Je prends un petit repos de la politique québécoise aujourd’hui pour vous parler d’un événement qui est passé pratiquement inaperçu parce qu’il s’est produit dix jours après les attaques contre les tours jumelles, le 11 septembre 2001.
Il s’agit de l’arrestation d’Ana Belen Montés, 44 ans, d’origine portoricaine, qui travaillait comme analyste de première main au sein de l’Agence de renseignement pour la Défense du Pentagone (DIA), et de sa condamnation à 25 ans de prison, en mars 2002 pour espionnage. Elle avait d’abord été accusée de haute trahison et risquait, si elle était reconnue coupable, d’être condamnée à la peine de mort. L’accusation : avoir fourni au gouvernement cubain des renseignements sensibles sur les plans d’agression militaire ou autre des États-Unis contre l’île cubaine. Elle n’a jamais été rémunérée pour ce travail, il est bon de le préciser. Ses motivations étaient autres.
Ana Belen Montés est entrée au service du Pentagone en 1985, après avoir obtenu un baccalauréat en relations internationales à l’Université de Virginie et une maîtrise en Études internationales de l’Université Johns Hopkins. Rapidement elle a gravi les échelons au point de devenir une spécialiste des questions cubaines au sein de son organisme et à faire partie du « Groupe de travail inter-agences sur Cuba ». Étant donné sa maîtrise de l’espagnol, on l’a envoyée deux fois en mission à Cuba, dont une fois pour « couvrir » la visite du pape Jean-Paul II. Elle était loin, pourtant, d’être une inconditionnelle de la politique extérieure des États-Unis et elle ne se gênait pas pour critiquer l’attitude de son pays à l’égard de l’Amérique latine.
Ses prises de position lui ont justement valu d’être remarquée par le gouvernement cubain qui connaissait le rôle important qu’elle jouait au sein de l’appareil de renseignement américain. C’est la raison pour laquelle elle a été approchée par les services secrets cubains opérant sur le territoire des États-Unis. La mission était exclusivement défensive. Les Cubains voulaient pouvoir déjouer les plans d’attaque des militaires américains contre leur pays. Elle a accepté de collaborer avec eux pour des raisons humanitaires. Elle invoquera ces raisons lors de son procès.
Sa façon de procéder était assez subtile. Plutôt que de photocopier ou numériser des documents, ce qui peut laisser des traces, elle mémorisait dans sa tête lesdits documents sensibles, et une fois chez elle, elle les retranscrivait de mémoire sur son ordinateur puis les transférait en langage codé sur un disque dur, qu’elle remettait ensuite à son contrôleur cubain, à la suite d’un rendez-vous fixé à travers un émetteur à ondes courtes.
Elle était sur le point d’avoir accès à des renseignements ultras secrets sur l’invasion de l’Afghanistan, après les attaques du 11 septembre 2001, lorsqu’elle fut découverte et arrêtée, à la suite d’une enquête sophistiquée du FBI, digne d’un roman de John Le Carré, qui soupçonnait qu’un agent double, à l’intérieur de la DIA, fournissait des renseignements aux Cubains.
En réalité, Ana Belen Montés n’a fait qu’éviter que les États-Unis se lancent dans une nouvelle invasion du territoire cubain. Elle a sauvé des milliers de vies humaines, en convainquant les présidents George W. Bush et Bill Clinton que Cuba ne représentait pas une menace pour la sécurité des États-Unis. C’est d’ailleurs le constat auquel en est arrivé le président Obama, treize ans plus tard.
Sa défense
Ana Belen Montés a dit au juge qu’elle avait obéi à sa conscience plutôt qu’à la loi. « Je crois que la politique de notre gouvernement vis-à-vis Cuba est cruelle et injuste, profondément agressive, et je me suis sentie moralement dans l’obligation d’aider l’île à se défendre contre nos efforts de lui imposer nos valeurs et notre système politique. Nous avons fait preuve d’intolérance et de mépris à l’égard de Cuba depuis plus de 40 ans. Nous n’avons jamais respecté le droit pour Cuba de choisir sa propre voie vers ses propres idéaux d’égalité et de justice. [...] Mon plus grand désir est de voir des relations amicales s’établir entre les États-Unis et Cuba. J’espère que mon cas contribuera d’une certaine manière à encourager notre gouvernement à abandonner sa politique hostile envers Cuba et à collaborer avec La Havane dans un esprit de tolérance, de respect mutuel, de compréhension... »
N’est-ce pas ce que promettait le président Obama lors de sa récente visite à Cuba ?
Ana Belen Montés est internée dans une base de la Marine américaine, et confinée dans une aile psychiatrique alors qu’elle est saine d’esprit. Elle est considérée comme extrêmement dangereuse, même après quatorze ans de réclusion. Elle n’a pas le droit de recevoir de visiteurs, sauf sa fratrie, aucun droit de téléphoner, aucun journal, aucun livre, aucun colis, aucun moyen de communication et aucun contact avec d’autres détenues de la même prison. L’isolement le plus complet. Il lui reste encore onze ans à subir ce régime inhumain. Elle mérite notre compassion et notre solidarité.
Que fera Madame Clinton d’Ana Belen Montés, si elle est élue à la présidence des États-Unis ?
Jacques Lanctôt