Sujet alter : De la multitude au peuple-classe.
Construire un grand Sujet serait retomber dans le paradigme trop collectiviste, celui du passé avec son Prolétariat, sa Classe ouvrière, voir la Nation, etc. Avec Philippe Corcuff (2004) et plus récemment avec les co-auteurs du livre sur "capitalisme contre individualité" on sait qu’il importe de ne pas abandonner l’individu au profit du collectif. Faut-il pour autant abandonner les références collectives ? Sans doute pas. Faut-il alors adopter des formules qui tentent le mixage ?
* Que conserver de la multitude ?
Pour envisager le collectif qui respecte l’individu, le post-modernisme d’Empire a adopté le terme de "multitude", sorte de fraction agissante de l’humanité-classe marquée par le postnational et par l’hétérogénéité Il l’a fait dans un cadre théorique précis concernant l’évolution du travail - un cadre contesté - mais surtout en oubliant que les Etats-nation ne sont pas morts et qu’une classe fondamentale et dominante continue de se construire en soi et pour soi contre le peuple-classe. Le concept de multitude semble bien laisser un vide avec ce qui n’est pas agissant dans le peuple mais qui est susceptible de l’être sous toutes les formes de résistance.
Il faut dire qu’une fraction du mouvement altermondialiste opposé au mouvement ouvrier traditionnel a largement repris l’idée sinon la terminologie de multitude qui permet de juxtaposer sans hiérarchiser toute la palette des groupes contestataires du moment. Mais Michael Hardt et Tony Négri reconnaissent qu’il s’agit d’un concept par défaut. Ils écrivent : "D’un point de vue scientifique, c’est un concept sans doute encore primaire que je lance pour voir s’il fonctionne."
En fait la multitude est un concept adapté à la logique des réseaux. On peut dire alors que la multitude sont les activistes sans appartenance organisationnelle reliés par le web et autres réseaux sociaux. La multitude n’est pas alors tout à fait "l’humanité-classe" et encore moins le peuple-classe notions plus objectivistes, plus définies par les politiques de classe subies à divers niveaux de territoires. Le peuple-classe est certes rarement sujet (1). Mais, il n’est fréquent qu’il soit objet d’attaques de la bourgeoisie, classe actuellement dominante dans quasiment tous les pays du monde.
* Le peuple-classe en France et en Europe.
Si l’on prend en considération la réforme des retraites en France initiée par Sarkozy-Woerth on voit qu’il n’y a pas que les travailleurs salariés du privé et du public qui sont frappés. Les travailleurs indépendants qu’ils soient paysans, artisans ou commerçants n’ont rien à attendre de bon de cette réforme. C’est un fait objectif qui est masqué par l’absence de visibilité de l’action de leur syndicat spécifique et par absence de tentative de convergence avec les syndicats de salariés mais cela demeure un fait objectif.
Au plan européen le sens d’une attaque a pris forme sous le nom d’austérité suite à la crise de la dette en Grèce et par effet domino dans d’autres pays européens ( les PIGS : Portugal, Irlande, Grèce, Espagne). Une classe dominante est perceptible désormais au plan européen. Elle articule les instances financières internationales et les classes dominantes de chaque pays. Elle s’appuie sur une Union européenne plus taillée sur mesure pour les marchés que pour les peuples-classe. Ces politiques d’austérité pour différentes qu’elles soient sont clairement menées contre les peuples-classes de divers pays . Le top niveau du salariat n’est pas frappé par les restrictions bien au contraire par contre l’impact de ces mesures porte au-delà des travailleurs salariés privé ou public.
Le peuple-classe n’est donc pas pertinent comme concept que pour les formations sociales du Sud du fait d’une composante paysanne plus importante comme il a été dit lors de l’Université d’été d’ ATTAC 2010. Et la question de son usage (plutôt comme sujet ou comme objet ou l’un et l’autre) n’enlève en rien la pertinence du concept.
* Le peuple-classe pour une politique de classe.
Ce qui importe désormais c’est la capacité pour la gauche politique comme pour le mouvement social à montrer l’intérêt de s’unir, de s’allier, de converger malgré les différences d’appréciation. Toutes les couches sociales ne sont pas frappées pareillement. Certains cadres aisés sont prolétarisés du fait du chômage et des individus-prolétaire qui voyaient leur situation matérielle s’améliorer au moment du passage en "sénior" ( 55 ans ) sous l’effet de la carrière se trouvent brutalement paupérisés par les licenciements. On voit que les individus insérés peuvent être déclassés plus ou moins durement selon les atteintes portées aux "supports sociaux" de la personne.
L’altermarxisme pour organiser la riposte combine l’usage de la référence aux rapports de classe classiques dans la production mais il ajoute le facteur stratificationniste sous la formule du rapport (encore) au marché (la solvabilité). La marchandisation du monde qui ne connait que les solvables amène à reconnaitre aussi les prolétaires dans la sphère de la circulation marchande et non pas seulement les prolétaires dans la production (ceux et celles qui vendent leur force de travail pour vivre). Les prolétaires dans la sphère de l’accès aux biens et services marchands sont celles et ceux qui épuisent leur revenus en fin de mois (2).
Christian Delarue
1) Le sujet altermondialiste.
http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article1216
2) La barre est variable en France selon la composition de la famille . Cela va grosso modo de 2600 euros par mois (2 X le SMIC) pour un individu en couple à 3200 euros pour une femme seule avec des enfants sans pension alimentaire ou pour une famille avec un seul revenu. Au-dessus l’individu n’est pas nécessairement riche. De multiples facteurs entrent en jeux pour évoquer une couche sociale aisée.