Mercredi 20 juin 2007.
Sarkozy veut y aller.
"On va aller encore plus vite, encore plus loin, et tout de suite." (Nicolas Sarkozy dans Le Parisien mercredi 20 juin 2007).
C’est sans doute là ce que celui qui aspire à régler son compte à la classe des salariés de France entend par "respecter le verdict des urnes", au lendemain de la première défaite politique que fut pour lui le résultat du second tour des élections législatives.
Il y a exactement deux ans, un personnage du même acabit, quoi que d’aucuns lui prêtaient en son temps plus de panache, M. De Villepin, au lendemain de la victoire du Non au référendum du 29 mai 2005, en tirait la conclusion qu’il fallait aller encore plus vite, encore plus loin, et tout de suite, et engageait le processus de liquidation du contrat de travail par le CNE (Contrat Nouvelle Embauche) et le CPE (Contrat Première Embauche), processus dont la reprise et l’aggravation sont au coeur des projets du gouvernement Sarkozy-Fillon.
Sarkozy sait cela, naturellement, et si maintenant il entend attaquer, c’est parce qu’il se sent fort de sa récente victoire aux élections présidentielles qui a modifié le rapport de force en faveur du patronat et de son Etat, mais dont il n’est pas encore acquis qu’elle l’a modifié de manière radicale et durable, comme l’a montré, justement, le second tour des législatives. C’est précisément pour cela qu’il estime devoir aller vite.
Dés le conseil des ministres de ce mercredi 20 juin a été adoptée, sous l’appellation de "loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat", une réduction de 11 milliards des ressources fiscales de l’Etat provenant principalement d’exonérations d’impôts pour les riches et comportant les mesures en faveurs des heures supplémentaires qui baissent le salaire socialisé (les soi-disant "charges sociales") au détriment de la Sécurité sociale et qui vont permettre aux patrons de légaliser massivement les heures supplémentaires qu’ils imposaient au noir et de ne pas embaucher.
Ces réductions fiscales visent aussi, et peut-être surtout, à supprimer massivement des postes de fonctionnaires -le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant en retraite, qui vise à terme à une division par deux de l’effectif total au profit des emplois précaires à recrutement local. L’enseignement public est le plus visé par l’opération, en relation avec le début de la déréglementation de la carte scolaire qui vise à faire se comporter chaque établissement public comme s’il était privé.
Avant-hier, 18 juin, le quotidien patronal Les Echos (au lendemain des législatives et juste avant une grève de ses propres journalistes ! ) publiait le cahier des charges de ce gouvernement : après le "paquet fiscal" (les 11 milliards d’exonérations) du 20 juin, lancement rapide des "négociations" sur le "service minimum" à la SNCF avec, le 21 juin, une première réunion des "partenaires sociaux" sur le thème de la "continuité des services publics dans les transports terrestres", première manche de l’attaque contre le droit de grève ; au conseil des ministres du 27 juin adoption du projet de loi sur l’ "autonomie des universités", puis du plan de réduction des dépenses d’Assurance Maladie, présentation de la loi sur les peines planchers au Sénat le 5 juillet, fixation du niveau des dépenses du budget 2008 dés le 20 juillet, et rapport sur la fameuse "TVA sociale" à la fin de ce même mois de juillet, etc., etc. ...
Le Pen conseille la présidence.
Dans cette détermination affichée, la peur du volcan a sa part. Sarkozy "est loin d’avoir gagné sa bataille pour réformer la France", écrit, lucide, le Financial Times. En effet.
Sarkozy a besoin, plus encore que voici quelques semaines, de soutiens, de collaborateurs, d’union nationale, de complicité. Il veut asseoir sa politique sur une "relance" de la prétendue "construction européenne" et, pour cela, il "consulte".
Il a donc reçu officiellement Simone Weil, Edouard Balladur, Jean-Pierre Raffarin, Patrick Devedjian et Hervé Morin, ainsi que François Bayrou, et il s’est rendu, voyez-vous ça, au domicile de Valérie Giscard d’Estaing, mais il a aussi reçu François Hollande et Laurent Fabius, et devrait recevoir des représentants du PCF et des Verts, sans oublier Jacques Delors, reçu ce matin juste après ... Jean-Marie Le Pen.
Le vieux politicien n’a pas manqué de saluer cette "réinsertion du Front national" parmi les partis officiellement fréquentables et consultables. Effectivement, il s’agit d’une stratégie délibérée de Nicolas Sarkozy : le Front national et tout son fond de commerce font partie intégrante et intégrale du capital qu’il veut faire fructifier contre la classe ouvrière, les droits et les libertés. Sarkozy n’est pas un "facho" (Le Pen non plus d’ailleurs, en toute rigueur scientifique ...), mais inversement dire qu’il n’y a rien à voir est tout aussi réducteur. Particulièrement significatif est le terrain choisi pour cette réconciliation maintenant officielle : l’ "Europe", c’est-à -dire l’Union Européenne pour laquelle Sarkozy entend soumettre un "nouveau traité" qui ne serait qu’une version abrégée de ce qui a été rejeté le 29 mai 2005. L’extrême-droite européenne, notamment italienne et autrichienne, ces héritiers du fascisme et du nazisme qui ne sont aujourd’hui ni des fascistes, ni des nazis, mais bien leurs héritiers assumés -les Fini, Haider et autres- sont sur cette orientation à l’unisson de Sarkozy, qu’ils reconnaissent pour l’un des leurs par son projet : battre la classe ouvrière française et refonder durablement la droite réactionnaire par delà toutes les divisions que le XX° siècle avait introduit en elle. D’un côté, reconnaissance officielle de la place de Le Pen, cette vieille baderne institutionnelle de la V° République présent dés le putsch d’Alger qui lui donna naissance, de l’autre, injonction à lire la lettre "patriotique" du jeune Guy Moquet -une lettre personnelle à ses parents qui présente l’avantage de ne pas avoir de contenu politique ...
Deux nouveaux venus dans la cour des miracles.
Mais Sarkozy a surtout besoin d’une forme pour l’instant tronquée, d’union nationale.
Le remaniement du gouvernement Fillon consécutif aux législatives devait surtout enregistrer sa première défaite politique grave en abandonnant Juppé, l’homme du plan contre la Sécu qui portera à jamais son nom. Mais le bruit médiatique visant à couvrir ce fait en réalité dominant nous parle à nouveau d’ "ouverture" avec les cas d’espèces de Bockel Jean-Marie et de Amara Fadela.
Du premier, il n’y aura pas grand chose à dire, son "ralliement" n’a rien de surprenant et, pas plus que le soutien d’un Allègre ou l’arrivée d’un Kouchner, ne marque un quelconque reniement des idées qu’il a toujours professées. Dans ce gouvernement bushiste, les blairistes y sont aussi. En un sens, ne nous en plaignons pas : ça permettra peut-être de jeter tout ce beau monde en une seule fournée.
La nomination de Fadela Amara, ancienne porte-parole du mouvement "Ni putes ni soumises", comme cheftaine de la politique des cités sensibles, sous-fifre de Christine Boutin -oecuménique attelage qui, avec Martin Hirsh auréolé des mânes de l’abbé Pierre, forme carrément une sainte trinité ! - fait évidemment plus parler.
Fadela Amara, sous-ministre de Sarkozy via Boutin le jour même où son chef reçoit Le Pen, n’était une icône que pour qui ne la connaissait pas, et pouvait gober la légende dorée de la fille des cités ayant engagé une croisade féministe. Gérard Filoche dans un communiqué la qualifie de "dupe consentante". Plus affûté en l’occurrence, le communiqué du MJS (Mouvement des Jeunes Socialistes) comporte ces mots :
"Engagée à SOS Racisme, puis aux Maisons des Potes, élue socialiste à Clermont-Ferrand et aujourd’hui membre d’un gouvernement de droite, le parcours de Fadela Amara doit interpeller les socialistes. Voila des années que des dirigeants du PS instrumentalisent un certain nombre de responsables associatifs à des fins claniques. Le MJS appelle les socialistes à assumer leurs responsabilités. Quand les annonces et les comportements de certains, pendant des années, s’écartent des valeurs socialistes et des cadres de fonctionnement collectif, on ne peut pas être surpris que le ver finisse par sortir du fruit. L’attitude à adopter vis-à -vis des baronnies locales irresponsables, la relation à établir avec le monde associatif, feront aussi partie des sujets à traiter pour refonder la gauche."
En clair, la société anonyme à irresponsabilité illimitée dont les raisons sociales ont pu s’appeler SOS Racisme, Maison des potes, etc., tout en ayant momentanément associé des militants antiracistes sincères, fut une baronnie clanique dont l’accession de son ultime potiche au rang de sous-ministre de Sarkozy est un aboutissant somme toute peu surprenant. Nous partageons la non-surprise du MJS. Naturellement, le nettoyage qu’il appelle de ses voeux doit remonter à la source, et la source se trouve à la direction du PS et dans les staffs rivaux de Mme Royale.
On reviendra dans quelques jours sur les failles et les débats qui vont s’ouvrir dans et autour des conseils nationaux du PS, ce samedi 23 juin, et du PCF les 22 et 23. En ce qui concerne la politique qu’annonce la nomination d’une Mme Amara dans le gouvernement Sarkozy, on peut penser que certains termes du communiqué du MJS l’évoquent par avance : clans et baronnies, cliques et milices, grands frères et petites soeurs, clientélisme et réseaux pour "tenir" les "cités", rien dans tout cela qui n’aille dans le sens de l’émancipation de leur jeunesse, garçons et filles. Dans ce gouvernement aux ordres du capital financier et à l’image, vulgaire et inculte, de la bourgeoisie moderne d’aujourd’hui, il était au fond bien naturel que les couches supérieures du lumpen-proletariat, incorporées à la classe dominante, soient représentées elles aussi. Baste : l’arbre ne doit pas cacher la forêt et le soutien décisif pour Sarkozy ne se situe pas là .
De grandes négociations ?
Hier mardi 19 juin, toutes les confédérations représentatives des salariés -CGT, CGT-FO, CFDT, CFTC, CFE-CGC- sont allées rencontrer le MEDEF, la CGPME et l’UPA, officiellement "en vue d’établir un état des lieux préalable à l’ouverture d’une négociation d’ici la fin de l’année." Mais Laurence Parisot du MEDEF sautait comme un cabris : "énorme", "historique", etc. Ces rencontres au sommet, en effet, se font sur injonction de Sarkozy et de Fillon en accord avec le MEDEF : négociez, sinon on légifère, d’ailleurs on légiférera de toutes manières. Thibault et Mailly notamment ont donc accepté d’entrer dans des négociations sur l’assurance-chômage, la "sécurisation des parcours professionnels" et le contrat de travail -le MEDEF, le gouvernement et les média ont une expression plus claire, plus nette : "négociation sur le marché du travail". Ces "négociations" se font donc très clairement sur la base des revendications patronales appuyées par le gouvernement : déréglementer le contrat de travail au nom de son "unification", et liquider le salaire socialisé -car la loi sur les heures supp’ plus la TVA sociale plus la franchise plus la caisse dépendance pour sortir des vieux de l’Assurance maladie, c’est cela.
Le gouvernement attend un accord d’ici décembre, un "accord" dont le contenu attendu est déjà connu ...
Pour des syndicats de salariés, il ne devrait y avoir là rien à négocier. Le Financial Times déjà cité s’en inquiète d’ailleurs : le risque pour Sarkozy, explique-t-il, pourrait venir des "syndicats". Certes ; à condition que les syndicats rompent avec cette collaboration au sommet, comme ils avaient rompu, réalisent leur unité, au moment de la lutte contre le CPE. Et là c’est la même chose, en pire. La question doit donc être posée dans les syndicats : faut-il y aller, pourquoi y aller ? A un moment donné, il ne faut plus y aller. Les syndicats de l’enseignement pouvaient peut-être encore aller à la rigueur entendre Sarkozy leur dire qu’il abrogeait le décret De Robien contre les statuts des profs (mais sans rétablir les postes et donc en tendant le piège des heures supp’) le 11 juin dernier. Mais négocier le "service minimum", non !
Cette question est posée. Ainsi, la plupart des fédérations des transports dans un communiqué commun (CGT, CFDT, FO, CFTC) "réaffirment que le droit de grève ne saurait être mis en cause" et font savoir qu’elles s’opposeront à toute remise en cause de celui-ci, mais en même temps demain jeudi 21 juin elles vont se réunir autour de la table de la "rencontre des partenaires sociaux sur la continuité du service public dans les transports terrestres". Pour y faire quoi ? Une fois qu’on a rappelé que la continuité du transport ferroviaire c’est plus de moyens, c’est la réparation des trains et l’assainissement des lignes notamment parisiennes, régionales et locales, et que le droit de grève est la garantie qu’on puisse encore défendre cette continuité, qu’y a-t-il d’autre à dire ?
Jean-Claude Mailly indique au Figaro que, sur 6043 incidents ayant généré des retards en 2006, 140 sont dus à des grèves, le reste à des défaillances d’un matériel que l’on ne renouvelle plus, à des accidents et incidents divers, etc. Mais il dit aussi que FO sera "très attentifs à ce que la loi-cadre ne porte pas atteinte au droit de grève." Quelle loi-cadre ? Celle sur le service minimum. Mais par définition une telle loi-cadre vise le droit de grève. Alors ?
Les premiers casus belli sur lesquels appuyer : droit de grève et universités.
Il ne s’agit pas pour les syndicats d’interrompre toute négociation sur tous les sujets. Il s’agit de ne pas se faire les auxiliaires de Sarkozy et de Parisot, au moment même où les travailleurs vont tenter de faire jouer leur rôle aux syndicats et de se grouper dans et avec eux. Dans cette voie, le combat contre les négociations sur le service minimum, en fait sur le droit de grève quelles que soient les litotes usitées, est un levier pour préparer l’unité dans l’action commune prochaine.
De même, à l’université, l’UNEF et le SNESUP-FSU sont de plus en plus placés devant l’impossibilité pour leur existence même de participer à la "concertation" sur une "réforme" déjà écrite, prévue pour adoption en conseil des ministres le 27 juin, et qui, comme le note avec inquiétude Le Monde, "porte les germes de la contestation" : sélection à l’issue des trois premières années, porte ouverte à la transformation des universités en entreprises. Selon l’UNEF, "le gouvernement fait le choix de la rupture". Effectivement c’est ici la ministre Valérie Pécresse, en accord avec Fillon et Sarkozy, qui a choisi de ne pas s’engager dans des mois de "concertation" impliquant les syndicats (dont les responsables étaient consentants pour "s’impliquer") et d’accélérer la donne. Comme si, avec les cheminots, le gouvernement était en train de programmer les affrontements avec la jeunesse. Pour cet automne ...
Oui, il faut une représentation politique démocratique authentique pour la majorité exploitée et opprimée. Cette reconstruction, refondation ... quelque nom qu’on lui donne, n’est pas séparable de la préparation des affrontements qui s’annoncent. Cette organisation qui nous représente réellement, dont le besoin est soulevé par les débats et crises des organisations existantes, doit combiner la discussion sur ce que serait le programme d’urgence d’un gouvernement qui nous représente réellement, avec la préparation concrète des proches combats. Car ce n’est pas dans un énième "logiciel", mais dans la victoire ou la défaite de ces combats, que l’avenir se jouera.
Vincent Présumey
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