L’avocat d’affaires de Neuilly et le châtelain réactionnaire qui président aux destinées de notre pays poursuivent et amplifient, sur les traces de leurs prédécesseurs immédiats Chirac, Raffarin et Villepin, l’organisation de l’appauvrissement systématique du plus grand nombre des Français. Je voudrais simplement rappeler quelques faits bien connus en abordant le problème sous l’angle des retraites. Elles peuvent être abondées sans problèmes, et même améliorées. Depuis deux siècles, l’augmentation de la productivité a permis toujours plus de richesses en toujours moins de temps. Du début du XIXè siècle à la fin du XXè, la productivité horaire a été multipliée par 30, la production par 16, alors que le temps de travail était diminué par 2. Ce, sans que jamais les profits en souffrent, bien au contraire.
Du milieu du XIXè siècle à 1993, les retraites n’ont cessé de s’améliorer : retraites pour les fonctionnaires en 1853, retraites ouvrières et paysannes en 1910 (par capitalisation, déjà !), régime général par répartition en 1945. Des régimes spéciaux sont mis en place dans l’attente d’être rattrapés par le régime général (c’est beau l’Histoire de France). En 1972 (sous un gouvernement de droite), un seuil minimum de pension est garanti à tous les salariés ayant cotisé 37,5 ans. En 1983, l’âge de la retraite est baissé à 60 ans.
Et puis le vent tourne. En 1993, les retraites du privé subissent un décrochage (programmé jusqu’en 2040) d’environ 20% par rapport aux salaires. Sans parler d’une décote de 10%, ramenée à 5% en 2003.
En 2003, la fonction publique est alignée sur le privé : augmentation des annuités, instauration d’une décote.
En 2008, les régimes spéciaux du public sont alignés sur le régime général.
L’objectif réel des gouvernements successifs, aux ordres du patronat en la matière (comme dans d’autres) est sous-tendu par l’idéologie : laisser le champ libre au privé, développer la retraite par capitalisation. La capitalisation est un processus opaque, soumis à la spéculation des marchés financiers. L’épargne n’est qu’une perspective pour l’avenir, une créance honorée, ou non, trente ou quarante ans plus tard selon la richesse produite par le pays. Alors que la retraite par répartition crée de la solidarité entre les générations, la retraite par capitalisation est la proie de la finance internationale et détruit les solidarités. Contrairement à ce que tentait de faire croire Jospin, les deux systèmes ne peuvent cohabiter harmonieusement. Comme ailleurs, le privé écrase le public.
En 2007, les salariés qui ont fait valoir leurs droits à la retraite n’avaient que 37 annuités de cotisation. Dès lors qu’il leur faut 40 ou 41 ans de cotisation, la perte est sèche : un fonctionnaire dans ce cas ne touchera que 50% de son salaire au lieu de 74%.
Un salarié du secteur privé né en 1934 disposait d’une pension équivalente à 84% de son salaire. Pour le salarié né en 1948, il s’agit de 76%. Celui qui est né en 1960 devra se contenter de 60%.
Lorsqu’ils prennent leurs retraites, 6 salariés sur 10 ne sont plus sur le marché du travail. En 2008, 40% des femmes seulement (contre 85% des hommes) ont pu faire valider les 40 annuités nécessaires à une retraite normale.
La France est chaque année plus riche. Proportionnellement, les salariés sont chaque année plus pauvres. Il y a 20 ans, les salaires représentaient 70% du PIB. Il n’en représente que 60% aujourd’hui. Les 10% volés aux travailleurs (160 milliards d’euros) sont allés à la finance, à la spéculation. Pour maintenir le niveau des pensions par rapport aux salaires d’ici 2040, il suffit de faire passer la part du PIB consacrée aux retraites de 12 à 18%. Représentant une petite partie de l’augmentation annuelle de la productivité, ces 6% de PIB correspondent globalement à 15% de cotisations sociales, une augmentation de moins de 0,5% par an. Quel exploit !
Je discutais récemment avec mon supérieur hiérarchique à l’université de Poitiers qui me disait que les collègues qui s’incrustaient au travail jusqu’à 65, voire jusqu’à 68 ans (c’est possible pour les professeurs) posaient un gros problème car ils étaient souvent malades, et longtemps. On touche là à une question sérieuse. Les réactionnaires qui nous vendent un accroissement de la durée du travail proportionnel à l’allongement de la durée de vie nous mentent. Cet allongement, si je puis dire, diminue, et ne va pas tarder à s’arrêter dès lors qu’un nombre toujours croissant de personnes âgées (je déteste le " senior " politiquement correct) devront s’user plus longtemps au travail. Pensons-y…
21 mai 2008 :
PS : un correspondant me donne les quelques précisons historiques suivantes (dans la vie militante, on n’est jamais assez savant) :
1945-1975 : organisation et montée en charge du système 17 mai 1945
Ordonnance créant une caisse de retraite, la CNRACL, à l’intention des agents des fonctions publiques territoriale et hospitalière.
4 et 19 octobre 1945
Ordonnances créant la Sécurité sociale.
13 septembre 1946
Loi généralisant l’assurance-vieillesse.
14 mars 1947
Signature de la convention collective nationale créant l’Agirc, régime de retraite complémentaire en faveur des cadres.
17 janvier 1948
Loi prévoyant la création de quatre régimes de non-salariés : commerçants, artisans, professions libérales et agriculteurs. Si les trois premiers sont mis en place dès 1949, les agriculteurs devront attendre la loi du 10 juillet 1952.
26 juillet 1956
Création du Fonds national de solidarité (FNS).
8 décembre 1961
Signature de l’accord créant l’Arrco, régime de retraite complémentaire en faveur des non-cadres.
18 décembre 1963
Loi instaurant une allocation spéciale du Fonds national de l’emploi (ASFNE) en faveur des travailleurs salariés âgés de 60 ans et plus et faisant l’objet d’un licenciement collectif sans possibilité de reclassement.
26 décembre 1964
Loi portant réforme du code des pensions civiles et militaires.
21 août 1967
Ordonnances prévoyant notamment la création de trois caisses autonomes dont la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav).
31 décembre 1971
Loi Boulin prévoyant le passage de 120 à 150 trimestres (37,5 ans) de la période d’assurance ouvrant droit à une pension à taux plein, sur la base désormais des dix meilleures (et non plus dernières) années de salaire.
3 juillet 1972
Loi alignant les régimes des artisans et commerçants sur les règles en vigueur au sein du régime général.
29 décembre 1972
Loi prévoyant l’extension de la couverture complémentaire obligatoire à l’ensemble des assurés du régime général à compter du 1er janvier 1973.
29 décembre 1973
Décret instaurant la double revalorisation annuelle des pensions.
24 décembre 1974
Loi instaurant la compensation financière entre régimes de retraite.