Libération a sonné la charge contre ce Che, assassiné le 9 octobre 1967, dont rien ne parvient à écorner l’image fascinante, l’enracinement populaire, la rébellion absolue. Ce Che qui reste un mythe universel, un référent pour la critique du capitalisme, pour les luttes de « los de abajo » (ceux d’en bas). Ce Che obsédé par l’éthique en politique, altruiste, qui éduquait par l’exemple. Ce Che qui fait la nique à tous ceux qui voudraient tuer l’étoile une bonne fois pour toute. Ce Che multiple, dont la pensée et les pratiques militantes, l’héritage, restent encore aujourd’hui un indispensable laboratoire, et dérangent à la fois vraie droite et fausse gauche.
Ce Che, à effacer des mémoires, à criminaliser, ne se battait pas pour la gloriole, mais pour contribuer à libérer les peuples du « Tiers-Monde ». Il est allé jusqu’au bout d’un engagement réfléchi, intellectualisé, responsable, en sachant que dans la lutte à mort contre l’impérialisme, on peut y laisser la peau. Ce Che que Joffrin et Madame la chercheuse cherchent à dépolitiser ; ce Che accablé de lieux communs par les néo-socio-libéraux : « aventurier » « suicidaire », qui se serait « immolé » par culte de la violence, par amour de la guerre.
Les inquisiteurs ont le droit d’être partiaux, mais qu’ils précisent qu’avec l’ouvrage Le Che, à mort, nous sommes dans le fictionnel. Le grand ordonnateur du procès anti-guévarien, une sorte de Torquemada moderne, plaque sur le Che des grilles de lecture relevant d’obsessions personnelles ; ce n’est autre que le journaliste multi-casquettes Laurent Joffrin, directeur de Libération.
Dans sa chronique (« Cité des livres ») du 5 septembre 2017, intitulée « Le Che, double des djihadistes... », il traite le Che de « kamikaze », et l’accuse de manipuler les esprits des djihadistes, n’hésitant pas à jouer sur les peurs actuelles. C’est irresponsable autant qu’intellectuellement peu honnête. Joffrin ne recule devant rien lorsqu’il s’agit de mettre une plume « mercenaire » au service d’un système dont il est l’un des piliers. Omniprésent dans les médias, allant et venant de l’Obs à Libération, l’homme ne cache pas ses sympathies politiques pour François Hollande, le nec plus ultra de la gauche de droite.
Cette chronique joffrinoise est destinée à promouvoir le nouvel opus de la chercheuse Marcela Iacub. Après Dominique Strauss kahn, Che Guevara !!! L. Joffrin présente sa vision mesurée du Che : « cruel », « le premier Kamikaze », celui qui montre l’exemple de l’engagement sacrificiel aux djihadistes, « une figure christique et maléfique à la fois » « dédiée à sa propre gloire », porteur des « certitudes d’un marxisme d’acier, celui dont on fait les poignards, les balles et les fusils ». On appréciera la subtilité des poncifs idéologiques. La charge ne s’appuie sur aucune référence sérieuse, l’objectif étant de faire vendre du sulfureux, tout en salissant le Che, et les militants, partout dans le monde, qui luttent pour une société plus juste.
Madame Iacub fut en 2012 « maîtresse de Dominique Strauss Kahn » et en publia, en février 2013, le livre Belle et Bête, qui étudie scientifiquement, comme l’on s’en doute, et loin de tout caractère voyeuriste (cela va de soi), la sexualité d’un personnage public jamais nommé. Mais à la veille de la publication de l’ouvrage, la chercheuse au CNRS précise dans le Nouvel Observateur, qu’il s’agit de Dominique Strauss Kahn, « ce cochon sublime », qui se comporte « comme un méchant porc ». Closer (n°582, du 31 août 2016), titre « Pour Marcela Iacub, DSK est le « roi des porcs ». De quoi classer l’ouvrage, si médiatisé, de haute tenue intellectuelle, dans la catégorie : « apologie de la race porcine ».
Aujourd’hui, la chercheuse (de scandales médiatiques), de buzz, réalise une opération similaire avec le Che. Son livre, Le che, à mort, suinte la haine à toutes les pages. Faut-il en parler, ce qui est une façon de le promouvoir, ou l’ignorer ? Toute l’entreprise repose sur une lecture biaisée de la vie du Che, sans cesse ramenée à une dimension psychologisante de quatre sous, un supposé dédoublement de personnalité entre Ernesto et le Che, resucée simplificatrice du Docteur Jekill et Mister Hide. Mais alors que Stevenson cherchait à dénoncer l’hypocrisie de la société londonienne du XIXe siècle, Iacub reconnaît dans sa conclusion ses griefs envers « la légende du Che ».
L’héroïsme du Che ne serait qu’une névrose narcissique, à tout le mieux l’inversion du mythe sacrificiel, due à la perversion de sa mère, qui aurait falsifié sa date de naissance pour la faire correspondre à celle d’un héros de l’Indépendance cubaine selon Iacub (page 20) ; dans la biographie d’Anderson qu’elle utilise par ailleurs, ce dernier évoque un docker assassiné lors d’une grève portuaire à Rosario. Instrumentalisation des sources ? L’auteure recourt évidemment à la figure « romantique » du héros perdant, don Quichotte, dont l’auteur serait un doux rêveur, oubliant un peu facilement que Cervantès fut écrivain et soldat.
Ne pouvant véritablement le salir, l’auteure cherche à changer la signification de la vie du Che. Tout en prétendant discréditer l’espoir et l’exemple qu’il constitue pour des milliers de jeunes dont les raisons de désespérance ne sont jamais ne serait-ce qu’évoquées.
L’opération Le Che, à mort, (en fait : à mort le Che !) repose sur l’amalgame facile, sur une accumulation d’analyses de bazar, sur des interprétations très néo-libéralement manichéennes. Dans la « guerre idéologique » que mènent les puissants, tout fait ventre.
Jean ORTIZ
universitaire, auteur de Vive le Che ! Editions Arcane 17.
Préface du poète Serge Pey.
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