Désormais, il est certain que la bataille d’Alep ne se conclura pas en faveur de « l’Axe agresseur de la Syrie » et ce, en dépit de tous les moyens réunis, de toutes les énergies mobilisées, et de tous les objectifs invoqués… Mais avant de passer en revue les principales raisons qui ont conduit à cette certitude, nous nous devons de rappeler l’extraordinaire violence de l’attaque menée contre ce pays !
En termes de moyens, nous savons que le « Haut commandement des agresseurs » a mobilisé plus de 12 000 combattants armés de diverses nationalités : des syriens certes, mais aussi des arabes musulmans venus de tous les horizons ! Nous savons aussi qu’il leur a alloué ses « Experts de l’OTAN » chargés d’exercer leurs talents dans deux domaines à la fois : celui de la supervision directe des insurgés en tant que conseillers pour leurs opérations terroristes à l’intérieur des frontières syriennes, et celui de la centralisation de l’ensemble des plans d’attaque au niveau d’une « Salle des opérations » située non loin de la frontière syrienne, à Adana en Turquie, pour contrôler le cours des événements et, le moment venu, exploiter le succès ou parer à l’échec ! De plus, ces « forces attaquantes » ont été dotées d’armes, de munitions, et de matériels ultrasophistiqués pour élever leur moral et leur niveau de combat, parallèlement à une intense guerre psychologique censée atteindre le peuple syrien, son armée, et son gouvernement.
Le plan d’attaque d’Alep a été minutieusement planifié et ses concepteurs étaient persuadés de son inévitable succès… en deux temps ! En effet, ils espéraient qu’une fois que les attaquants auraient atteint le coeur de la ville, ils pourraient se répandre dans tous les quartiers et prendre d’assaut les bâtiments officiels dans un délai de 5 jours maximum. Pour cela, ils ont cru pouvoir compter sur les facteurs suivants :
1. La proximité d’Alep de la frontière turque ainsi que la présence d’un très grand nombre de combattants dépêchés dans sa proche campagne ; censées assurer des voies d’approvisionnement indéfiniment ouvertes pour nourrir la bataille en combattants, armes, équipements…
2. La non disponibilité de l’Armée syrienne occupée ailleurs, notamment autour de la bataille de Damas ainsi qu’autour des séquelles de celles de Homs et de Darra, et qui ne serait donc pas en mesure de recruter en 5 jours seulement les forces armées nécessaires à une contre offensive efficace pour protéger Alep contre « l’Armée Libre du Terrorisme US » forte de ses milliers de mercenaires égarés ou criminels ; pari tenu par le « Haut commandement des agresseurs » qui avait constaté que les unités de combat syriennes destinées à protéger le territoire syrien contre une agression israélienne n’avaient pas bougé malgré toutes les pressions exercées contre l’État syrien, qui a effectivement refusé de tomber dans le piège.
3. La volonté de vengeance et la peur de l’avenir des insurgés qui les pousseraient à un combat à mort, à vaincre ou mourir ; un état d’esprit qui a vite gagné l’ensemble de tous ces combattants sur le terrain, de leurs donneurs d’ordre, et d’autres plus hauts placés encore !
Mais des différences entre la Bataille de Damas et la Bataille d’Alep existent, et expliquent pourquoi l’agresseur a pu échapper à la force de l’État dans le second cas, contrairement au premier. En effet, à Damas :
1. Les forces militaires étaient sur place et ont pu remédier à la situation dans un bref délai… Les prises de décision et la réponse à l’attaque ont été rapides au point qu’elles ont choqué et carrément démoralisé les combattants armés.
2. Les opérations de défense se sont déroulées dans une ambiance de rejet psychologique et moral de l’attentat terroriste qui a coûté la vie à quatre dirigeants de la cellule syrienne de gestion de crise.
3. La géographie des quartiers ciblés n’a pas permis aux terroristes de tirer parti des techniques de guérilla urbaine ; ce qui a fait que l’armée a pu user de sa force militaire sans trop de risques et surtout sans faire subir de trop graves dommages aux civils innocents. Ceci explique pourquoi, à Alep, les gangs armés ont commencé par se rassembler dans les vieux quartiers historiques, densément peuplés, et y ont pris les citoyens comme boucliers humains… C’était là le meilleur moyen pour paralyser l’État et l’empêcher d’appliquer les techniques mises en oeuvre à Damas…
Mais en dépit de la considérable mobilisation des agresseurs, et malgré toutes les leçons et bénéfices qu’ils ont tirés de la Bataille de Damas, il semble que les résultats de la Bataille d’Alep soient désormais réglés à l’avantage de l’Etat Syrien ; ce qui ne nous dispense pas d’en considérer deux éléments non négligeables : la durée et le coût. En termes de durée, il est certain que l’État ne tombera pas dans le piège du « feu dévastateur » et n’appliquera pas une telle stratégie, certes rapide, mais qui provoquerait de lourdes pertes humaines et financières. Il a plutôt recours à une « stratégie de confinement et de grignotage progressif » des cellules terroristes, les unes après les autres, en cherchant à ne pas affecter les citoyens assiégés par le feu des terroristes. Quant au coût de la bataille, il ne peut être ignoré, ni en nombre de soldats et de civils susceptibles de tomber encore, ni en pertes financières dans un tel environnement où le cycle économique est nécessairement perturbé.
Cependant, comme nous l’avons dit, les résultats de la Bataille d’Alep sont désormais en faveur de l’Etat Syrien. Ceci sur la base d’observations faites sur le terrain et sur de nouveaux éléments spécifiques que nous pouvons résumer comme suit :
1. L’efficacité des forces stationnées dans Alep, et ses environs, à absorber le premier temps de l’attaque et à confiner les attaquants dans un espace ne dépassant un sixième de la surface totale [5 districts sur 29], avant l’arrivée des renforts nécessaires pour la bataille décisive.
2. La capacité des autorités syriennes à mobiliser et à renforcer les forces stationnées à Alep par des unités de combat suffisamment souples pour appliquer la « stratégie de grignotage progressif », associées à des unités de défense contre le tir nourri des agresseurs.
3. La participation des habitants, sous une forme ou une autre, à l’opération défensive de la ville ; ce qui a bien démontré que l’attaquant était le véritable agresseur venu pour occuper la région… et là … la réaction de la population a été fabuleuse, privant à jamais les terroristes de l’environnement accueillant tant espéré, malgré toutes les séductions et intimidations qui les ont précédés. Bien sûr, nous n’ignorons pas l’existence de groupes qui ont collaboré avec ces soi-disant insurgés armés, mais leur impact est resté limité en nombre, en force et en efficacité.
4. Le déséquilibre manifeste entre les forces terroristes attaquantes, et les forces militaires défensives ; un constat qui a conduit les dirigeants de l’axe d’agression à craindre puis à prévenir d’un « massacre » qui pourrait anéantir leurs attaquants dans un combat inégal avec les forces de l’ordre décidées, coûte que coûte, à les refouler hors d’Alep !
Tels sont les faits qui ont marqué la Bataille d’Alep et ses conséquences. Tout autant que leurs donneurs d’ordre, les terroristes sont donc désormais parfaitement conscients de leur incapacité à occuper Alep et à y installer leur pouvoir. C’est pourquoi ils ont adopté une nouvelle approche, celle qui leur ferait gagner du temps et surtout leur éviterait un effondrement trop rapide ; alors qu’il est évident que le gouvernement syrien a la capacité suffisante et la ferme volonté de purger la ville du terrorisme… Ce n’est qu’une question de temps… L’adoption de stratégies différentes pour Damas et Alep témoigne du professionnalisme et des précautions adoptées par les autorités syriennes pour lesquelles vitesse n’est pas précipitation, et patience n’est pas négligence !
Dr Amin Hoteit
03/08/2012
Article traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal [Biologiste]
Article original : Al-binaa
معركة Øلب : الدولة ضمنت النتائج لكن لماذا اختل٠ت عن دمشق؟
http://www.albinaa.com/index.php?option=com_content&view=article&id=66317:2012-08-02-22-05-31&catid=76:2012-02-28-11-15-22&Itemid=121
EN COMPLEMENT
http://www.la-croix.com/Actualite/S-informer/Monde/Alep-notre-ville-est-en-train-de-mourir-_EG_-2012-08-02-838202
« Alep, notre ville, est en train de mourir »
Lettre du 26 juillet 2012
« Il est 23 h 00. Ici, à Alep, il a fait durant la journée plus de 40 degrés. De loin, j’entends les tirs. Je suis dans ma chambre, en communauté.
Alep, notre ville, deuxième ville du pays, capitale économique, est en train de mourir. Elle est asphyxiée depuis plus d’une semaine. La guerre est en train de s’étendre dans les quartiers. Les gens fuient, se réfugient, errent, s’installent dans la rue, dans les jardins publics, dans les écoles, partout. Les habitants reçoivent leurs parents, les maisons sont ouvertes…
Le pain manque, l’électricité manque, l’essence manque, le lait manque, les médicaments manquent, le seul qui ne manque pas, c’est le fantôme de la guerre. Il rôde, il est partout. Une odeur nauséabonde monte des rues… La ville est encerclée de tous côtés. On risque d’être enlevé et tué. Les gens ont peur… Une peur qui déprime, qui paralyse, qui tue…
Alors, la question s’est posée, que faisons-nous ? Fuir comme tant de familles l’ont fait ? Rester sur place paralysés ? Agir ? Que faire ?
En un premier temps, nous avons choisi de continuer toutes nos activités. Nous avons lancé des projets de colonies de vacances et des activités éducatives… Mais, tout doucement, nous avons réalisé que le danger était énorme et qu’il fallait arrêter. Ce fut la décision de mardi passé : « Arrêtons nos activités. »
Mais arrêter nos activités ne veut en rien dire arrêter notre mission, c’est plutôt chercher ensemble, laïcs et frères, quelle réponse donner aux urgences. Dans le quartier de Jabal-El-Saydeh, quartier où nous travaillons depuis plus de vingt-cinq ans auprès des plus pauvres, nous avons trouvé des gens encore plus pauvres… Les déplacés !
Vers eux, nous avons couru, vers les enfants, vers les femmes et les hommes… Les jeunes ont répondu généreusement. Et c’est là que nous avons passé notre première journée.
Ils nous ont accueillis, les enfants sont sortis des trous où ils étaient cachés. Une foule… une masse. Un ballon les a animés… Ils ont joué, dansé, chanté… Chacun d’eux est une histoire qui se révélait à nous.
Une petite qui partage sa douleur d’être orpheline… Un garçon qui offre dès le premier instant un crayon à un animateur, « Habaytak », lui lance-t-il (« je t’aime »)… Une fille se transformera tout doucement grâce à une main qui ne l’a pas lâchée… Elle ose retirer ses mains qui bouchaient ses oreilles. Elle joue à la corde, elle sourit… Le cheikh (imam) vient nous remercier…
Quelqu’un demande : « Vous êtes chrétiens ? » Un vieux vient chez moi pour m’embrasser et me dire : « Choukran » (« merci »). Je ne le connais pas, je ne sais pas son nom, je ne sais pas pourquoi il m’a remercié, mais quand même le geste est posé, un pacte d’amour et de confiance est signé. Quelle dignité ! On ne se plaint pas. On remercie Allah. (…)
Une question est souvent posée : « Vous allez partir, est-ce que vous allez revenir ? » Et une confiance s’établit. Les enfants nous accompagnent à midi, quand nous les quittons. (…)
Mais les besoins pressent. En ce mois de Ramadan, mois du jeûne pour nos frères musulmans, ils sont énormes : pédiatre, médecin, médicaments, lait, couches, serviettes hygiéniques, savon, détergents, matelas, habits, nourriture…
Ils sont répartis dans deux écoles, 900 personnes entassées. Le flux ne cesse de grandir. Des familles (2 000 personnes) sont installées dans le jardin public. Ils subissent la chaleur mais ne veulent pas être casés. Peut-être rêvent-ils de se réveiller le matin pour rentrer chez eux… et pourtant, ce rêve paraît aujourd’hui lointain, sans aucun espoir d’être réalisé prochainement, si un chez eux existe encore…
Et ceux-là sont une goutte dans une mer de déplacés, de sans-logis, de laissés de côté… Mais pour nous, ils sont des noms Zeinab, Moustapha, Ali, etc. Ils sont un visage, ils sont une histoire, ils sont un regard, ils sont un poème…
Pour eux et à cause d’eux, nous risquons… Oui, nous risquons nos vies. Certains jeunes n’ont pas l’aval de leurs parents. Certains bénévoles ont organisé leur foyer pour oser un geste ! Tous, nous savons le grand risque de travailler quand les armes ne se taisent pas.
Mais un seul sourire d’un enfant n’est-il pas suffisant pour faire tomber toutes nos craintes ? »
Lettre du 2 août 2012
« Depuis notre lettre du 26 juillet, la situation sur le terrain n’a guère évolué dans un sens ou dans l’autre ; les combats se poursuivent dans les mêmes quartiers périphériques d’Alep. Dans les autres quartiers de la ville, le son intermittent des bombes qui explosent au loin, le bruit des rafales de balles sous nos fenêtres et le danger de kidnapping ou d’assassinat mettent les nerfs à bout.Entre la pénurie d’essence et la situation sécuritaire, les rues sont vides, les boulangeries n’ont plus de farine, les ordures ne sont pas ramassées, le courant et l’eau sont rationnés et chacun reste chez soi. Sauf les déplacés, qui ont quitté leurs logements souvent très modestes, abandonnant leurs maigres possessions, fuyant les zones de combat et errant dans les rues à la recherche d’un abri. Les jardins publics et les écoles sont leurs refuges. Les autorités ont ouvert une trentaine d’écoles pour loger les déplacés, mais en leur fournissant seulement le toit et laissant le reste pour des ONG.
Notre groupe, les Maristes bleus, est maintenant composé d’une cinquantaine de personnes, surtout des jeunes. Nous avons pris en charge trois écoles contiguës dans un quartier populaire d’Alep que les chrétiens alépins appellent Djabal-Al-Sayde (« la colline de Notre-Dame ») et les musulmans Cheikh-Maksoud.
A peu près 900 personnes y sont entassées, surtout des familles avec quatre à huit enfants chacune, toutes musulmanes, syriennes certes, mais d’ethnies différentes : il y a des Arabes, des Turkmènes, des Kurdes et beaucoup de Kourbates (les Roms). Notre action se situe à plusieurs niveaux.
D’abord, assurer le logement : matelas, serviettes, eau potable… Puis la nourriture : l’iftar (le repas pris après le coucher du soleil, puisque nous sommes en plein Ramadan) pour les adultes et les trois repas pour les jeunes, le lait pour les nourrissons…
Ensuite, l’hygiène : installations sanitaires, propreté des lieux, des toilettes… Puis la santé : nous avons ouvert une antenne médicale avec de jeunes médecins qui font un roulement pour soigner les malades et surtout leur fournir les médicaments gratuitement.
Il ne faut pas oublier que ces personnes ont quitté leur domicile avec les seuls habits qu’ils portaient sur eux. On essaye de leur fournir des vêtements, surtout pour les bébés et les enfants. Enfin et surtout, nous nous occupons des enfants. Nous essayons de leur faire oublier la guerre et leur misère. Vingt-cinq jeunes Maristes bleus se relaient matin et soir pour les faire jouer, les distraire et occuper le temps très long par des activités éducatives.
Tout ce que nous faisons ne vaudrait rien si notre équipe n’était pas animée par des valeurs communes : le respect de l’autre, le traiter en frère et non en bénéficiaire d’aide, l’humilité, les relations simples qui rendent à l’autre sa dignité, l’accompagnement des enfants et l’abandon de toute forme de paternalisme.
En retour, nous sommes payés par le sourire revenu sur le visage des enfants et par le regard fraternel des adultes (…) ; c’est pour nous le meilleur témoignage. »
Le groupe mariste d’Alep