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Un faucon du régime d’Erdogan à mes trousses

De 2005 à 2009, le régime d’Erdogan avait pour ambassadeur en Belgique un diplomate dénommé Fuat Tanlay. Sa mission a coïncidé avec le procès pour terrorisme et la procédure d’extradition dont j’ai respectivement fait l’objet en Belgique et aux Pays-Bas. En 2009, Fuat Tanlay est devenu conseiller en chef du premier ministre Erdogan en matière d’affaires étrangères. Aujourd’hui, son nom réapparaît dans mon dossier d’extradition espagnol. Pur hasard ?

Devant le peu d’empressement de la justice espagnole à m’extrader vers la Turquie pour une manifestation pacifique, le régime d’Erdogan multiplie les provocations à mon encontre au risque de se couvrir de ridicule.

En effet, les autorités judiciaires turques veulent à présent ma tête pour une lettre que j’ai écrite en mai 2007 à l’ambassadeur turc en Belgique de l’époque, M. Fuat Tanlay.

A la lecture de ce texte dans lequel j’explique (avec une pointe de candeur) être plus patriote que l’ambassadeur de Turquie, les défenseurs de la liberté d’expression seront ravis d’apprendre que pour le clan Erdogan, la publication d’une opinion relève du terrorisme et mériterait donc un châtiment corporel sévère.

Ils ne seront sans doute pas surpris d’apprendre que le "diplomate" Fuat Tanlay à qui s’adresse la lettre, a déclaré en 2009 dans un journal turc : "Inchallah la Belgique sera frappée par le terrorisme".

M. Tanlay justifiait cette incartade par son exaspération devant la prétendue apathie avec laquelle la justice belge traitait mon affaire.

C’est que le "diplomate" turc ne supportait pas de me voir libre.

Suite à une action citoyenne organisée le 2 octobre 2009 lors de la venue d’Ahmet Davutoglu à Bruxelles, action durant laquelle j’ai pu avoir un dialogue direct avec le ministre turc, l’ambassadeur turc avait même déclaré au quotidien Milliyet que j’aurais pu "débarquer dans la salle de conférence avec une arme".

Véritable faucon du régime, Fuat Tanlay a été nommé conseiller aux affaires étrangères du premier ministre Erdogan après sa mission en Belgique.

Il est à ce titre complice du soutien sans faille apporté par le régime d’Erdogan au terrorisme international qui frappe aujourd’hui la Syrie.

L’apparition dans le dossier espagnol d’extradition de cette lettre adressée à M. Tanlay confirme d’une part que le clan Erdogan est capable de toutes les manipulations pour embastiller ses adversaires et apporte d’autre part un éclairage nouveau sur la nature belliqueuse du régime d’Ankara en matière de politique étrangère.

Ci-dessous, la lettre versée au dossier d’extradition qui justifierait ma condamnation à 15 ans de prison en Turquie.

Lettre ouverte à Monsieur Fuat Tanlay, Ambassadeur de la République de Turquie en Belgique

Bruxelles, le 8 mai 2007

Monsieur,

J’ai pris connaissance de votre vive réaction à l’égard de mes opinions mais également à l’encontre de la rédaction du quotidien flamand « De Standaard » pour m’avoir ouvert ses colonnes.

Après lecture, je constate, à mon grand regret, que votre diatribe n’a fait que confirmer l’idée que je me faisais de vous, celle d’un commerçant qui, depuis sa boutique de la rue Montoyer, tente de vendre une image édulcorée d’une Turquie que vous et moi connaissons fort bien.

À commencer par votre plaidoyer sur la non-violence que je trouve intellectuellement malhonnête.

En effet, Monsieur Tanlay, vous savez comme moi que la violence des opprimés peut jouer un rôle positif et progressiste dans l’histoire. Il suffit de puiser dans notre propre passé pour s’en rendre compte.

Par exemple, si Mustafa Kemal Atatürk a fondé la République, c’est grâce à la Guerre de Libération et malgré mes innombrables désaccords concernant son idéologie, son traitement des minorités et son mode de gouvernance, si je respecte l’une de ses réalisations, c’est bien celle d’avoir donné une raclée aux forces coloniales et d’avoir rendu sa dignité à l’Anatolie.

A vrai dire, avant d’entrer dans le vif du sujet, je souhaiterais, le temps d’un dialogue, que vous quittiez votre boutique et votre costume et que nous nous retrouvions dans un no man’s land virtuel de la même manière que je m’engage à retirer ce béret DHKP-C que certains magistrats belges se sont évertués à me visser sur la tête.

Je vous signale au passage qu’en me traitant de terroriste, vous avez été un peu vite en besogne puisque ma condamnation pour terrorisme vient d’être cassée.

En tout cas, si dans notre infinie différence antagonique, je daigne vous parler, c’est que je nous trouve un dénominateur commun : celui de vouloir servir son pays en le représentant à l’étranger et le faire connaître pour le faire aimer.

Peut-être que si je n’avais pas plongé dans notre histoire contemporaine, ni dans la dure réalité de nos peuples, ni vécu les chocs émotionnels suscités par les pratiques inqualifiables des autorités de notre pays, ni mené mon examen de conscience, ni fait l’effort de repenser une société nouvelle en rupture avec le régime actuel, j’aurais pu être l’un de vos collègues. L’addition de tous ces écarts sur le cours d’une vie peut donner des résultats, des carrières certes, diamétralement opposées. Pourtant, au départ, rien ne laissait présager que j’allais dévier au point de devenir ce que vous qualifiez de « terroriste ».

Durant les années ’80, comme l’extrême majorité des adolescents turcs de l’immigration, j’ai moi aussi souffert de ma double identité (voire triple puisque mes parents proviennent de la province arabophone de Hatay), de la xénophobie et aussi ridicule que cela puisse paraître, de la frustration suscitée par nos défaites cuisantes lors de compétitions internationales comme à l’Eurovision de la chanson ou lors des matchs de notre équipe nationale de football. Nos sempiternelles défaites alimentaient en moi une profonde envie de revanche contre cette Europe invincible.

Je revois les 8 buts à zéro encaissés en 1988 par nos rouge et blanc trapus et rasés comme des soldats face aux indéboulonnables et inépuisables Britanniques.

L’époque des jeunes éphèbes musclés peuplant les grands clubs stambouliotes aux coiffures extravagantes et aux succès internationaux était encore bien loin.

Nos voitures, des petites « Fiat » rebaptisées par les usines Tofas en « Murat » étaient moches, nos films d’action « Yesilçam » (notre Hollywood national) étaient archi-nuls, leurs effets spéciaux lamentables.

J’étais jaloux de cet Occident opulent et arrogant, surtout lors de mes voyages en Turquie où je me retrouvais confronté à l’indigence insoutenable de notre peuple.

Mon ignorance aidant, j’en arrivais même à mépriser les pauvres, à être écœuré par les quartiers grouillants et malodorants rythmés par les hurlements des klaxons et des vendeurs ambulants et ce alors que moi-même suis issu du petit peuple avec un père ouvrier et une mère d’origine paysanne. Fort heureusement, en m’intéressant aux problèmes sociétaux de la Turquie et aux sources de la pauvreté de notre peuple, je vins à bout de mon autophobie puérile.

Finalement, ce sont ces mêmes laissés-pour-compte qui allaient devenir ma source de fierté, le ferment de mon patriotisme et ce, tandis que la plupart des Turcs de mon âge canalisaient leur frustration de loosers déracinés dans un nationalisme agressif, arrogant, vindicatif et réactionnaire aux cris de « En Büyük Türkiye », « La Turquie est la plus grande ».

Au fur et à mesure que je découvrais la réalité duale de la Turquie, je m’identifiais à la Turquie de mes origines, à la « Turquie d’en bas ».

Ainsi, j’ai appris à aimer en Turquie tout ce que le pouvoir tentait à tout prix de dissimuler, de faire taire ou d’éradiquer.

J’ai aimé sa diversité à une époque où le pouvoir imposait l’uniformité.

J’ai aimé sa fraternité alors que le pouvoir surfait sur l’adage stupide proclamant que « le Turc n’a d’autre ami que le Turc ».

J’ai aimé son humilité alors que le pouvoir vantait sa puissance de feu et énumérait ses ennemis : les ennemis extérieurs étant TOUS les pays limitrophes et les ennemis intérieurs, les Kurdes, les communistes, les Arméniens, les Alevis, etc.

Je me suis intéressé aux romans, aux poèmes, aux chansons et aux films interdits, d’abord simplement par curiosité et par la suite, en raison de la beauté de leurs messages.

Et plus j’en apprenais sur notre histoire et surtout sur le traitement infligé aux patriotes, aux révolutionnaires, aux démocrates, plus j’en déduisais que servir le régime actuel revenait à trahir la Turquie.

C’est en définitive dans les vers de notre illustre poète Nazim Hikmet que j’ai découvert la patrie, dans ceux où il dit :

« Si la patrie ce sont vos ranchs,
Si c’est tout ce qu’il y a dans vos caisses et sur vos carnets de chèques, la patrie
Si la patrie, c’est crever de faim le long des chaussées,
Si la patrie, c’est trembler de froid dehors comme un chien et se tordre de paludisme en été,
Si c’est boire notre sang écarlate dans vos usines, la patrie
Si la patrie, ce sont les ongles de vos grands propriétaires terriens,
Si la patrie, c’est le catéchisme armé de lances, si la patrie, c’est la matraque de la police
Si ce sont vos crédits et vos rémunérations, la patrie
Si la patrie, ce sont les bases américaines, la bombe américaine, les canons de la flotte américaine
Si la patrie, c’est ne pas se délivrer de nos ténèbres pourries
Alors je suis traître à la patrie »

Probablement que vous trouverez mes propos et mes références trop idéologiques.

Mais, dites-moi Monsieur Tanlay, qu’est-ce que l’engagement aux côtés de l’impérialisme américain a fait gagner à la nation depuis 60 ans ?

Déposséder les petits paysans, appauvrir les pauvres et enrichir les riches.

Faire tuer 790 soldats sur un contingent de 4500 soldats turcs en Corée et dont la vie ne valait que 23 cents pour Washington.

Persécuter nos écrivains, nos poètes, nos philosophes, nos professeurs, au nom de la « lutte contre le communisme », des intellectuels aussi précieux que Sabahattin Ali (assassiné en 1948), Enver Gökçe, Nazim Hikmet, Rifat Ilgaz, Müeyyet Boratav, Behice Boran, Mihri Belli, Arif Damar (à l’époque, le DHKP-C n’existait pas)…

Assassiner nos étudiants, Vedat Demircioglu le 24 juillet 1968 par défénestration, puis Taylan Özgür le 23 septembre 1969 par une balle dans le dos.
Assassiner nos étudiants Duran Erdoðan, Ali Turgut Aytaç et faire du 16 février 1969, notre « dimanche sanglant ».

Assassiner nos étudiants Mehmet Cantekin le 19 septembre 1969, Mehmet Büyüksevinç le 8 décembre puis Battal Mehetoglu le 14 décembre 1969, des étudiants qui voulaient légitimement protester contre la présence de la 6e flotte américaine dans le Bosphore (à l’époque, le DHKP-C n’existait toujours pas)…

Brader nos ressources naturelles, nos minerais, nos récoltes aux compagnies étrangères.

Favoriser l’émergence d’une oligarchie cupide, parasitaire et hostile au peuple qui soutiendra les putschs militaires de 1971 et de 1980.

Tourner le dos aux pays du Sud, au tiers-monde et ce, en pleine vague de décolonisation voire combattre les nouveaux gouvernements nationalistes ou les mouvements anti-coloniaux en salissant notre Turquie par son intégration à l’OTAN en 1952, par des bases militaires américaines comme celle d’Incirlik et en signant le Pacte de Bagdad en 1955.

Le pays était sous « menace soviétique », me direz-vous…

D’abord, selon moi, la « menace soviétique » n’eût pas été pire que de se coucher devant l’Oncle Sam pour quelques poignées de dollars. Car objectivement, hier comme aujourd’hui, l’Empire américain est le plus agressif et le plus sanguinaire que l’humanité n’ait jamais connu. Je ne citerai que Hiroshima, Nagasaki, la Corée, le Vietnam et l’Irak avec la conviction que vous n’ignorez pas les incommensurables crimes de votre « allié stratégique ».

Deuxièmement, l’aide logistique de l’URSS de Lénine a été déterminante pour le triomphe de la guerre de libération menée par Mustafa Kemal Atatürk et dans les décennies qui allaient suivre, les accords commerciaux passés avec l’Union soviétique de Staline, notamment dans les domaines de la sidérurgie, du textile, de l’énergie, du raffinage du pétrole ou de la verrerie allaient être plus corrects et plus équitables que les traités yankees qui ont fait de la Turquie une néo-colonie.

Troisièmement, je n’ai jamais prôné le rattachement ou la subordination de la Turquie à l’Union soviétique (et le DHKP-C non plus), le socialisme tel qu’appliqué en URSS étant loin d’être le modèle de société auquel j’aspire.

Et enfin, nous aurions pu préserver notre indépendance, rejoindre le camp des non-alignés et pourquoi pas, devenir l’épicentre de l’anti-impérialisme.

C’est la voie que les précurseurs du DHKP-C ont choisie mais que le pouvoir néo-colonial d’Ankara a combattue en recourant à la terreur.

Pour apaiser les inquiétudes nord-américaines, les dirigeants de notre pays n’ont pas hésité à sortir les canons, les potences et les magnétos contre notre jeunesse, nos travailleurs, nos paysans et nos écrivains.

Le 30 mars 1972, on a exécuté Mahir Cayan et neuf de ses compagnons.
Le 6 mai 1972, on a pendu Deniz Gezmis et deux de ses compagnons.
Le 18 mai 1973, on a torturé Ibrahim Kaypakkaya à mort.

Nos gouvernements n’ont été guère plus tendres vis-à-vis des minorités nationales.

Rappelez-vous les « événements des 6 et 7 septembre 1955 », ces fameuses « nuits de cristal » qui ont visé les communautés grecques, arméniennes et juives d’Istanbul ou encore les pogromes de Kahramanmaras en 1978, de Corum en 1980 et de Sivas en 1993 qui ont pris les communautés alevis pour cible ?

Et que dire des persécutions ancestrales que vivent nos frères kurdes ?

Le PKK a commis certes des crimes impardonnables. Mais cela ne m’empêche pas de partager la souffrance du peuple kurde encore et toujours privé de ses droits nationaux élémentaires. Ni de déplorer la destruction des milliers de villages kurdes par l’armée gouvernementale. Ni d’oublier les dizaines de dirigeants kurdes tels Cheikh Said ou Seyid Riza qui ont été pendus pour avoir défendu leur droit de vivre dans la dignité. Ni de m’indigner de la barbarie des militaires qui collectionnent les oreilles des maquisards kurdes tués au cours d’affrontements ou froidement exécutés.

Pourquoi donc a-t-on si peur de reconnaître que le peuple kurde à des droits spécifiques ? Pourquoi les Kurdes n’auraient-il pas le droit d’enseigner dans leur propre langue, ce qui est la seule garantie de survie pour leur culture et de leur identité ? Nous savons vous et moi qu’une langue non entretenue est vouée à mourir. La culture du peuple qui la pratique aussi. Et en finalité, c’est tout un peuple qui est condamné à disparaître.

Aujourd’hui, même la bourgeoisie turque et son organisation, l’association des hommes d’affaires de Turquie (TÜSIAD) est lassée de décennies « d’instabilité » dans les provinces kurdes et de l’entêtement des autorités à nier les droits fondamentaux du peuple kurde.

Pourquoi stigmatise-t-on les ONG qui défendent le même point de vue que celui du patronat en matière de respect des droits des minorités ? Vous n’allez tout de même pas traiter vos patrons de « séparatistes »…

Par ailleurs, je désapprouve totalement les agissements des organisations nationalistes arméniennes Tachnak et Hintchak qui, profitant de la mobilisation des hommes en âge de se battre aux frontières de l’Empire ottoman, commirent jadis des exactions contre des villageois turcs et kurdes, femmes et vieillards inclus.

Mais, je suis infiniment plus indigné que le régime d’Ankara continue à nier l’évidence, c’est-à-dire la « désarménisation » brutale de l’Anatolie minutieusement programmée par le gouvernement ottoman de 1914. Cet indiscutable génocide fut l’aboutissement de plusieurs années de massacres anti-arméniens de 1895-1897 et de 1909.

Comme vous le savez, Enver Pacha ministre de la guerre et Talat Pacha, ministre de l’intérieur de l’ancien régime ont organisé en avril 1915, la déportation centaines de milliers de femmes, d’enfants et de vieillards arméniens, assyriens et chaldéens vers le désert de Syrie.

Et comme vous le savez aussi, cette déportation a été émaillée d’exécutions, de pillages, de tortures et de viols.

Durant la deuxième guerre mondiale, la Turquie prétendument neutre quoique toujours dirigée par le Parti républicain du peuple (CHP) de feu Mustafa Kemal Atatürk, s’était acoquinée avec l’Allemagne nazie au point d’adopter certaines de ses pratiques racistes et crapuleuses, notamment l’ouverture d’un camp de concentration dans la région froide et montagneuse d’Askale en province d’Erzurum, un camp réservé aux Arméniens et aux autres « non musulmans » qui n’avaient pu payer la taxe sur les biens (la fameuse « varlik vergisi »).

Des décennies durant, des figures politiques turques de haut rang comme le nazi Nihal Atsiz ont félicité le plan d’extermination du peuple arménien mais à présent, par souci marketing, les autorités cultivent l’amnésie collective.

Toujours par souci marketing, en mars dernier, le gouvernement AKP a organisé en grandes pompes la cérémonie marquant la restauration de l’église arménienne de la Sainte-Croix sur les bords du lacs de Van.

Mais personne n’en fut dupe. Car personne n’avait oublié l’assassinat, deux mois plus tôt, du journaliste arménien Hrant Dink par un adolescent téléguidé par les services secrets. Ni le déchaînement de haine à l’encontre du peuple arménien et de tous les démocrates qui avaient clamé durant les funérailles de Hrant Dink : « Nous sommes tous des Arméniens ».

Tous ces épisodes tragiques de notre histoire montrent que nos gouvernements ont toujours privilégié les options militaires et la violence contre les opprimés pour imposer leur autorité.

Pour justifier ces atrocités, en parfaits démagogues et en manipulateurs, les gouvernements « civils » et militaires de notre pays ont dénigré les opposants en les traitant de terroristes. Ils ont confondu délibérément causes et conséquences comme on s’attaque aux pauvres plutôt qu’à la pauvreté, aux redresseurs de torts plutôt qu’aux torts, aux justes et aux justiciers plutôt qu’aux injustices.

Pourtant, comme des millions de citoyens turcs, comme Mahir, Deniz et ces milliers de militants révolutionnaires assassinés, comme ces centaines de prisonniers grévistes de la faim décédés ou mutilés, comme ces dizaines de milliers de travailleurs venus manifester le 1er mai dernier malgré la terreur policière, je rêve d’une Turquie souveraine, prospère, paisible, juste, humble et fraternelle débarrassée de ce Janus au visage casqué d’un côté et enturbanné de l’autre.

C’en est-il pas assez que l’on divise la société sur base religieuse ?
Assez que l’on nous impose un intégrisme laïc à coups de baïonnettes.
Assez du nationalisme « crânien » qui place la « race des seigneurs » turcs au-dessus des autres peuples.
Assez de notre adhésion à l’axe de la honte et du crime conduit par l’impérialisme américain.
Assez que l’on cherche notre salut dans les clubs des puissants : Union européenne et consorts.
Assez de notre soumission au FMI, à la Banque mondiale, à l’Organisation mondiale du commerce.
Assez que l’on pratique une politique d’importation intense au détriment de nos petits producteurs.
Assez que l’on brade le fleuron de l’industrie turque au secteur privé.
Assez que l’on privatise la santé, l’éducation, les ports maritimes, les banques et les sociétés de télécommunication.
Assez que par le transit du pétrole et du gaz irakien, azéri ou kazakh sur le sol turc, l’on réduise notre pays à un corridor énergétique qui va profiter à l’Etat sioniste au détriment du peuple palestinien.
Assez que l’on détruise les habitations des pauvres pour bâtir des villas pour les riches.
Assez que l’on condamne les victimes du séisme de 1999 à vivre dans des habitations préfabriquées ou parfois encore sous des tentes.
Assez du laxisme en matière d’urbanisation et d’aménagement du territoire alors qu’à Istanbul uniquement, plus de 26.000 immeubles doivent impérativement être détruits avant que ceux-ci ne s’écroulent sur la tête des gens lors d’un prochain tremblement de terre même de faible magnitude.
Assez que notre jeunesse soit livrée au chômage, à la criminalité, à la délinquance, à la drogue, à la prostitution et aux mouvements fascistes.
Assez que nos ouvriers soient utilisés comme chair à canon dans la guerre concurrentielle que se livrent les patrons et meurent en chaîne en l’absence de mesures de sécurité sur leur lieu de travail.
Assez que l’on licencie les travailleurs désireux de s’affilier à un syndicat.
Assez que l’on traîne des syndicats devant les tribunaux pour en obtenir la fermeture.
Assez que les syndicalistes soient frappés d’exclusion, de licenciements ou de bannissement.
Assez que l’on dynamite les locaux d’associations démocratiques.
Assez que l’on interdise des concerts de musique.
Assez que l’on saisisse des publications, que l’on arrête des journalistes et que l’on ferme des stations radio.
Assez que les tortionnaires et les escadrons de la mort à la solde de l’Etat bénéficient de l’impunité.
Assez que l’on tire sur les manifestants ou qu’on les asphyxie à coups de gaz lacrymogènes.
Assez que l’on torture en garde à vue et dans les prisons.
Assez que l’on envoie les forces armées et les troupeaux de fascistes pour « casser du gauchiste » lors de conférences de presses, de funérailles, de distributions de tracts.
Assez que l’on profane les tombes des militants morts pour une Turquie libre.
Assez que l’on pollue notre air, nos mers, nos nappes phréatiques et nos rivières.
Assez des programmes télévisés de déculturation et d’abrutissement.

A présent que nous sommes dégagés pour un instant des intérêts de nos camps, de nos classes respectives, dites-moi ce que vous pensez Monsieur Tanlay d’une Turquie débarrassée de toutes les tares, les lacunes, les crimes et les dysfonctionnements précités ? Une telle Turquie serait-elle pas plus viable, plus humaine ?

Si toutes ces politiques antipopulaires n’avaient pas été menées avec hargne et obstination, croyez-vous sincèrement que la jeunesse aurait pris les armes contre le pouvoir en 1970 ?

Pour une fois dans votre vie, je vous invite à vous mettre à la place des gens que vous haïssez.

Notre propre histoire nous apprend que les solutions policières et militaires, que les appels à la haine et à la vengeance ne font qu’aggraver les problèmes.
En l’occurrence, votre appel « au secours » adressé le samedi 21 avril dernier via le quotidien « Hürriyet » aux organisations turques de Belgique est d’autant plus irresponsable que l’extrême droite turque a régulièrement mis vos appels à exécution en incendiant des associations kurdes et assyriennes, ou en lynchant des démocrates turcs à Bruxelles.

Ce dont souffre les Turcs de Belgique, c’est précisément d’être inféodés à vos directives et à votre agenda, voire d’être continuellement utilisés comme vos otages. Ne croyez-vous pas qu’il est enfin temps de donner à nos compatriotes vivant en Belgique la possibilité de connaître toutes les facettes de la réalité de notre pays, loin des slogans creux et des préjugés ? De donner l’occasion aux diverses communautés anatoliennes de cohabiter dans l’harmonie et la solidarité loin de vos calculs diplomatiques ? De leur permettre de se réapproprier leur propre histoire, celle qu’ils partagent avec tous les travailleurs du monde et de leur pays d’origine ?

Je sais que la bouteille que je lance dans un océan aussi obscur et infini que votre indifférence, ira s’échouer sur quelque rocher tranchant.

Mais je sais aussi que cet océan regorge de petits poissons noirs épris de justice, de liberté et de connaissance, semblables à celui que le conteur iranien Samad Behrangi nous a enseigné. Et je sais qu’un jour, une multitude de petits poissons rouges prendront la relève et nageront dans une Turquie nouvelle, courageuse, libre, humble, prospère et fraternelle.

Veuillez agréer, Monsieur Tanlay, mes salutations distinguées.

Bahar Kimyongür

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Bernard Klein. Les expressions qui ont fait l’histoire. Paris, E.J.L. 2008
Bernard GENSANE
Ce qu’il y a d’intéressant avec les phrases historiques, c’est que, souvent, elles n’ont pas été prononcées par les personnes à qui on en a attribué la paternité. Prenez la soutière (je sais, le mot "soutier" n’a pas de féminin, mais ça ira quand même) du capitalisme américain qui siège au gouvernement français, Christine Lagarde. Elle a effectivement, lors de la flambée du prix des carburants, conseillé au bon peuple d’utiliser le vélo plutôt que la voiture. Mais la reine Marie-Antoinette, (…)
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