"En pénétrant sous le morceau de plafond en délabrement de ta mosquée, autrefois sainte et pour les prosternations, que je foulais à présent en homme qui simplement veut voir, je sentis une brusque chaleur dans ma poitrine, un mouvement de mon coeur."
Michel Vieuchange à Smara - Sahara Marocain (1)
C’était la "Guerre Froide" .
Et, je survolais le désert…
Dans un petit bimoteur à hélice, un Piper Navajo.
Fasciné.
Pas une trace de végétation. Quelques bouquets d’épineux parfois, autour d’une trace d’eau, un puits, peut-être. D’immenses étendues de pierres, de rochers, alternant avec drapés et crêtes de dunes.
Gigantesques, dessinant des courbes majestueuses dans la violence de l’aridité, des méandres, de ce qui avait dû être des fleuves glissant vers la mer au cours des millénaires, au travers de végétations luxuriantes peuplées d’oiseaux, gazelles, singes et lions. A présent à sec, tel un paysage envoyé d’une des sondes de la planète Mars.
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Partis d’Anfa, nous avions fait escale à Goulimine, Tan-Tan, Tarfaya, Laâyoune, nous dirigeant vers Smara.
Bien sûr, je pensais à St-Ex et ses copains de l’aéropostale, traçant les premières routes aériennes vers Dakar, dans la même région, puis franchissant l’horizon de l’Atlantique, vers Rio et la Cordillère des Andes.
Aux commandes, hors pair, un américain passionné de pilotage. Il avait traversé le Groenland, survécu à tempêtes et crashs. Un joyeux drille. Astrophysicien diplômé de l’Université de Cornell, c’était un spécialiste des quasars. En année sabbatique, pour sortir la tête de ses galaxies, il louait ses services. Ne parlant pas un mot de français, qu’il considérait comme une langue morte. C’était son humour… En représailles, je le traitais d’extraterrestre analphabète. On s’aimait bien.
Tout jeune, j’accompagnais dans ce voyage, quatre ou cinq vieux briscards, baroudeurs des TP en "conditions extrêmes" . De ceux capables de vous construire une route, un aérodrome, entre la poire et le fromage, dans n’importe quel continent, sous une pluie tropicale, dans des vents de sable, ou une grêle d’obus. Ils avaient pour unique credo : vitesse d’exécution. Problème, j’exagère à peine : ils n’avaient aucune notion des coûts de revient.
J’étais là pour rappeler, discrètement, ces nécessités. Dérisoires, face aux impératifs du Temps. Autant dire que j’étais un végétarien égaré chez des cannibales. Ils me détestaient. L’empêcheur de tourner en rond. Mais, je les comprenais. Ils n’étaient pas maîtres du "coût final" … J’admirais leur courage, leur ardeur à la tâche. De grands professionnels.
Ce sont eux qui ont "animé" les travaux de construction de l’aérodrome d’Atar, en Mauritanie. Autre désert. J’avais été envoyé aux USA pour finaliser un achat d’engins de TP destinés à ces travaux, parmi les plus gros sur le marché. En particulier, des D9. Le plus difficile avait été de trouver un bateau qui veuille bien faire escale au port mauritanien de Nouadhibou, pour livrer ce matériel qui devait, ensuite, emprunter la voie ferrée jusqu’à Choum, puis de là , par un épique cheminement terrestre arriver au chantier.
Le port n’étant pas équipé, à cette période, de moyens de levage assez puissants pour décharger ces engins, ce fut la tournée des armateurs de New York. Trouvant, enfin, un bateau qui accepte un détour vers la Mauritanie, équipé de ses propres grues pour déposer les engins sur le quai. La routine.
Le losange et la baguette de pain
Cette expérience a été l’occasion de mes premiers pas en géopolitique.
Pas la poudre aux yeux, qu’on enseigne, ou les "cartes" biseautées de la désinformation qu’on affiche dans les médias. Observant, sur le terrain, dans les coulisses, les jeux et enjeux, entre grandes et moins grandes puissances. Le plus souvent, stupides, cruels. Pour une poignée de dollars, d’orgueil, d’obscurantisme, d’infantilisme…
Pourquoi cette irruption d’aérodromes, à construire, rénover, allonger, renforcer, doubler, dans le désert, aussi soudaine qu’une crise d’urticaire ?...
Une guerre venait d’éclater.
Fratricide.
L’Algérie, alliée à la Lybie, attaquait le Maroc. Par surprise. Instrumentalisées, dans cette partie de bras de fer obsessionnellement imbécile, entre deux nomenklaturas planétaires idéologiquement antagonistes : Ouest et Est…
L’Espagne, Franco agonisant, venait de "rétrocéder" le Sahara Marocain qu’elle occupait, malgré une longue résistance armée du Maroc qui a duré de 1884 à 1937. A l’exemple d’autres pays colonisateurs, ignorant pendant des années les injonctions de l’ONU. Du temps où l’ONU avait encore un semblant de respectabilité. Notamment sa résolution 2072, du 16 décembre 1965, lui imposant de prendre les mesures :
« … immédiates et nécessaires pour la libération des territoires sous administration coloniale de Sidi Ifni et du Sahara Occidental… »
Immédiates et nécessaires…
Car, France et Espagne avait découpé le Maroc comme une baguette de pain. En 1900, puis 1904. Du nord au sud.
En tranches alternées : une tranche du nord pour l’Espagne correspondant aux provinces du Rif, une tranche au centre pour la France accaparant les meilleurs terres agricoles et les mines, la suivante pour l’Espagne avec la portion du Sahara dit Occidental ou en espagnol Rio de Oro, plus au sud, la dernière tranche du Sahara marocain pour la France qu’elle a érigée, par la suite, en Etat indépendant : la Mauritanie.
Et, encore avait-il fallu calmer l’Allemagne qui estimait que le Maroc lui revenait en tant que colonie, dans son intégralité !... La Conférence d’Algésiras en 1906 avait calmé son empereur, avec le renfort des Anglais qui commençaient à s’inquiéter des appétits germaniques. Il en était reparti avec des lots de consolation : Togo, Cameroun, Tanganyika, une partie du Congo, etc. Des trocs de prédateurs, suivant <a href=
"http://stanechy.over-blog.com/article-18658527.html">l’usage des moeurs diplomatiques entre « grandes puissances ».
L’Empire Almohade
Le Maroc présentait, en effet, une réalité plus qu’enviable pour les puissances coloniales par sa situation géographique, sa civilisation et ses traditions, ses richesses agricoles, halieutiques et minières, son potentiel. Depuis des siècles, sous l’appellation d’Empire Chérifien, avec son administration directe, ou autonome selon un système d’allégeance renforcé par des liens matrimoniaux, il s’étendait de la Méditerranée au fleuve Sénégal et même au-delà , dont une partie du Mali actuel. Toutes ses prestigieuses dynasties n’ont-elles pas le Sahara pour berceau ?...
Son voisin, l’Algérie, avant la colonisation française, vivait depuis le début du XVI° siècle sous suzeraineté de l’Empire Ottoman. Cette prospère province ne s’étendait pas au Sahara qu’on lui connaît à présent. Les cartes historiques établies lors de la plus grande extension de l’Empire ottoman (1683-1699) en attestent. Les Ottomans ne s’intéressaient qu’aux riches régions agricoles et commerçantes, réservoirs de soldats ou de contributeurs fiscaux fiables.
C’est la colonisation française qui a apporté le Sahara actuel à l’Algérie, en dépouillant les parties sahariennes de ses voisins, Maroc et Tunisie (les champs pétroliers d’Hassi Messaoud devraient être Tunisiens), y rajoutant les immenses territoires indépendants des ethnies Touaregs. En fait, authentiques détenteurs des
richesses pétrolières et gazières de la région dont ils sont spoliés et oubliés (2).
Traçant ainsi, il suffit de regarder une carte, un colossal "losange" à son avantage, dans ce que la France pensait être des départements et territoires français pour l’éternité… Pourquoi se gêner quand on est en position de force ?...
Un exemple : le 15 mars 1900, partie d’Aïn Salah une colonne française de 1500 hommes, avec deux canons, massacrèrent, dans une orgie sanguinaire, les populations marocaines des oasis de Touat (entre 500 et 600 personnes) avant de rattacher ces régions à l’Algérie : Gourara, Tidikelt, Sbaa, plus tard Tindouf.
Autre exemple : la France s’emparant des mines de fer du Sahara Marocain de Zouerate, M’Haoudat, El Rhein, F’derik, qu’elle rattacha à la Mauritanie. Regardez le tracé de la frontière entre Sahara Marocain et Mauritanie : de rectiligne, en escalier, il évolue en demi-cercle pour englober les bassins miniers…
Le Sahara dans son ensemble, de l’Atlantique à la Mer Rouge, représente 10 millions de KM2. Seuls deux endroits font l’objet d’une campagne médiatico-politique "d’indépendance" , de la part de certains lobbies. Bizarre. Le Darfour, au Soudan, mais là c’est plus que facile à comprendre puisqu’il s’agit, pour les pays occidentaux, de s’approprier les immenses gisements d’uranium. Mais, le Sahara marocain ?...
Je cherche à comprendre…
A ce moment là , il convient pour les "zélotes de l’Indépendance" d’être cohérents et de lutter pour "la libération" de toutes les ethnies du Sahara dans une balkanisation, une libanisation, ou une fédération, de ces populations en redessinant Mauritanie, Mali, Niger, Tchad, Soudan, Lybie, Egypte, etc. A commencer par le Sahara Algérien…
Pourquoi pas ?... On pourrait, par exemple, définir un pays en regroupant les populations parlant la langue mère de tous les dialectes Touaregs : le Tamacheq. Les Kel Ahaggar, les Kel Ajjar d’Algérie ont plus de points communs avec les Kel Aïr ou les Kel Gress du Niger, ou encore les Kel Achar ou les Iullemmeden du Mali qu’avec les paysans de la Mitidja ou les montagnards de Kabylie…
Subitement, là : silence !...
Alors que le Sahara Marocain fait l’objet d’un acharnement curieux de la part de l’Algérie (la Lybie a fini par quitter la partie …), ni gaz, ni pétrole, même réduit à sa portion congrue par la colonisation européenne dont elle a bénéficié des "plus gros morceaux" …
Empire Ottoman à son apogée
Et pourtant c’est un tas de ruines que, de mauvaise grâce, les espagnols rétrocédaient au Maroc… Pas de quoi être envieux !...
Quand les espagnols sont arrivés, le Sahara Marocain vivait en équilibre harmonieux avec ses voisins, dans des échanges commerciaux par les grandes routes caravanières, allant des villes impériales marocaines et des riches régions agricoles du Souss Massa jusqu’aux fleuves africains. Une zone tribale certes, mais prospère et vitale pour le commerce entre Afrique méditerranéenne et sub-saharienne.
Le colonisateur espagnol n’était pas intéressé par ce commerce séculaire entre pays dont il n’avait aucun contrôle. Trop aride pour y fonder une colonie de peuplement s’appropriant les meilleures terres, aucune richesse minière facilement exploitable, nous n’étions pas au Pérou, il en a tout simplement fait une plateforme de contrebande. Pour écouler les produits de son industrie à travers l’Afrique. Tout, jusqu’aux casseroles et, plus tard, la bassine en plastique. "Tout" , sauf, les armes, évidemment.
Cassant l’essor économique de la région en bouleversant les circuits d’échanges, la précipitant dans la paupérisation, car ses marchandises n’acquittaient aucun droit de douane, ni taxe. De plus, à des prix de dumping, cette contrebande tuait dans l’oeuf toute émergence d’une petite et moyenne industrie locale dans les pays inondés de ses produits auxquels, s’ajoutaient ceux du colonisateur français ou anglais.
C’était une chasse gardée de l’armée espagnole, qui y entretenait le minimum d’infrastructures. Vivant confortablement, du moins sa hiérarchie, je parle évidemment des galonnés vivant dans les dorures des palais madrilènes, avec leurs copains industriels, soutenus par leurs politiciens et médias ripoux. Nullement gênée d’installer la misère, jouissant du partage de la contrebande entre commerçants des Iles Canaries et chefs de tribus "au service de l’Espagne", chargés du transport.
Un pays laissé à l’abandon, pratiquement sans route, ni écoles, universités, hôpitaux, dispensaires, centres de formation. Ils n’avaient même pas formé un télégraphiste ou un mécanicien. Rien. Du pur bénéfice pour les "patrons" de ce système mafieux.
Evidemment, la « rétrocession du Sahara » au Maroc perturbait un fructueux trafic …
Du sang dans le sable
Soudain, au moment où le Maroc, mobilisant ses meilleurs cadres, ingénieurs et techniciens, s’employait à redresser la situation désastreuse laissée par le colonisateur, apparurent des colonnes infernales, surgissant, déferlant, avec une puissance de feu inimaginable. Semant la mort et la désolation.
Visiblement, une action longuement, minutieusement préparée. Des colonnes de centaines de pickups Toyota 4x4 tout terrain, militarisés, dotés d’un équipement ultramoderne, télécommunications, mitrailleuses de gros calibre, mortiers lourds, missiles antiaériens, missiles antichars.
Maîtriser pareil équipement suppose une longue formation, une coordination de grande fiabilité, une organisation logistique de haut niveau : approvisionnement en continu de munitions, pièces détachées et pneumatiques, eau, carburant, etc. En cumul, des milliers d’heures d’entraînement. En matériel, des dizaines de millions de dollars.
La planification opérationnelle d’actions d’un tel niveau d’intensité, repérages, choix des objectifs, agencement des moyens, implantation des dépôts-relais, demande des mois de conception et d’études. Lancer une telle guerre dans le désert représente au minimum : cinq années de méticuleuses préparations. Seules des armées professionnelles, adossées à des budgets considérables, peuvent maîtriser cet ensemble de paramètres.
Officiellement, ce n’était pas une guerre. Dans ce désert de cailloux et de sable, c’était le "mouvement de libération" d’une population se soulevant contre une invasion marocaine… Version des médias et politiciens aux poches bourrées de pétrodollars. Dans le jargon des traîneurs de sabre, on appelle cela une guerre "proxy" : par procuration, sous un masque, le pyromane se déguisant en pompier...
J’ai des souvenirs qui me hantent.
Comme cette équipe d’entretien d’une route ensablée par les vents entre Tan-Tan et Tarfaya, pourtant partie sud du Maroc non contestée par les voisins, dont on n’a plus retrouvé trace. Sauf des camions brûlés, criblés de balles et une niveleuse, la cabine du conducteur, déchiquetée, maculée de sang. Les trous dans les tôles épaisses montrant qu’on avait tiré sur un engin civil avec une arme de guerre lourde de type mitrailleuse. Les commandos algéro-libyens avaient emmenés avec eux, mêmes les corps des tués. Repartis, leur forfait accompli de l’autre côté de la frontière. Qui était vivant ou mort ?...
Il se trouve que le DRH de cette entreprise marocaine était Algérien. Les familles venant lui réclamer le corps de leurs parents, ou des nouvelles, je voyais dans son regard qu’il pleurait de rage silencieuse devant cette tragédie enfantée par des politiciens voyous.
Car, des Algériens travaillaient en paix au Maroc. Occupant souvent des postes de responsabilité, mariés avec des marocaines pour certains. Alors que tous les Marocains venaient d’être expulsés d’Algérie pour cause de « solidarité dans la lutte pour l’indépendance du Sahara », son gouvernement fermant hermétiquement la frontière. Obligeant ainsi des familles, pour se réunir, à transiter par la France ou l’Espagne…
Un autre souvenir : Bir Anzaran.
Pas une ville, au Maroc, qui n’ait une avenue ou une place portant ce nom. Chargé d’émotion, de respect, de symbole. Dont on ne parle jamais, parce qu’il est inscrit dans le coeur de chacun.
A une centaine de km de Dakhla. Un matin du 14 novembre 1979, plusieurs colonnes composées de centaines de véhicules, on en a dénombré 500, encerclent la petite garnison. A 6 combattants en moyenne par pickup cela représente 3000 hommes. La garnison s’est battue pendant des heures, sans possibilité de renfort. A court de munition et au corps-à -corps, le chef de la garnison, avant de détruire sa radio et ses codes, a demandé aux mirages de l’Armée de l’Air Marocaine de bombarder ses retranchements plutôt que de se rendre.
L’héroïsme de ces hommes a marqué un coup d’arrêt à ces agressions d’envergure. Et, accéléré la réactivité du pays soumis à des attaques aussi cruelles qu’injustes.
C’était oublier que le Maroc, s’il bénéficie d’excellents agriculteurs, artisans et maçons, possède parmi les meilleurs officiers et hommes de troupes, ingénieurs et cadres. Au moment de l’attaque de son territoire, le Maroc était un des Etats qui avait le budget de défense parmi les plus faibles par rapport à son PIB.
Il fallut acheter du matériel militaire qu’il n’avait pas, du moins en quantité suffisante pour faire front à l’énormité de l’assaut qui lui était livré, notamment des hélicoptères, blindés, missiles et toute la quincaillerie qui va avec. Première conséquence néfaste imposée par toute guerre : investir dans l’armement ce qu’on devrait affecter au développement.
Mettre rapidement un terme aux ballades sanguinaires des colonnes infernales, se déplaçant impunément à travers sable et rocaille, était tout aussi urgent. Elles avaient même occupé pendant une journée la ville de Tan-Tan, bombardé Laâyoune avec du calibre 120mm…
La solution était simple, personne ne l’a soufflée, ni proposée au Maroc. Connue dans l’histoire musulmane, elle se trouve dans la célèbre bataille dite du Fossé, en 627, lorsque la communauté refugiée autour du Prophète dans l’oasis de Médine était menacée d’extermination par l’arrivée imminente d’une armée Mecquoise de plus de 10.000 hommes dotée d’une puissante cavalerie : on construisit un fossé avec un remblai, là où il n’y avait pas de rempart.
Le Maroc édifia donc un "mur" , de terre, de pierre et de sable. Seule différence, avec l’époque médinoise, c’est qu’on l’équipa d’électronique de détection, radars et autres appareillages extrêmement coûteux.
Si mes souvenirs sont bons, la "facture électronique" était de 200 millions de dollars. Qui alla dans les caisses de l’américain Westinghouse. En actualisant, en dollars constants, cela fait très, très cher. C’est l’Arabie Saoudite qui paya, dit-on. Exact et faux, à la fois. Peut-être a-t-elle sortie le chéquier, car il fallait faire vite. Mais, dans ce jeu de poker, tout se paye, tôt ou tard, sous une forme ou une autre…
En fait, ce sont 6 murs que le Maroc construisit entre 1982 et 1987. Le temps qu’ils deviennent opérationnels, pour parer à toute attaque surprise de grande envergure, tout particulièrement les regroupements nocturnes de colonnes de véhicules, la France prêta quelques avions d’observation non armés.
Séjournant à Dakar, je voyais décoller les Breguet Atlantic de l’Aéronavale française, en début de soirée, pour patrouiller la nuit au-dessus du Sahara Marocain, surveillant d’éventuelles colonnes motorisées se dirigeant vers leurs points de rassemblement. Spécialisés dans la lutte anti-sous-marine, leurs moyens de détection leur permettaient de repérer les émissions infrarouges émises par les pickups armés. Alertant leurs contacts. Les régiments mécanisés marocains, extrêmement efficaces et bien équipés à leur tour, se chargeant de l’accueil au sol. Avec du lait et des dattes…
Raminagrobis, la Belette et le Lapin
Nous approchions de Smara. Subitement silencieux. Nous étions prévenus des risques de missiles antiaériens SAM 7 utilisés par les commandos algériens. Plusieurs avions, dont des mirages avaient été abattus. Pour neutraliser les leurres destinés à détourner les missiles, ils tiraient des salves de SAM 7 !... C’était faire étalage de gros moyens, la Caverne d’Ali Baba…
Le pilote devait éviter une approche à basse altitude, se positionner à la verticale de la piste, à environ 1000 mètres d’altitude, et descendre en spirale, pratiquement directement sur le tarmac. Du sport.
Une piste chaotique, à construire, à rallonger. A chaque extrémité, enterré jusqu’à la tourelle, je remarquais un char AMX 13 en veille. Smara et ses environs étaient harcelés en permanence, les routes coupées.
Nous avons attendu l’obscurité, pour décoller tous feux éteints et respecter la même procédure en spirale. Ascensionnelle, cette fois. Avant d’embarquer, j’ai vu les soldats de l’armée marocaine dans la pénombre, à pied, silencieux, se glisser en patrouille, prendre position à l’extérieur de l’agglomération, pour élargir, pendant la nuit, le périmètre de sécurité. Comme si c’était hier. J’ai une pensée pour ces hommes.
Smara, autrefois prestigieuse ville sainte. Cheik Ma El Aïnain, représentant du souverain Hassan Ier, en avait fait un carrefour d’échanges et un centre spirituel renommés sur la route des caravanes, avec ses confréries religieuses, sa mosquée, ses écoles, sa bibliothèque. Homme de paix, mais d’honneur, ce fut un des plus farouches résistants aux soldats espagnols. (3)
Smara, après un demi-siècle d’occupation espagnole, réduite à une bourgade aux rues de poussières de sable et d’oubli… Symbole de ces colonisations prédatrices, suivies de ces guerres montées de toutes pièces qui font la joie des marchands de canons, le jeu des anciennes puissances coloniales.
Les armements coûtent une fortune à des Etats qui ont d’autres priorités que s’armer à l’infini. Les "aides généreuses" , tout autant. Elles ont un coût invisible et, encore plus, dévastateur.
Comment résister à des investissements dans des privatisations sans avoir à les brader pour "renvoyer l’ascenseur", lorsqu’on vous a "rendu service" ?... Comment ne pas brader ses matières premières pour entrer dans les bonnes grâces de celui dont on recherche le soutien diplomatique ?... Comment refuser des importations sans transferts technologiques, clés en main, pour plaire et complaire aux faux amis de" La Communauté Internationale", ou de l’Empire ?...
De concessions amicales, en abandons progressifs de souveraineté, en commençant par la souveraineté économique, technologique, on entrave sa prospérité, son développement et son accès au Savoir. N’oublions pas que l’accès au Savoir et aux sciences de l’avenir est devenu un objectif militaire pour lequel, aujourd’hui, on assassine des chercheurs en pleine rue.
Les campagnes actuelles d’agitation, de déstabilisation, organisées dans le Sahara Marocain, soutenues par une campagne de diffamation inacceptable par son niveau de bassesse, particulièrement en Espagne et dans les couloirs de l’UE, à l’égard du Maroc, reformant les anciens clivages de la "Guerre Froide", pourquoi ?...
Croire que financer par des monceaux de dollars une stratégie de la tension avec le voisin, voire un conflit armé, va détourner l’attention, le ressentiment de sa propre population devant les échecs répétés d’une politique économique et sociale, le niveau de corruption intolérable, et les montées de chômage insupportables pour les familles ?...
Il ne s’agit pas de faire l’apologie, ou la critique, de tel régime contre tel autre, car avant de critiquer un régime quel qu’il soit, il convient toujours de balayer soigneusement devant sa propre porte. Mais, de faire preuve de responsabilité face aux souhaits des peuples qui veulent la paix et l’emploi. Ce qui était compréhensible de stupidité pendant la Guerre Froide est devenu à présent criminel contre les peuples du Maghreb.
Tous les peuples, qui le composent, souhaitent l’édification d’un Grand Maghreb. Une union économique, et ultérieurement politique, de communauté de destin, à l’exemple de ce qui se passe ailleurs, en Amérique latine en ce moment, capable d’affirmer son indépendance économique et ses choix politiques qui ne sont pas ceux des
"grandes puissances" en pleine décadence économique et morale.
On sait que l’Europe, l’Empire, s’opposeront, par tous les moyens à l’édification d’un Maghreb uni, d’un Grand Maghreb. N’acceptant jamais, qu’un ensemble solidaire et fédéré d’une population de 100 millions d’habitants, aux immenses richesses et talents, émerge en Méditerranée.
Suscitant tensions, guerres civiles et fratricides, pour maintenir sa partition. A l’exemple de ce qu’ils ne cessent de travailler : l’éclatement, la pulvérisation en multitudes ethniques, de l’Irak, Afghanistan, Pakistan, Iran. Et, sur d’autres continents, comme en Amérique latine.
Le sachant, pourquoi tomber dans le piège du culte de la désunion et du conflit se demande-t-on ?... Ouvrant la voie aux arbitrages et sollicitudes qui ne sont que de la servitude imposée. Plaçant peuples et richesses dans la main des prédateurs.
Oubliant la sagesse des fables de nos ancêtres, avertissant du danger des conflits entre ceux qui devraient s’entendre, mise en scène par Jean de La Fontaine dans la dispute entre la belette et le lapin sollicitant l’arbitrage, le soutien, du chat, Raminagrobis ou Grippeminaud :
« … Aussitôt qu’à portée il vit les contestants,
Grippeminaud, le bon apôtre,
Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
Mit les plaideurs d’accord en croquant l’un et l’autre. »
Georges STANECHY
(1) Penseur, poète, explorateur, frère des Hommes. Il effectuera un voyage extraordinaire, dans le sud du Maroc, en 1930 : 1400 km, partant de Tiznit pour arriver à Smara. Mourant, à 26 ans, d’une dysenterie, à Agadir, au retour de son périple le 30 novembre 1930, http://www.moncelon.com/vieuchange.htm.
(2) Et, même, persécutés, massacrés, humiliés. Notamment au Mali et au Niger. Cas de tortures et de viols, avec comme en Palestine déshabillage public des hommes, à Ménaka, Tessalit, Aguelhok, Kidal, etc.
(3) Mohamed Cherkaoui, "Morocco and the Sahara : Social Bonds and Geopolitical
Issues" , The Bardwell Press, 2007, http://www.bardwellpress.co.uk/pdf/Sahara_2nd_Sample.pdf