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Rivalité courtoise entre journalistes et communicants

La caricature est toute prête, les mots sont là pour dénoncer : "connivence" pour nommer les petits arrangements entre "amis" ; "manipulation" pour rejeter ceux qu’on appelle les "communicants". Qu’ils soient attachés de presse, "dircom", consultants ou conseillers en communication, ils sont particulièrement présents dans l’univers politique. Ils parviennent de manière croissante à construire ce qu’ils nomment des "cordons sanitaires" pour devenir des "filtres" entre les sources primaires (les professionnels de la politique, les autres conseillers, les fonctionnaires des administrations...) et les journalistes.

De leur côté, les journalistes sont des proies de plus en plus faciles : la quête d’information suppose des moyens considérables que les rédactions ne possèdent plus, les logiques de flux les poussent à produire des articles en nombre croissant et le plus vite possible. Autant dire que les journalistes n’ont pas toujours la possibilité de mener des investigations imposant temps et recoupements patients. Certains s’en remettent d’autant plus à des communicants prêts à produire un discours sur mesure, à leur raconter des histoires ajustées aux logiques et formats médiatiques qui éviteront d’aller plus loin et ailleurs.

Un oxymore permet de dépasser les anathèmes ou les simples antagonismes. Journalistes et communicants sont bien des " associés-rivaux ". Forgé par le sociologue François Bourricaud (1922-1991) pour désigner d’autres types d’acteurs, le concept rappelle que certaines relations de pouvoir contraignent ses occupants à produire des compromis, sans que les tiers non initiés puissent en comprendre les logiques éloignées du discours public enchanté.

Journalistes et communicants sont ainsi rivaux, en particulier parce qu’ils tentent d’imposer une définition de l’actualité différente – les uns s’intéressent aux trains qui n’arrivent pas à l’heure quand les autres sont rétribués pour faire croire que tout est fait pour que le plus de trains arrivent à l’heure. Les uns tendent à se focaliser sur les discontinuités et autres dysfonctionnements du monde social. Les autres se proposent de "positiver" les pouvoirs et leurs occupants.

Ne courant pas pour les mêmes enjeux, leurs relations sont faites de tensions fortes, notamment parce que la plupart des journalistes accèdent directement à des sources complémentaires – et en particulier aux professionnels de la politique et aux premiers cercles – leur permettant d’éclairer autrement la situation ou, plus encore, parce qu’un communicant sera persuadé que le contenu d’un article dessert son mentor.

Franchir le Rubicon

Contrairement à une idée reçue, les univers sont si différents que peu de journalistes deviennent communicants, franchissant alors ce qu’ils appellent le Rubicon. Les cas médiatisés qui brouillent les frontières – tel présentateur devenant conseiller du président, telle ancienne journaliste étant engagée par un responsable de parti – sont statistiquement peu significatifs. Les filières d’accès sont singulières, même si de nombreux communicants ont un rapport non neutre au journalisme, ayant souvent souhaité très jeunes accéder à cet univers. Il leur en reste un mélange de répulsion et d’attirance, voire de fascination, qui explique leur propension à penser qu’une bonne stratégie de communication passe forcément par des médias trop rétifs. Les communicants peuvent être d’autant plus tendus avec les journalistes qu’eux-mêmes subissent les pressions de commanditaires imaginant qu’une conférence de presse ou qu’un petit déjeuner doivent susciter un retour sur investissement immédiat.

Journalistes et communicants sont aussi associés parce qu’ils savent qu’ils se retrouveront demain. Ayant des "ressources" mutuelles qui ne sont pas si asymétriques, ces différents acteurs ne s’imposent jamais définitivement : "Ne pouvant espérer durablement se débarrasser de l’autre, ils n’ont d’autres choix que de négocier", écrivait Bourricaud.

Chacun a besoin de l’autre, les communicants pour forger une bonne image de leur "patron", les journalistes pour disposer d’informations, de contacts, d’analyses de la situation pour étayer leurs articles ou plus prosaïquement du discours d’un ministre en amont... Leurs relations sont alors faites aussi de séduction où se mêlent tutoiement, humour et confessions personnelles plus ou moins contrôlées. Leur association est à la hauteur des croyances communes qui structurent leur quotidien, notamment les effets supposés massifs des médias sur les citoyens ou l’importance du jeu politique, de ses concurrences internes, de ses petites phrases, ce que les Américains ont qualifié de "course de chevaux".

Jean-Baptiste Legavre (Directeur de l’école de journalisme de l’Institut français de presse Université Panthéon-Assas (Paris II))

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