Un excellent poème qui, mieux que mille discours nous décrit la tragédie de ceux qui risquent leur vie pour une vie meilleure. Une tragédie, une de plus a endeuillé 350 familles des 350 disparus de Lampedusa victimes à la fois des marchands de mort qui les ensardinent dans des rafiots, mais aussi des pays riverains qui font tout pour les éloigner des côtes quitte à ne pas les secourir... Il y a une semaine, en effet, des damnés de la Terre sont morts à un kilomètre de la terre promise, en l’occurrence le rivage de l’île de Lampedusa, une île italienne, d’une superficie de 20,2 km2 et peuplée par moins de 6 000 habitants. Elle se trouve à 205 km de la Sicile, 167,2 km de la Tunisie, 220 km de Malte et 355 km de la Libye.
La proximité de la Tunisie et de la Libye qui bordent le canal de Sicile font de l’île un point d’entrée privilégié pour les immigrés irréguliers qui veulent gagner l’Europe. Ceux-ci tentent la traversée au péril de leur vie dans des embarcations de fortune venant de Gabès, Zarzis, Sfax, Mahdia, ou de la côte libyenne. L’île de Lampedusa s’est faite connaître plusieurs fois notamment. Ce phénomène a commencé en 1992 et n’a cessé de s’amplifier. 31 700 migrants sans papiers sont arrivés sur l’île entre les 11 et 13 février 2011, plus de 5 000 Tunisiens sans papiers sont arrivés sur l’île, profitant d’un relâchement de surveillance douanière et policière suite à la Révolte tunisienne du 14 janvier 2011. Cette fois, un bateau transportant environ 500 migrants a fait naufrage, jeudi 3 octobre, près de Lampedusa. Selon les médias italiens, seuls 150 passagers ont été sauvés jusqu’à présent. Les naufragés avaient passé déjà plusieurs heures dans l’eau. Selon le Corriere della Sera, « une trentaine d’enfants et trois femmes enceintes » feraient partie des personnes toujours dans l’eau. Ils seraient partis du port libyen de Misrata.
Une première polémique a éclaté après que plusieurs survivants ont affirmé qu’au moins trois bateaux de pêche étaient passés à proximité du navire en difficulté sans s’arrêter. Cela rappelle l’affaire Zenzeri et Bayoudh (2007) dans laquelle deux capitaines de pêche ayant secouru des boat people en détresse se sont vus accusés d’aide à l’entrée irrégulière sur le territoire du fait des lois Bossi-Fini. Les migrants venant d’Afrique noire et qui meurent en traversant le Sahara pour venir s’embrocher sur les barbelés dans le Maroc espagnol sont aussi à plaindre que ceux qui tentent la traversée par mer.
Les remords tardifs : des larmes de crocodile
À l’unanimité, la presse européenne a poussé des cris d’orfraie ! Scandale ! Ce n’est pas permis ! Il faut faire quelque chose ! Le même discours depuis vingt ans avec la même indifférence une fois que l’actualité passe à autre chose. « Le massacre des immigrants, l’Italie en deuil », titre le Corriere della Sera. Dans l’article principal du quotidien de Milan, Gian Antonio Stella rappelle le grand nombre de personnes qui se sont noyées en tentant de traverser la Méditerranée depuis 1988 : au moins 19 142 selon le blog Fortress Europe. Stella rappelle aussi que peu de temps avant cette tragédie, le Conseil de l’Europe avait accusé l’Italie d’attirer l’immigration à cause de ses systèmes de dissuasion inadéquats, alors que d’autres institutions européennes critiquent régulièrement les politiques « dissuasives ». [...] C’est l’affaire de tous. [...] Bruxelles devrait venir à Lampedusa et compter les morts. C’est aussi les siens. Pour le Spiegel Online, le naufrage de Lampedusa, est « l’échec de l’Europe ». Il y a certainement eu des scènes apocalyptiques : 500 personnes qui tombent d’un bateau en feu, nombreux d’entre eux ne sachant pas nager. Ce qui est arrivé fait trembler toute l’Europe. [...] La petite île se sent seule et ce n’est pas la première fois. Depuis 1999, plus de 200.000 personnes venant d’Afrique et d’Asie, fuyant la guerre, la faim et la misère, se sont échouées là-bas. On estime que 10 à 20.000 personnes sont mortes pendant la traversée. Depuis janvier 2013, 22 000 réfugiés ont atteint Lampedusa. Cette île est un symbole. Un symbole de l’échec de la politique d’immigration européenne. La plupart des naufragés venaient de Somalie et d’Erythrée, et fuyaient la faim et la guerre. Des survivants ont déclaré que malgré les appels au secours, trois bateaux sont passés sans se dérouter pour leur porter secours. Pour El País, « la crise de ces hommes en fuite ébranle l’Europe » : Il a fallu ce grand naufrage - et celui-ci est un des plus importants jamais vu- pour que les yeux se tournent vers les 5000 habitants de l’île [Lampedusa] dont la maire [Giusi Nicolini], épuisée par la surdité des autorités italiennes et européennes, a envoyé une lettre à l’Union européenne, en février 2013, dans laquelle elle pose cette question : « Quelle taille le cimetière doit-il atteindre sur mon île ? » »
Sous le titre « Lampedusa coule », Gazeta Wyborcza constate que « le détroit sicilien est devenu le tombeau des Africains qui rêvent du paradis européen ». [...] Ni les Italiens ni les Européens ne veulent d’immigrés illégaux, sans éducation et pauvres. Rendre le système de surveillance de la mer Méditerranée, supervisé par Bruxelles, plus efficace pour sauver des gens de la noyade est une tâche ardue. Dans De Volkskrant, la chroniqueuse Sheila Sitalsing s’indigne de l’hypocrisie qui règne en Europe. Elle déplore que la politique d’immigration de l’UE se résume ainsi : se disputer, se déculpabiliser et détourner les yeux. Cela fait des années que les pays du sud de l’Europe essaient avec la plus grande peine de mettre leurs problèmes colossaux d’immigration à l’agenda de Bruxelles, en avertissant : « Nous ne pouvons pas continuer à les accueillir, mais nous ne pouvons pas non plus les laisser mourir, et nous ne pouvons pas les renvoyer, donc, aidez-nous ! » Et les pays du Nord répondent : « Il faut les repousser quoi qu’il en soit, bon sang ! » Dans son éditorial, le quotidien de Lisbonne titre : « Lampedusa et la honte de l’Europe ». Público poursuit : La Méditerranée, cette mer qui fut la route et le centre des civilisations depuis l’Antiquité, s’est transformée en camp d’extermination. Il n’y a pas de miracle. Mais une Europe tourmentée par la peur et la crise qui se renferme sur elle-même ne sera plus longtemps l’Europe si elle ne comprend pas que la mort en Méditerranée est également sa propre mort ».(1)
La réglementation inhumaine et drastique de la forteresse Europe
Il vient que la forteresse Europe, véritable miroir aux alouettes pour les jeunes du Sud, se barricade plus que jamais. Notamment depuis une certaine Directive de la Honte sous la houlette du commissaire européen portugais qui, décidément, a la mémoire courte : il ne se souvient pas que ses aînés. anciens immigrés dans le bas de l’échelle, étaient appelés, dit-on – suprême injure – les Arabes de l’Europe ! Cette Europe qui a mis en place le Sives qui permet de surveiller les côtes espagnoles de Ceuta et Mellila et qui permet de les voir, aussitôt qu’elles quittent l’Afrique. Cette Europe qui met en place une marine et une aviation de guerre Frontex pour repérer à l’avance les embarcations maudites et les rediriger sur leur pays d’origine. Cette Europe, qui sponsorise dans certains pays d’Afrique du Nord des camps de rétention, sous-traitant ainsi sa sale besogne pour venir choisir sur place ceux qui ont le meilleur génome, le meilleur diplôme, ce qui n’est pas sans nous rappeler les négriers qui choisissaient ceux qui avaient la meilleure dentition.(2)
Qu’est-ce qu’un harraga ? Mot originaire de l’arabe maghrébin harrâg, « qui brûle » (les papiers) migrant clandestin qui prend la mer depuis l’Afrique du Nord. On comprend sans peine le désespoir de ces migrants qui font des milliers de km pour venir, pour certains, du fond de l’Afrique, mourir d’une façon tragique, noyés et restant sans sépulture ou encore enterrés d’une façon anonyme parce que rejetés sur une plage. On se souvient avec colère et impuissance de l’image de cette harraga gisant sur une plage espagnole, couverte d’un carton, pendant que des jeunes filles et garçons s’ébattaient dans l’eau à quelques mètres de là. Non, le monde n’est pas juste. » (2)
C’est justement lit-on sur Press Europe, l’augmentation des contrôles aux frontières qui oblige les migrants à prendre des itinéraires plus dangereux et qui les a rendus de plus en plus dépendants des trafiquants d’êtres humains pour passer la frontière. Les itinéraires sont devenus plus longs et plus dangereux et de ce fait, les migrants sont devenus plus dépendants des trafiquants d’êtres humains. Pendant deux décennies, on a investi des fortunes dans les contrôles aux frontières et on a mis de plus en plus d’argent dans Frontex (l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures), mais même cela n’a pas arrêté les migrations. Prendre sa responsabilité signifie pour les gouvernements européens qu’ils doivent donner aux réfugiés l’accès aux procédures de demande d’asile au lieu de les pousser vers la mort. Cela peut signifier par exemple, que ledit Règlement Dublin doit être modifié. Ce règlement dit que les réfugiés ne peuvent demander un droit d’asile que dans le premier pays d’arrivée. La modification de ce règlement permettrait de créer la possibilité de demander l’asile dans d’autres pays européens. » (3)
La responsabilité de l’Europe dans le drame des migrants
Avec sa lucidité coutumière, Manlio Dinucci dénonce à la fois l’hypocrisie de l’Italie et plus globalement de l’Europe. Il écrit : « Honte et horreur » : ce sont les termes utilisés par le président de la République, Napolitano, à propos de la tragédie de Lampedusa. Ils devraient plus exactement être utilisés pour définir la politique de l’Italie à l’égard de l’Afrique, en particulier de la Libye d’où provenait le bateau de la mort. D’abord, le gouvernement Prodi, le 29 décembre 2007, souscrit l’Accord avec la Libye de Khadafi pour « faire obstacle aux flux migratoires illégaux ».
L’accord prévoit des patrouilles maritimes conjointes devant les côtes libyennes et la fourniture à la Libye, d’un système de contrôle militaire des frontières terrestres et maritimes. On constitue à cet effet un Commandement opérationnel inter-forces italo-libyen. La Libye de Khadafi devient ainsi la frontière avancée de l’Italie et de l’UE pour bloquer les flux migratoires d’Afrique. Des milliers de migrants venant d’Afrique subsaharienne, bloqués en Libye par l’accord Rome-Tripoli, sont contraints de retourner dans le désert, condamnés à une mort certaine. Sans que personne à Rome n’exprime honte et horreur. On passe ensuite à une page plus honteuse encore : celle de la guerre contre la Libye. (...) Grâce à un actif commercial de 27 milliards de dollars annuels et un revenu par habitant de 13.000 dollars, la Libye est avant la guerre le pays africain où le niveau de vie est le plus élevé, malgré les disparités, et se trouve félicitée par la Banque mondiale pour « l’utilisation optimale de la dépense publique, y compris en faveur des couches sociales pauvres ».
Dans cette Libye, environ un million et demi d’immigrés africains trouvent du travail. Quand en mars 2011 commence la guerre États-Unis/Otan contre la Libye (avec 10.000 missions d’attaque aérienne et de forces infiltrées, les premières victimes sont les immigrés africains en Libye, qui, persécutés, sont contraints de s’enfuir. Rien qu’au Niger 200-250 000 migrants reviennent dès les premiers mois, en perdant la source de revenus qui entretenait des millions de personnes. Nombre d’entre eux, poussés par le désespoir, tentent la traversée de la Méditerranée vers l’Europe. Ceux qui y perdent la vie sont eux aussi des victimes de la guerre voulue par les chefs de lOccident. » (4)
La réalité au-delà des larmes de crocodile « La grande majorité écrit Marcelle Padovani du Nouvel Observateur, des responsables politiques ne se soucient pas de ce problème - car c’est un sujet très complexe. Nous sommes dans une période où le populisme progresse avec une montée des identités nationales. Certains dirigeants européens rêvent de faire de l’Europe « une petite Suisse protégée ». La tragédie de Lampedusa pose avec acuité le problème de l’arsenal législatif qui accompagne l’arrivée des migrants en Italie. En question : la loi Bossi-Fini, votée en 2002 pour faire plaisir à l’aile xénophobe du centre droit, elle criminalise tout candidat à l’entrée en Europe en instaurant le délit d’immigration clandestine. Elle favorise aussi la lâcheté de ceux qui croisent ces bateaux surchargés et ne leur portent pas secours : (...) L’absurde de cette situation est que ces candidats à l’expatriation qui déboulent sur le territoire italien et qui voudraient bien aller rejoindre leurs familles ou leurs connaissances dans d’autres pays, sont contraints d’attendre indéfiniment, parfois dans des conditions épouvantables, dans les Centres de permanence temporaire (CPT), des papiers qui leur permettront de circuler dans l’Union européenne. (5)
Après avoir asservi les peuples africains, les avoir dévitalisés en les pillant et en adoubant des potentats à demeure qui perpétuent un néo-colonialisme, la forteresse Europe, notamment sous la poussée des élites populistes de droite ou de gauche se barricade, et empêche ces épaves humaines d’accéder au supermarché ou ce qu’il en reste. Comme solution ; toujours les mêmes recettes : renforcer le dispositif de traque grâce à Frontex, des avions, des bateaux de guerre des marines contre des pateras.
Elle pense aussi s’entendre avec des gardes chiourmes sur les côtes africaines comme elle l’a fait avec El Gueddafi, elle pense enfin à donner des miettes pour un hypothétique à même de freiner l’arrivée des hordes chez elle.
Il est vrai qu’il n’y a pas de solution évidente, surtout que l’austérité, le chômage et la malvie commencent à envahir l’Europe. Naturellement, l’allogène est mal vu. Cela ne dédouane pas pour autant l’Europe va-t-en guerre qui a déstabilisé en démolissant les États libyen, et syrien et en s’en lavant les mains par la suite. Assurément, les valeurs de l’Europe étaient factices. Il faut espérer – encore un voeu pieux – que la Méditerranée qui a été le carrefour de tant de civilisations ne soit pas un cimetière pour les damnés de la terre et qu’elle puisse rassembler dans le cadre d’un codéveloppement qui a pour vertu ultime le partage, l’empathie, la solidarité. Les ressources existent en Afrique ; qui empêcherait une coopération win-win de l’égale dignité ? Il faut pour cela une seule petite condition que l’Europe et plus globalement se départisse de la sensation d’appartenir à la race des élus, mais à celle d’une Eve commune qui a pris son essor, justement dans la Corne de l’Afrique pour féconder les autres continents, il y a de cela quelques millions d’années. Mais cela est une autre histoire...