Dans les jours qui ont suivit les attentats terroristes du 11 septembre 2001, lorsque le Congrès a voté pour autoriser le recours à la force militaire contre ceux qui ont « planifié, autorisé, commis ou aidé » les détournements, peu d’Etasuniens auraient pu imaginer que la chasse à l’homme qui en résulterait s’étendrait de l’Afrique de l’ouest jusqu’aux Philippines, et qu’il survivrait à deux mandats présidentiels.
Aujourd’hui, l’engagement militaire des Etats-Unis au Moyen-Orient semble de plus de plus permanent. Malgré la fin des guerres en Irak et en Afghanistan officiellement décrétée par les Etats-Unis, des milliers de soldats étasuniens et de sous-traitants de l’armée sont toujours présents dans ces deux pays. Les États-Unis larguent des bombes sur l’Irak et la Syrie plus vite qu’ils n’arrivent à les fabriquer, et selon le Pentagone, sa campagne de bombardement en Libye « ne se terminera pas dans un avenir prévisible ». Les États-Unis appuient aussi l’Arabie Saoudite dans sa guerre au Yémen, en plus de mener des frappes aériennes occasionnelles au Yémen et en Somalie.
Quinze ans après les attentats du 11 Septembre, il semblerait que la guerre contre le terrorisme n’en soit encore qu’à ses débuts.
Le retrait des forces étasuniennes de l’Irak et de l’Afghanistan n’a fait que révéler à quel point la guerre n’a rien résolu et combien de dégâts elle aura provoquées. En Afghanistan, les talibans contrôlent désormais plus de territoire que jamais depuis 2001. Un sondage en 2016 a révélé que plus de 90% des jeunes Irakiens considèrent maintenant les États-Unis comme un « ennemi » pour leur pays.
L’État islamique, qui a été en grande partie créée par l’invasion américaine de l’Irak, contrôle de vastes étendues de territoires en Irak, en Syrie et en Libye, et a démontré une capacité à orchestrer des attentats hardis en Europe. En Juin, le directeur de la CIA John Brennan a déclaré au Congrès que « malgré tous nos progrès par rapport à Daech sur le champ de bataille et dans le domaine financier, nos efforts n’ont pas réduit les capacités de terrorisme du groupe ni sa portée internationale. »
Al-Qaïda, l’ennemi d’origine, contrôle aujourd’hui des territoires au Yémen et en Somalie, mais n’est plus considéré comme une priorité. En l’espace d’un an, par exemple, la guerre au Yémen soutenue par les Etats-Unis a quadruplé la taille d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique – la branche la plus dangereuse du groupe terroriste. La CIA a continué à armer les rebelles syriens, en dépit du fait que ces armes se retrouvent entre les mains d’une ancienne filiale d’Al-Qaïda. Le général à la retraite David Petraeus, ancien commandant des forces étasuniennes en Irak et en Afghanistan, a même suggéré d’armer directement Al-Qaïda pour aider à combattre Daech.
Malgré l’absence de progrès, les 15 dernières années de guerre ont eu un coût terrible.
Les Etats-Unis ont perdu près de 2 300 hommes en Afghanistan, et près de 4 500 en Irak. Des centaines de milliers ont été estropiés. Ces chiffres ne comprennent pas au moins 6 900 membres des sociétés sous-traitantes et au moins 43 000 soldats afghans et irakiens qui ont perdu la vie.
Les morts dans les pays que les États-Unis ont attaqué n’ont jamais été comptés, mais les estimations basses vont de centaines de milliers à plus d’un million. Ajoutez à cela les centaines de personnes torturées en détention par les Etats-Unis, et des milliers de tués par des drones au Yémen, au Pakistan et en Somalie.
Le coût financier de la guerre contre le terrorisme est incalculable. Le coût des guerres en Irak et en Afghanistan, y compris les frais médicaux pour les anciens combattants, sont estimés à au moins 4 milliards de dollars pour les États-Unis. Les budgets des services de renseignement ont doublé, en plus des 800 milliards de dollars consacrés à la « sécurité intérieure ».
Des milliards de dollars ont été gaspillés sur des projets inutiles – comme celui d’installer des détecteurs de rayonnements dans les aéroports, qui a coûté au gouvernement 230 millions de dollars. Le Department of Homeland Security a gaspillé 1,1 milliard de dollars pour une "clôture virtuelle" de capteurs le long de la frontière mexicaine, avant d’abandonner le programme. Les exemples se suivent et se ressemblent. La CIA a versé 20 millions de dollars à une société pour écrire un programme censé découvrir des messages terroristes encodés dans les émissions d’information de la chaîne de télévision Al Jazeera. L’an dernier, le Pentagone a dépensé 43 millions de dollars sur une station de gaz en Afghanistan. Deux psychologues ont été payés 80 millions de dollars pour concevoir le programme de torture de la CIA.
Après 15 ans, les seuls gagnants dans la guerre contre le terrorisme ont été les entreprises sous-traitantes.
À domicile, la guerre contre le terrorisme est devenue un cauchemar constitutionnel. Les Etats-Unis ont adopté une pratique consistant à détenir indéfiniment des personnes suspectées de terrorisme. Les services de police à travers le pays importent secrètement du matériel d’espionnage de qualité militaire. Les tribunaux ont statué que les familles ne pouvaient engager une action en justice pour faire retirer leurs enfants des listes officielles des personnes à éliminer. Le lanceur d’alerte de la NSA, Edward Snowden, a révélé que le États-Unis sont devenus le plus grand Etat de surveillance de l’histoire.
Dans les campagnes présidentielles de 2016, la torture provoque des applaudissements dans les rangs des partis, grâce notamment à Obama qui a refusé de poursuivre les auteurs du programme de tortures de l’ère Bush.
Le bombardement de plusieurs pays du Moyen-Orient est devenu une affaire routinière, et n’est souvent même pas mentionné dans les médias. Le 1er août, par exemple, le jour où l’administration Obama a annoncé une nouvelle campagne de bombardement contre Daech en Libye, les journalistes étasuniens étaient beaucoup plus intéressés par les sondages électoraux que par une nouvelle guerre.
Tout cela préfigure une guerre qui pourrait s’étirer 10, 20 ou 50 ans. Tandis que les États-Unis changent de stratégie pour recourir aux bombardements au lieu d’envoyer des troupes au sol, l’intérêt des médias pour les guerres diminue, et il n’est donc que trop facile d’oublier notre état de guerre permanent. Mais les victimes de la violence des Etats-Unis, eux, ne risquent pas d’oublier, créant ainsi un nombre potentiellement infini de nouveaux ennemis.
Alex Emmons
Traduction "nos guerres, leurs morts" par VD Pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles