisons-dortoirs (type E) pour justifier leur remplacement par des complexes pénitentiaires flambant neufs et exclusivement réservés aux militants politiques (type F).
Aguerris par les multiples stratégies coercitives de leurs geôliers, les prisonniers révolutionnaires savaient que l’objectif des autorités turques n’était pas d’ordre « hygiénique » mais politique, un régime d’isolement étant le moyen le plus efficace pour briser les liens organisationnels, sociaux, affectifs et par conséquent, l’intégrité physique et psychique des prisonniers.
Ce confinement cellulaire les rendait particulièrement vulnérables en comparaison avec les grandes chambrées qui, malgré la promiscuité, leur offrait un meilleur cadre de vie, d’expression et surtout une possibilité de résistance collective en cas d’assaut militaire.
Le 20 octobre 2000 soit deux mois avant l’opération sanglante, des centaines de prisonniers marxistes issus majoritairement du DHKP-C (Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple) sont entrés en « jeûne de la mort » pour protester contre l’ouverture des prisons de type F.
Lorsque le 19 décembre à 3h du matin, les forces de sécurité turques munies de panzers, d’hélicoptères Sikorsky, de pelleteuses, d’explosifs, de gaz lacrymogènes, de matraques, de lance-flammes et de fusils mitrailleurs lancèrent l’assaut, les militants leur opposèrent une résistance farouche à mains nues et la faim au ventre.
La dernière prison ne tomba qu’au troisième jour de l’assaut. Finalement, les détenus révolutionnaires furent déportés. Mais dans un ultime acte de défiance, ils poursuivirent leur jeûne jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Leur grève de la faim au finish ne prit fin qu’à la date du 22 janvier 2007 après que le ministère de la justice eut adopté une circulaire (45/1) allégeant leur régime d’isolement.
Entre-temps pas moins de 117 militants (détenus et sympathisants hors les murs) perdirent la vie. Plus de 600 ex-grévistes de la faim suppliciés par l’alimentation forcée souffrent encore aujourd’hui d’amnésie et d’ataxie.
Sensibilisés par la résistance héroïque de ces prisonniers, 9 grands noms du cinéma turc viennent de signer une oeuvre collective émouvante intitulée "F Tipi Film" (film de type F).
Il s’agit d’Ezel Akay, Sirri Süreyya à–nder, Baris Pirhasan, Aydin Bulut, Hüseyin Karabey, Reis Celik, Vedat à–zdemir, Mehmet Ilker Altinay et du groupe audiovisuel militant FOSEM (travailleurs de la photo et du cinéma).
Ces réalisateurs ont été assistés par des vedettes du petit et du grand écran turc comme Serkan Keskin, Tansu Biçer, Gizem Soysaldi, Bület Emrah Parlak, Erkan Can, Firat Tanis et Civan Canova.
Chacun des 9 réalisateurs a interprété en 10 minutes sa manière de voir l’univers "claustrationnaire" qui règne dans les prisons de type F sur base de témoignages de détenus, de leurs familles et de leurs camarades.
Les 9 récits s’inspirent tous de faits réels.
La musique du film est un florilège des plus célèbres morceaux de Grup Yorum, un collectif musical révolutionnaire prolixe malgré la répression et la censure qu’il subit depuis sa création en 1985.
Le sous-titrage français a été réalisé par mes soins.
Ce film hors du commun tombe à un moment où la Turquie, membre de l’OTAN et partenaire indéfectible de l’UE, est devenue, en catimini, la plus grande prison du monde pour journalistes et militants politiques.
La bande-annonce (non traduite) commence par une devise fétiche des révolutionnaires turcs attribuée à Hannibal Barca, le héros carthaginois qui défia Rome, lors de sa traversée des Alpes : « Nous trouverons un nouveau chemin ou nous en créerons un ».
Rares sont les oeuvres cinématographiques qui décrivent la pugnacité et l’état amoureux caractéristique du militant révolutionnaire avec autant de précision.
« F tipi Film » mérite à cet égard une mobilisation militante de la part de tous celles et ceux qui aspirent à un monde plus humain.
Bahar Kimyongür
Pour visionner la bande annonce :
Sortie en salle :
– à Bruxelles le 3 janvier 2013 (Kinepolis)
– à Paris le 27 décembre 2012 (cinéma Le Brady et L’archipel)
– à Mulhouse le 31 décembre 2012 (cinéma Bel air)