RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Rivalité courtoise entre journalistes et communicants

La caricature est toute prête, les mots sont là pour dénoncer : "connivence" pour nommer les petits arrangements entre "amis" ; "manipulation" pour rejeter ceux qu’on appelle les "communicants". Qu’ils soient attachés de presse, "dircom", consultants ou conseillers en communication, ils sont particulièrement présents dans l’univers politique. Ils parviennent de manière croissante à construire ce qu’ils nomment des "cordons sanitaires" pour devenir des "filtres" entre les sources primaires (les professionnels de la politique, les autres conseillers, les fonctionnaires des administrations...) et les journalistes.

De leur côté, les journalistes sont des proies de plus en plus faciles : la quête d’information suppose des moyens considérables que les rédactions ne possèdent plus, les logiques de flux les poussent à produire des articles en nombre croissant et le plus vite possible. Autant dire que les journalistes n’ont pas toujours la possibilité de mener des investigations imposant temps et recoupements patients. Certains s’en remettent d’autant plus à des communicants prêts à produire un discours sur mesure, à leur raconter des histoires ajustées aux logiques et formats médiatiques qui éviteront d’aller plus loin et ailleurs.

Un oxymore permet de dépasser les anathèmes ou les simples antagonismes. Journalistes et communicants sont bien des " associés-rivaux ". Forgé par le sociologue François Bourricaud (1922-1991) pour désigner d’autres types d’acteurs, le concept rappelle que certaines relations de pouvoir contraignent ses occupants à produire des compromis, sans que les tiers non initiés puissent en comprendre les logiques éloignées du discours public enchanté.

Journalistes et communicants sont ainsi rivaux, en particulier parce qu’ils tentent d’imposer une définition de l’actualité différente – les uns s’intéressent aux trains qui n’arrivent pas à l’heure quand les autres sont rétribués pour faire croire que tout est fait pour que le plus de trains arrivent à l’heure. Les uns tendent à se focaliser sur les discontinuités et autres dysfonctionnements du monde social. Les autres se proposent de "positiver" les pouvoirs et leurs occupants.

Ne courant pas pour les mêmes enjeux, leurs relations sont faites de tensions fortes, notamment parce que la plupart des journalistes accèdent directement à des sources complémentaires – et en particulier aux professionnels de la politique et aux premiers cercles – leur permettant d’éclairer autrement la situation ou, plus encore, parce qu’un communicant sera persuadé que le contenu d’un article dessert son mentor.

Franchir le Rubicon

Contrairement à une idée reçue, les univers sont si différents que peu de journalistes deviennent communicants, franchissant alors ce qu’ils appellent le Rubicon. Les cas médiatisés qui brouillent les frontières – tel présentateur devenant conseiller du président, telle ancienne journaliste étant engagée par un responsable de parti – sont statistiquement peu significatifs. Les filières d’accès sont singulières, même si de nombreux communicants ont un rapport non neutre au journalisme, ayant souvent souhaité très jeunes accéder à cet univers. Il leur en reste un mélange de répulsion et d’attirance, voire de fascination, qui explique leur propension à penser qu’une bonne stratégie de communication passe forcément par des médias trop rétifs. Les communicants peuvent être d’autant plus tendus avec les journalistes qu’eux-mêmes subissent les pressions de commanditaires imaginant qu’une conférence de presse ou qu’un petit déjeuner doivent susciter un retour sur investissement immédiat.

Journalistes et communicants sont aussi associés parce qu’ils savent qu’ils se retrouveront demain. Ayant des "ressources" mutuelles qui ne sont pas si asymétriques, ces différents acteurs ne s’imposent jamais définitivement : "Ne pouvant espérer durablement se débarrasser de l’autre, ils n’ont d’autres choix que de négocier", écrivait Bourricaud.

Chacun a besoin de l’autre, les communicants pour forger une bonne image de leur "patron", les journalistes pour disposer d’informations, de contacts, d’analyses de la situation pour étayer leurs articles ou plus prosaïquement du discours d’un ministre en amont... Leurs relations sont alors faites aussi de séduction où se mêlent tutoiement, humour et confessions personnelles plus ou moins contrôlées. Leur association est à la hauteur des croyances communes qui structurent leur quotidien, notamment les effets supposés massifs des médias sur les citoyens ou l’importance du jeu politique, de ses concurrences internes, de ses petites phrases, ce que les Américains ont qualifié de "course de chevaux".

Jean-Baptiste Legavre (Directeur de l’école de journalisme de l’Institut français de presse Université Panthéon-Assas (Paris II))

»» http://lemonde.fr
URL de cet article 21618
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Même Thème
"L’Industrie du mensonge - Relations publiques, lobbying & démocratie"
Sheldon Rampton, John Stauber
En examinant le monde des lobbyistes, ce livre dévoile l’ampleur des manipulations pour transformer l’« opinion publique » et conforter les intérêts des grands groupes industriels. Des espions aux journalistes opportunistes, en passant par des scientifiques peu regardants et de faux manifestants, l’industrie des relations publiques utilise tous les canaux possibles pour que seule puisse être diffusée l’information qui arrange ses clients - gouvernements et multinationales, producteurs d’énergie (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Un conspirationniste est quelqu’un qui regarde moins la télévision que vous.

Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
Le DECODEX Alternatif (méfiez-vous des imitations)
(mise à jour le 19/02/2017) Le Grand Soir, toujours à l’écoute de ses lecteurs (réguliers, occasionnels ou accidentels) vous offre le DECODEX ALTERNATIF, un vrai DECODEX rédigé par de vrais gens dotés d’une véritable expérience. Ces analyses ne sont basées ni sur une vague impression après un survol rapide, ni sur un coup de fil à « Conspiracywatch », mais sur l’expérience de militants/bénévoles chevronnés de « l’information alternative ». Contrairement à d’autres DECODEX de bas de gamme qui circulent sur le (...)
103 
L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.