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Pour France 2, le chavisme est une secte qui a réussi

Elise Lucet [après le sujet sur les femmes] : "Direction Caracas, maintenant, où une grande partie de la population s’apprête à vivre un grand événement. Les obsèques d’Hugo Chavez vont en effet se dérouler à 16 h 30. Avant ce moment très solennel, des milliers de Vénézuéliens ont patienté pendant des heures en espérant approcher la dépouille du "comandante". Un sentiment de dévotion incroyable, mais qui ne touche pas toute la population. Certains restent critiques vis-à -vis du président défunt. Reportage de nos envoyés spéciaux, Maryse Burgot et Laurent Desbois."

Maryse Burgot : "C’est l’un de ces moments de communion collective inventés par le chavisme : une marée humaine dans les rues de Caracas". [Vue d’une femme transportée sur une civière]. "Cette femme s’est évanouie après avoir patienté neuf heures dans une file d’attente. Elle espérait pouvoir se recueillir sur la dépouille de Chavez". [Un des brancardiers parle : "Anzoategui, elle est venue de l’Etat d’Anzoategui, c’est vraiment loin"].

Maryse Burgot : "Quand la foule apprend que, finalement, Chavez sera embaumé, et visible pour l’éternité, elleexulte. [Déclaration d’une femme : "On l’aime et cet amour ne mourra jamais. Aujourd’hui, il est même plus grand qu’avant."].

Maryse Burgot : "Et c’est bien ce culte de la personnalité qui est dénoncé dans les quartiers chics de Caracas. [Vue d’une résidence de luxe, mais solidement bétonnée, avec des barbelés]. Maryse Burgot : "Dans sa maison, cernée de murs et de barbelés, cet ancien diplomate de haut rang dénonce les dérives du chavisme". [Vue du diplomate - 60/70 ans - la mine prospère, l’air (très) bien nourri, dans son salon très cossu. Il dit (en français) : "C’est pas une démocratie du tout. C’est un [sic] nouvelle style d’utilisation (ici, avec deux doigts de chaque main, l’ancien diplomate esquisse des guillemets imaginaires) du système démocratique, de façon plus perverse, la même démocratie populaire que l’Europe communiste, mais utilisée avec la symbologie [terme vieilli, mais correct] d’une démocratie représentative.]

Maryse Burgot : "Même discours chez ces étudiants des classes aisées". [Vue d’une terrasse de café ombragée sous une pergola]. "Eux ne voient pas vraiment de raison d’aller se prosterner devant le corps de Chavez". [Déclaration d’un étudiant : "Tout ce que le gouvernement fait, c’est donner l’argent directement aux pauvres. Et alors les pauvres cessent de travailler. On ne génère pas de l’emploi dans le pays, l’économie ne grandit pas et on dépend politiquement du gouvernement pour qu’il continue à nous donner l’argent".

[Remarque : l’étudiant est présenté avec son nom et son âge, Pierre Aivasousky, étudiant, 20 ans. Il parle français sans accent et n’a pas le type sud-américain - métissé de Blanc, d’Amérindien, de Noir - qu’on a vu chez les partisans d’Hugo Chavez, mais il est, au contraire, roux, avec un aspect très "européen" Est-il même Vénézuélien ? Compte tenu de son prénom - plus, d’ailleurs, que son nom - l’un de ses parents ne serait-il pas français, suisse ou belge ?].

Maryse Burgot : "Reste qu’une majorité de la population supporte [sic] le chavisme. Ils seront aujourd’hui plusieurs millions à assister aux funérailles nationales de leur leader défunt".

Remarques.

1. Elise Lucet dit "Certains restent critiques" comme si ces "certains" se distribuaient de façon aléatoire dans la population - ce qui témoignerait de leur généralité, c’est-à -dire de leur représentation dans tous les milieux sociaux ou tous les lieux d’habitat -, alors que (le reportage de Maryse Burgot le montre), ils se recrutent surtout parmi les plus aisés du pays, surtout parmi ceux qui n’ont pas été métissés de Noirs ou d’Amérindiens. Même s’ils sont nombreux, ils sont une particularité (une grosse particularité, certes), mais ils ne sont pas une généralité. L’opposition à Chavez - mais Maryse Burgot ne prononce pas ce gros mot - est donc une opposition de classe...

2. Maryse Burgot parle de "communion collective". Une communion est forcément collective : Tout se passe comme si, avec cette redondance, Maryse Burgot voulait faire surgir une connotation sans en prononcer le nom : "communion" et "communisme" ont la même racine mais la "communion", c’est tout de même très catholique. Alors, il faut tirer du côté des "Rouges" en lui accolant ce "collectif", qui rappelle tant le "collectivisme" honni des discours de la droite. [Et, pour les durs d’oreille, Maryse Burgot parle de "culte de la personnalité", qui ne peut manquer d’évoquer la figure de Staline - ou de Mao ou de Kim Il Sung].

3. Dans les commentaires, on relève les termes de "solennel", "communion", "se recueillir", "éternité", "se prosterner", qui relèvent du registre religieux. Tous ces termes, disséminés dans le discours, instillent subrepticement une idée de culte, avec ce que, rendu à un homme, il comporte de connotations négatives : idolâtrie, gourou, irrationalité, foi aveugle, endoctrinement, fanatisme. Le chavisme prend les couleurs d’une grosse secte...

[3bis. On notera que cette suggestion de dérision n’est pas du tout présente, dans les discours des médias, lorsqu’il s’agit de parler du pape : là , la dévotion est présentée comme naturelle, digne, honorable. Et pourtant, d’un simple point de vue théologique, n’est-ce pas une épouvantable idolâtrie que de témoigner une telle révérence à un homme, alors que le culte ne doit être rendu qu’à Dieu seul ?].

4. Cette idée de secte est appuyée par le terme de "leader", dont Maryse Burgot qualifie Hugo Chavez (pour sa part, Elise Lucet parle de "comandante"). Mais un leader, c’est un chef, un porte-parole, un dirigeant, qui ne doit sa position qu’à son aura (talent oratoire, capacités de commandement, finesse psychologique)... à l’instar d’un gourou, d’un chef de secte ou de parti. Mais ce n’est pas d’un leader dont les Vénézuéliens vont célébrer les funérailles, mais d’un président, c’est-à -dire de quelqu’un de régulièrement élu, institutionnalisé, reconnu par les gouvernements étrangers, c’est-à -dire à la fois de légitime... et de légal. En l’appelant "leader", Maryse Burgot lui conserve, certes, sa légitimité... mais lui ôte un peu de sa légalité.

[4bis. Le grade de "comandante" dont Elise Lucet affuble Hugo Chavez ne peut pas non plus ne pas évoquer la célèbre chanson "Hasta siempre, comandante Che Guevara", dont le révolutionnaire mort en 1967 fut le plus célèbre titulaire, chanson connue au-delà des milieux de gauche. Or, Che Guevara, c’est aussi, dans l’esprit du grand public (pas forcément bien disposé...), un mélange de folklore, de violence... et d’échec.].

5. A la fin, Maryse Burgot dit que la population "supporte" le chavisme, ce verbe "supporter" étant employé (comme un faux ami) au sens anglais de "soutenir" (dont on a dérivé le supporter d’une équipe de football). Or, en anglais et en français, le verbe a deux sens opposés : quand on "supporte" quelqu’un (en français), c’est précisément qu’on ne le "supporte" plus (en anglais). Dans son commentaire plus ou moins bienveillant sur Hugo Chavez, où Maryse Burgot doit reconnaître - du bout des lèvres, avec son "Reste que" - que la majorité des Vénézuéliens aiment Chavez, ce "supporte" est-il une maladresse... ou un lapsus ?

6. Dans les reportages apparaît une constante (qui se vérifie dans toutes les grèves, défilés, et, en général, manifestations de gauche) : les partisans d’Hugo Chavez - pauvres, de gauche - sont filmés debout, à l’extérieur (dans une tente pour la femme sur une civière), alors que ses opposants - riches, de droite - sont filmés dans des lieux clos, ou quasi-clos (une terrasse de café ombragée) et assis. On y exprime là , symboliquement, l’opposition entre des individus errants, sans domicile (des nomades, des gueux, des partageux) et des gens bien installés et
disposant d’une "assise" (dans tous les sens du terme).

[6 bis. Par ailleurs, pour l’élocution, on notera que les partisans de Chavez (comme d’ailleurs les syndicalistes ou grévistes) sont toujours présentés comme parlant fort - voire criant ou hurlant - des phrases courtes, gorgées d’émotion, quelquefois des slogans, alors que les opposants de droite parlent d’une voix posée, font des phrases longues, élaborées. (Comme d’ailleurs après une manifestation, lorsqu’on interroge un PDG, il est souvent derrière un bureau vaste comme un pont de porte-avions, et il s’exprime de façon posée, le regard errant parfois, au-delà de l’interviewer, sur la ligne bleue des courbes de productivité).]

Philippe Arnaud

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COMMENTAIRES  

09/03/2013 14:54 par SEPH

France 2 et France 3 sont aussi pires que TF1, sinon plus.
Que TF1 bave sur les révolutionnaires ou sur les pauvres c’est normal, car TF1 appartient à des milliardaires qui ont volé le peuple pour faire fortune.

Mais France 2 et France 3 sont franchement réactionnaires et pro-sionistes et pro états-unien. Les informations sur la mort de Chavez données par ces 2 chaines ont réussi le tour de force d’être très nettement plus abjectes que TF1

La raison, est que Chavez était pour le peuple palestinien spolié , contre le sionisme, contre cet État terroriste et d’apartheid qu’est Israël. Cela ne passe pas surtout à France 2 et France 3 qui mentent lorsque les choses les gêne ou qui justifient les guerres coloniales de l’occident.

Ce n’est pas avec Hollande que les choses vont changer.. On est dans la continuité de son prédécesseur.

09/03/2013 14:59 par Haleks

Bonne analyse ! On peut également ajouter le choix du sujet suivant, surement pas anodin, qui portait sur la nouvelle provocation de Kim Jong-Un suite à la dernière sanction des nations unies ...

09/03/2013 15:11 par vm

Bien vu tout cela !
J’ajoute deux remarques : à l’occasion d’un sujet sur les femmes en l’honneur du 8 mars, la question posée par Elise Lucet était de savoir si les femmes en 2013... "aiment leur corps" ! Sexistez, sexistez, il en restera toujours quelque chose...
La deuxième remarque est que j’ai entendu distinctement Maryse Burgot dire de la foule aux obsèques de Hugo Chavez - avec une petite minauderie de compassion ironique - : "la foule...sans doute manipulée..."
Alors celle de la place St Pierre, pour un pape en outre quelque peu failli, représenterait "un moment de la conscience humaine" ?

09/03/2013 19:12 par Escoe

Il est grand temps de dépujadiser et délengletiser la télévision publique qui fonctionne avec nos redevances. Ces derniers jours la manipulation de l’opinion a atteint des sommets.

09/03/2013 20:49 par Eric

Merci, c’est exactement ce que j’avais pensé en regardant ce morceau de journal... Mais personne n’est dupe de ces reportages revisités, la preuve la déclaration de l’envoyé de l’Elysée aux obsèques du camarade-président Chavez... continuons notre chemin, même sinueux, l’avenir est au bout... Alors merci pour ce texte plein de vérité, et la vérité est révolutionnaire, c’est la raison de leurs mensonges..

09/03/2013 21:06 par benoit serrano

La presse dominante l’a mauvaise... Ils savent que le Vénézuela n’est pas une dictature, ils savent que les opposants sont les nantis (qui ne sont pas devenus pauvres depuis Chavez... soit dit en passant). Ils ont du mal à rendre leurs mensonges crédibles tant la vérité est criante, et çà leur fait bien ch..r ! A un tel point qu’ils se contredise eux-même.
Je n’ai jamais autant lu la presse mainstream que depuis le décès du président élu Chavez, tant les articles de ces torchons sont à crever de rire, vomissant de mauvaise foi tel un gosse qui cherche une excuse bidon pour se justifier.
Et ce qui les fait rager, c’est ce culte de la personnalité ! Oui il y a un culte de la personnalité, c’est indéniable. Mais à la différence des vrais dictateurs, ce culte émane du Peuple et non du dirigeant...

09/03/2013 21:34 par BM

Merci de me rappeler pourquoi je ne regarde plus la télé.

09/03/2013 22:04 par yo

Bien d’accord avec Benoit Serrano, toute cette chiée médiatique est avant tout à mourrir de rire, enfin personnellement quand je lis ça je ne peux pas m’empêcher de rire. En fait ce qu’on peut repprocher aux médias finalement, c’est d’avoir changé de vocation sans nous prévenir, un peu comme Bigard sauf que lui l’a fait dans l’autre sens, un jour ça lui a pris, il est passé de l’humour, à l’information. Et finalement France 2 est aussi doué dans l’humour que Bigard pour nous informer, et aussi mauvais pour informer que Bigard pour me faire rire (sauf quand il cherche à informer mais là ça devient complexe à théoriser...).

Bref pour être un peu sérieux aussi, les médias cherchent à nous opposer à Chavez en nous faisant nous sentir plus proches de ses opposants que de ses partisants. Ils jouent pour ça sur l’affect, car si ils nous laissaient analyser un peu la situation d’un point de vue social et économique, nous (classes populaires, défavorisées etc... et ceux qui les soutiennent - et non pas supportent !) nous rendrions inévitablement compte que le groupe social au Vénézuela qui nous correspond ici, ce sont les pauvres, ceux qui soutiennent Chavez, et qui ont avancé avec lui depuis 14 ans.
Or dans ce type de reportage, on nous montre un riche Vénézuelien dans sa villa. Bien sûr ça ne nous ressemble pas. Mais ça ressemble à ce à quoi les médias ont poussé les peuples occidentaux à s’identifier, à grands coups de people, de feuilleton etc... en jouant sur l’affect donc, nous rendant finalement sensibles au sort de ceux qui nous méprisent et qu’on devrait mépriser plus encore. C’est donc un bon exemple, je pense, de la manière dont tout devient fiction (traduction du "tout devient possible" d’un récent guignol de chez nous) sous leur prisme libéroïdal qui a envahi nos vies et qui nous apprend à aimer notre ennemi !

09/03/2013 22:10 par tchoo

Merci pour ce décryptage très éloquent, pour un reportage que je n’avais pas vu (je risque pas voila, plus de trois ans que je regarde plus un seul journal télévisé, je tiens à ma santé)

10/03/2013 08:49 par Spartacus

Combien sont ceux qui comme vous découvre la grande manipulation ? A la vue des saints votes...pas beaucoup hélas !
De plus, à part constater encore une fois le délabrement de ce vieux média, que faire pour que les poulets citoyens s’en rend compte en masse . Écrire un article au Grand Soir . Mais, seuls ceux qui savent lisent.
La technique et le fric les aideront à conforter leur élevage, la lutte est inégale. Alors on peut espérer la mener en éduquant, informant...on touchera toujours une minorité de gens qui cherchent à savoir et qui passaient par là .
On peut se gorger de faux espoirs à la candidature d’un Mélenchon, tout retombe après et pour cause : les médias matraquent les cerveaux à longueur de temps pour que personne ne sort du poulailler.
Ils dénoncent la violence des goodyears mais pas celle du patronat, l’hégémonie de Chavez mais font une amnésie sur la période qui précède sa présidence. Ils refusent la vérité car la matrice doit rester en place pour leur petit confort matériel, tant pis pour leur conscience, ils improviseront sûrement à la veille de leur mort.
Le Venezuela n’est pas la preuve que l’on puisse y arriver en douceur, son histoire est bien particulière et lui appartient. En Europe, il serait temps de penser à autre chose qu’à écrire sur du papier....

11/03/2013 11:44 par CN46400

Gaffe les mecs à vos titres. La dernière fois qu’une secte a réussi, çà dure depuis 2000 ans, vous voyez Lucet dans 2000 ans en train de vociférer sur Chavez ?

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