Le camp des agresseurs de la Syrie ayant pressenti les dangers de son échec sur le terrain, s’est tourné une fois de plus vers les manœuvres politiques et militaires censées limiter ses pertes en attendant de transformer l’essai. Pour ceci il a travaillé sur plusieurs niveaux :
I. La date retenue pour la future session des « pourparlers entre Syriens »
L’Émissaire spécial des Nations Unies, M. Staffan de Mistura, s’est obstiné à ce que cette date coïncide avec celle fixée pour les élections législatives en Syrie le 13 AVRIL 2016, en dépit du fait que la délégation syrienne l’en avait prévenu suffisamment à l’avance. Un comportement cherchant visiblement à pousser la délégation syrienne à refuser d’y participer pour ensuite lui reprocher de retarder ou d’« empêcher les négociations » [1].
II. Le document rédigé par De Mistura en prévision de la future session
La rédaction de ce document en 12 points, censé servir de base aux discussions et remis aux délégations autorisées à participer aux pourparlers, dissimule à peine la volonté de contourner la résistance et les victoires syriennes, ainsi que les droits des Syriens. Quelques remarques pour qui voudrait l’examiner de plus près [2] :
1. Une Syrie désarmée :
« 1. Par respect de la souveraineté, de l’Indépendance, de l’unité et de l’intégrité territoriale de la Syrie, aucune partie du territoire national ne doit être cédée. En tant que partie intégrante de la nation arabe, la Syrie est engagée dans un rôle actif et pacifique au sein de la communauté internationale. En tant que membre fondateur de l’ONU, la Syrie est dévouée à sa charte, à ses buts et principes. Le peuple syrien demeure engagé à récupérer les hauteurs du Golan occupé, par des moyens PACIFIQUES ».
Autrement dit, une vision de la Syrie future comme un État démilitarisé qui ne devrait pas recourir à la force même en cas de légitime défense, pour récupérer ses droits face à Israël ayant annexé illégitimement le Golan et à tous ceux qui pourraient encore violer son territoire et menacer son unité.
De Mistura insiste donc pour que la Syrie s’engage à adopter un rôle pacifique sans distinguer les situations, allant jusqu’à confier la libération du Golan occupé à « la politique », abstraction faite du droit des peuples à la résistance en vertu du droit international et de la Charte des Nations Unies. C’est là un premier service rendu à Israël ; sinon, comment comprendre pourquoi il a glissé le Golan dès ce premier point ?
2. Une Syrie prétendument sectaire
« 4. Il n’y aura pas de discrimination mais une pleine protection de toutes les identités nationales ethniques, religieuses, linguistiques et culturelles ».
Autant de composantes citées dont De Mistura aurait la bonté de se soucier, comme si la Syrie était un assemblage temporaire d’ethnies et de religions, lesquelles n’auraient pas réussi à fusionner en seul peuple dans un même État depuis la nuit des temps ; ce qu’il évite de rappeler, ouvrant ainsi la porte au modèle confessionnel libanais ou au modèle ethnique et confessionnel en Irak, importé par l’invasion américaine pour aboutir à sa partition et empêcher la reconstruction d’un État national fort de son unité, de son indépendance et de sa souveraineté. Et c’est le deuxième service rendu à Israël.
3. Une Syrie prétendument misogyne
« 5. Les femmes doivent disposer de l’égalité des droits et d’une représentation minimale de 30% dans toutes les institutions et les structures de prise de décision pendant et après la transition ».
Un intérêt opportuniste pour le rôle des femmes dans la vie politique syrienne, comme si la Syrie l’ignorait ainsi qu’il en est en Arabie saoudite, par exemple. Nous y voyons une manœuvre hypocrite et malveillante contre le système politique syrien mis en place depuis 46 ans sur une base d’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines, les femmes occupant des postes de responsabilité en politique [Madame Najah al-Attar est vice-présidente de la République arabe syrienne depuis 2006, NdT], dans l’administration, la Justice et les Forces armées…
4. Une Syrie bloquée au stade du Communiqué de Genève 1
« 6. Conformément à la résolution 2254/2015 du Conseil de sécurité, la transition politique en Syrie doit inclure les mécanismes d’une gouvernance crédible, inclusive et non-sectaire, un calendrier et un processus d’élaboration d’une nouvelle Constitution, des élections libres et équitables en vertu de la nouvelle Constitution, sous la supervision des Nations Unies à la satisfaction de la gouvernance et conformément aux normes internationales les plus élevées en matière de transparence et de responsabilité, avec la participation de tous les Syriens éligibles, y compris les membres de la diaspora ».
Une transition politique et un gouvernement transitoire retenant presque exclusivement le Communiqué de Genève 1, comme le dictent les États-Unis et leurs affidés ; ce qui nous incite à penser que pour De Mistura le temps s’est arrêté le 30 juin 2012 et qu’il lui est impossible d’intégrer les détails de tous les documents internationaux ayant suivi et mené aux pourparlers actuels de Genève 3, notamment les Déclarations de Vienne 1 du 30 octobre 2015 et de Vienne 2 du14 novembre 2015 [3] et même de la résolution 2254/2015.
5. Une Syrie qui abandonnerait la Résistance
« 9. La Syrie rejette catégoriquement le terrorisme et s’oppose fermement aux organisations et individus terroristes identifiés par le Conseil de sécurité de l’ONU et s’engage dans un effort national, en partenariat international, à vaincre le terrorisme et à en traiter les causes. Conformément aux résolutions appropriées de l’ONU, la Syrie appelle tous les États à empêcher les groupes terroristes de recevoir armes, argent, formation, protection, refuges et renseignements et à ne pas inciter à des actes terroristes.
10. Les Syriens sont engagés à la reconstruction d’une armée nationale forte et unifiée et, après désarmement, à l’intégration des membres des groupes armés soutenant la transition et la nouvelle Constitution. Cette armée professionnelle doit protéger les frontières et la population de l’État contre les menaces extérieures, conformément au principe de la primauté du droit. L’État et ses institutions réformées exerceront le droit exclusif du contrôle des armes de guerre. Il n’y aura pas d’intervention de combattants étrangers sur le sol syrien ».
Partant de là et étant donné que les États-Unis ne respectent pas les critères objectifs de définition du terrorisme, la résistance finit par passer pour du terrorisme tandis que le terrorisme devient une « opposition armée ».
Par conséquent, si la Syrie future qu’ils voudraient façonner à leur guise a officiellement la charge de combattre le terrorisme alors que des agents des États-Unis seront à des postes clés au sein de leur fameux « gouvernement de transition », il y aura nécessairement confrontation entre la Syrie et la Résistance.
C’est ainsi que le document de De Mistura aura réglé le problème du soutien de la Syrie à tous les mouvements de résistance officiellement et officieusement, jusqu’à l’amener dans le camp opposé pour les combattre. Et c’est encore un service rendu à Israël.
III. La primauté accordée aux opposants du « Groupe de Riyad »
« Ayant à l’esprit l’objectif consistant à réunir l’éventail le plus large possible d’éléments de l’opposition, choisis par les Syriens, afin qu’ils décident de ceux qui les représenteront dans les négociations et définissent leurs positions de sorte que le processus politique puisse commencer, prenant note des réunions qui se sont tenues à Moscou et au Caire et des autres initiatives allant dans le même sens, et notant en particulier l’utilité de la réunion qui s’est tenue à Riyad du 9 au 11 décembre 2015, dont l’issue a contribué à la préparation des négociations sur un règlement politique du conflit devant se tenir sous les auspices de l’ONU, conformément au Communiqué de Genève et aux Déclarations de Vienne, et attendant avec intérêt que l’Envoyé spécial du Secrétaire général pour la Syrie mène à bonne fin les démarches nécessaires à cette fin… » [4].
Ici, De Mistura a failli à une bonne partie de sa mission, reprécisée dans cette Résolution 2254, laquelle consistait à réunir l’éventail le plus large possible d’éléments de l’opposition, choisis par les Syriens, en ne retenant que la prétendue représentativité de la délégation du « Groupe de Riyad », choisie par l’Arabie saoudite, laquelle compte des terroristes notoires dans ses rangs.
Ce faisant, il n’a fait que plier devant la volonté du camp des agresseurs, lesquels n’ont cessé de souffler aux membres de cette délégation leurs conditions préalables aux pourparlers, inacceptables pour les Syriens, afin de les mettre au pouvoir en passant outre la Constitution et les autorités légitimes qui dirigent le pays et respectent les règles et les échéances électorales prévues par cette Constitution.
IV. Les provocations sur le terrain militaire
À ce niveau, le camp des agresseurs a joué sa carte la plus meurtrière et la plus dangereuse en violant l’accord de « cessation des hostilités », en faisant usage d’armes chimiques et en introduisant sur le terrain de nouvelles armes qualitatives ; ce qui suggère son intention délibérée de pousser la Syrie à la riposte afin d’interrompre le processus politique et d’échapper à ses implications tout en lui faisant porter la responsabilité de l’interruption des pourparlers.
D’où les vastes attaques des groupes terroristes sur plusieurs secteurs tenus par l’armée arabe syrienne au sud et à l’ouest de la ville d’Alep avec invasion de la ville d’Al-Aïs, suivies de l’assaut contre l’aéroport de Deir ez-Zor [à l’est de la Syrie et à 286 Kms d’Alep] et de Dumeir [40 Kms au nord-est de Damas] , avec utilisation de gaz moutarde et de chlore et de missiles sol-air ayant abattu un avion militaire syrien.
Tout cela a bien eu lieu sans aucune réaction d’indignation de la part du camp occidental, ce qui confirme que ces opérations ne sont pas circonstancielles, mais entrent dans le cadre d’un plan visant à mettre la Syrie face à deux choix :
- soit elle accepte le fait accompli et admet sa faiblesse, laquelle pourra être exploitée à l’avantage des agresseurs sur la table des négociations ;
- soit elle riposte et devra assumer la responsabilité de la reprise des hostilités et du blocage des pourparlers de Genève 3.
V. Le choix de la Syrie et de ses alliés
La Syrie et ses alliés ont adopté une position médiane consistant à riposter fermement sur le terrain militaire, souplement sur le terrain politique, en ne cédant ni sur les résolutions adoptées ni sur le respect de la Constitution syrienne :
- Maintien des élections législatives à la date prévue avant de rejoindre les pourparlers de Genève le surlendemain.
- Absence de tout commentaire en réponse aux provocations politiques. Durant ces pourparlers, il sera toujours temps de répondre au document de De Mistura en lui rappelant que la Syrie qui s’est battue cinq longues années pour défendre son unité, l’unité de son peuple, son indépendance et ses droits d’État souverain, ne cédera pas sur le terrain politique ce que le camp des agresseurs n’a pas réussi à obtenir sur le terrain militaire, comme elle ne cédera pas sur les sujets nationaux essentiels qu’elle considère non négociables depuis 2003.
- Réponse adaptée aux provocations militaires des agresseurs via les terroristes comme dans la région d’Alep [5] : riposte ferme et préparation à la bataille contre les terroristes reconnus comme tels et tous les autres groupes armés qui ont profité de l’accord de cessation des hostilités pour commettre des crimes de guerre.
Amin Hoteit
Le Docteur Amin Hoteit est libanais, analyste politique, expert en stratégie militaire, et Général de brigade à la retraite.
11/04/2016
Source : Al-Thawra [Syrie]
http://www.thawraonline.sy/index.php/name-from-news-2/98091-2016-04-11-06-29-40
Article traduit par Mouna Alno-Nakhal