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Pourquoi les Etats-Unis arrosent la banlieue parisienne à coups de millions de dollars - Le Parisien

A travers une foule de programmes culturels, l’ambassade américaine à Paris cajole les quartiers populaires d’Ile-de-France. Une générosité qui séduit mais aussi interroge... article du 30 décembre 2019.

Cette année encore, un soldat étasunien peut se cacher derrière le costume du Père Noël. Comme en 2018 à Sevran, (Seine-Saint-Denis), d’authentiques Marines en uniforme sont attendus ce lundi à Stains pour une distribution de cadeaux aux enfants dans une cité de banlieue parisienne. Un geste pas du tout désintéressé avec, aux manettes, l’ambassade des EU à Paris.

Depuis plus de dix ans maintenant, le pays de l’Oncle Sam multiplie ainsi les programmes d’échanges, culturels, ou simplement des dons financiers, au profit d’actions en banlieue parisienne. Avec la force de frappe du dollar.

Identifier des dynamiques et des leaders

Officiellement, le porte-parole de l’ambassade des EU explique qu’il s’agit pour eux « d’expliquer les Etats-Unis aux Français : il s’agit de mieux se comprendre ». « Ces programmes sont déployés sur toute la France, mais c’est vrai qu’ils fonctionnent bien en banlieue. Car nous essayons, au travers de ces projets, d’identifier des dynamiques et des leaders, or la vitalité de la banlieue française s’y prête. »

Un soft power consacré aux cités qui, s’il « interroge » certains observateurs, qui y voient une manière de surveiller l’Hexagone, ravit les concernés. Et qui se traduit en billets verts : chaque année, plus de 3 millions de dollars seraient dépensés dans les banlieues par les Etats-Unis. Un chiffre qui, en réalité, couvre la totalité des public affairs de l’ambassade, c’est-à-dire aussi les salaires de la trentaine de personnes chargées des affaires culturelles, des relations presse, ainsi que leurs déplacements.

Officiellement, selon une porte-parole de l’ambassade, « les projets financés par l’ambassade dans les banlieues peuvent aller du discours d’un diplomate auprès d’étudiants, ou d’une petite subvention de 3000 dollars pour soutenir un musicien donnant une conférence et un concert avec un centre culturel local, à des projets plus importants, financés à hauteur de 20 000 dollars à 100 000 dollars [...] ».

La France accusée de « ne pas considérer ses compatriotes à la peau sombre et musulmans »

Globalement, les diplomates sont réticents à aborder le sujet du soft power dans les banlieues françaises. La faute aux Wikileaks — la fuite de documents confidentiels diplomatiques américains à grande échelle — qui, au moment des émeutes de Clichy-sous-Bois en 2005, révélaient que les EU reprochaient à la France de « ne pas considérer ses compatriotes à la peau sombre et musulmans comme des citoyens à part entière ». Une critique acerbe du gouvernement français qui met mal à l’aise les autorités des EU.

Certains télégrammes confidentiels exhumés en 2007 indiquaient que Washington entend mener une « stratégie d’engagement vers les minorités ». Une note du 25 janvier de la même année évoque « deux officiers nommés sur les questions de minorités » à l’ambassade. Résultat : un joli panel d’actions en faveur des banlieues.

Parmi les programmes pérennes, il y a celui des Jeunes ambassadeurs, créé il y a douze ans, qui vise à identifier chaque année 36 jeunes issus de milieux modestes et d’un « bon niveau scolaire » pour les envoyer deux semaines aux Etats-Unis, les accompagner sur un projet associatif qu’ils devront ensuite monter dans leur quartier.

Par ailleurs, en octobre dernier, une délégation d’acteurs culturels de Saint-Denis s’est déplacée à Oakland, en banlieue de San Francisco (Californie), pour y travailler sur le rôle de la culture dans les quartiers.

Autre programme : l’envoi de diplomates dans les lycées pour parler de sujets typiquement étasuniens. Un programme national, mais qui fonctionne bien dans les quartiers, confirme l’ambassade, citant le lycée Suger de Saint-Denis comme « cible » régulière.

Plus ponctuels, des repas de l’Iftar — rupture du jeûne du Ramadan — sont régulièrement organisés par l’ambassade.

« Rapporter une attitude pro-Etats-Unis » de son séjour

Il y a aussi l’International Visitor Leadership Program (IVLP), créé après-guerre, qui n’est pas réservé aux Français issus des banlieues ou des minorités... mais ne les en exclut pas. « Des jeunes leaders dans leurs domaines », comme l’essayiste Rokhaya Diallo, le rappeur Ekoué Labitey ou le sous-préfet de Seine-Saint-Denis, Fayçal Douhane, ont ainsi profité de ce dispositif, qui permet de passer plusieurs semaines aux Etats-Unis, de s’y constituer un réseau, d’en appréhender les valeurs pour, espèrent les diplomates étasuniens, « en rapporter une attitude pro-Etats-Unis », analyse un élu de Seine-Saint-Denis.

Du côté des associatifs français, cette action de l’ambassade est un plébiscite. « Les Américains sont des gens très réactifs ! Quand je leur propose un projet, j’ai une réponse en 24 heures. Là où les institutions françaises émettent un accusé de réception.... en six mois », grince Omar Dawson, fondateur de l’association Grignywood, dans l’Essonne, qui travaille régulièrement avec les Etats-Unis.

Réseauter sans préjugés sur la classe sociale

S’agissant des suspicions qui entourent ces actions, lui l’assure : « A aucun moment, ils ne demandent de jouer les indics, de compter le nombre de kalachnikovs dans le quartier... » Pour lui, il s’agit de réseautage, sans préjugés sur la classe sociale.

« Ils n’ont aucun a priori sur la banlieue, ils la traitent comme ils traitent les élites. Que les quartiers aient plus de respect de la part d’un pays étranger que de la France, ça pose question », poursuit l’associatif, qui déplore même les interrogations de certains. « Quand on sollicite de l’argent public pour nos projets, on quémande. Et quand les banlieues obtiennent des subventions d’un autre pays, cela dérange aussi ! »

Eric Schirmacher, de l’association Villes des musiques du monde, basée à Aubervilliers, a pu emmener 30 ados d’Aulnay et La Courneuve peaufiner leur jazz à la Nouvelle Orléans (Louisiane), grâce à l’ambassade et un don de 25 000 dollars. « Dès qu’on leur a exposé le projet, ils ont suivi ! Le fait que cela ait un impact sur des quartiers populaires a été un critère essentiel pour eux », poursuit-il. Un nouveau voyage au pays du jazz est prévu à la fin 2021.

Qu’en disent les élus ? Parmi ceux qui ont vu les Etats-Unis défiler dans les quartiers, il y a Stéphane Gatignon, maire de Sevran entre 2001 et 2018, depuis reconverti dans le conseil privé. Durant son mandat, l’élu a régulièrement été invité à l’ambassade des EU, « comme une foule d’associatifs des quartiers, qui n’étaient en revanche jamais invités... à l’Elysée », se souvient-il.

« Sans doute que la CIA n’est pas loin derrière »

Au-delà de l’aspect culturel, Stéphane Gatignon le confirme : l’intérêt des Étasuniens n’est pas uniquement philanthrope. « Ils ont compris que beaucoup de musulmans vivent dans nos banlieues, que cette population est parfois délaissée par l’Etat Français, et qu’une forme d’islam radical a pu s’y développer. Alors, ils essayent de comprendre. De surveiller, aussi, d’une certaine manière, d’avoir des remontées d’informations. Sans doute que la CIA n’est pas loin derrière. Indirectement, elle suit ce que l’ambassade fait dans nos quartiers... »

« Pour les américains, les leaders de demain sont dans les quartiers »

« S’attirer les bonnes grâces des décideurs de demain » : c’est, en substance, l’objectif des programmes développés dans les banlieues françaises par les diplomates des EU, selon François Durpaire, universitaire spécialisé dans les questions d’éducation et de diversité culturelle aux États-Unis et en France.

« Le soft-power dans les banlieues s’est d’abord installé par une volonté de renseignements, dans l’après 11 septembre 2001. Et puis, au moment de l’élection d’Obama, qui a eu une incroyable résonance dans les banlieues de France et d’ailleurs, les Étasuniens ont compris que pour avoir de l’influence, il fallait aussi avoir une bonne image ! C’est ainsi : on ne peut pas larguer des bombes en Syrie... sans avoir une bonne image dans les banlieues. Car ces territoires populaires accueillent nombre de musulmans et de jeunes, peut-être les décideurs de demain », développe l’universitaire.

Là-dessus, à l’image des ce qu’il se passe chez eux, où de plus en plus de meneurs politiques sont issus des quartiers— le dernier exemple en date étant Alexandria Ocasio-Cortez, jeune députée démocrate brillante et populaire, issue d’un quartier pauvre du Bronx— les Etats-Unis s’intéressent aux territoires défavorisés chez nous. L’expert estime aussi que les Etats-Unis ont parfaitement compris la frustration qui existe dans ces quartiers.

« La France est l’un des territoires les plus multiculturels d’Europe... mais qui reconnaît le moins ce multiculturalisme. Ici, on prône l’assimilation, au sens de l’invisibilisation. L’exemple récent, c’est la question du voile. Or, l’ambassade n’hésite pas à accompagner des associations qui promeuvent la diversité, s’attirant leurs faveurs. Et exploitant leur reconnaissance. »

»» http://www.leparisien.fr/seine-sain...
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