Aux États-Unis, 32 États sur 50 appliquent encore la peine de mort.13 personnes ont été exécutées depuis janvier 2015. Plus de 3000 condamnés attendent dans les couloirs de la mort. On va taire par pudeur la cruauté de ces exécutions. L’arme politique que constitue la peine capitale est essentiellement utilisée contre les classes défavorisées : 80% des condamnés sont sans ressources (1). Les privilégiés quant à eux, même en commettant les pires crimes, ont tous les moyens d’échapper à la mort.
Aux condamnations de classes, s’ajoutent les préjugés de race. La peine de mort constitue un indicateur essentiel du racisme anti-Noir qui règne aux Etats-Unis. Ainsi, 42 % des condamnés sont noirs alors qu’ils ne représentent que 12 % de la population totale (2). 98 % des Procureurs, c’est à dire ceux qui décident réellement de la vie ou de la mort des accusés, sont blancs ! (3).
Les crimes perpétrés par la police contre les citoyens noirs et pauvres se succèdent et se ressemblent. Des policiers blancs tirent à plusieurs reprises sur des Noirs désarmés. Les policiers criminels sont très rarement condamnés (4). La complicité du système judiciaire étasunien avec l’institution policière est totale.
L’oppression raciale et l’oppression économique vont de pair. L’oppression raciale sert de justification et de légitimation à l’oppression économique. Pour comprendre cette relation et cette violence extrême exercée sur les Noirs et les plus démunis en général, pour mieux les exploiter, il faut remonter aux XVIIème et au XVIIIème siècles avec la création des plantations coloniales qui nécessitaient une main-d’œuvre massive et servile.
Après l’extermination des Indiens, les Anglais et les Français ont d’abord utilisé des esclaves blancs venus d’Europe. Mais avec le développement prodigieux des plantations de riz, coton, tabac et autres canne à sucre, le travail des esclaves blancs ne suffisait plus. L’importation d’esclaves africains devenait vitale pour la survie des plantations. L’Afrique est ainsi transformée comme disait Marx « en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires » (5). Il fallait absolument fournir ces plantations en force de travail la plus servile et la plus rentable possible :« Les esclaves sont envoyés dans toutes les plantations étasuniennes de Sa Majesté qui ne peuvent subsister sans eux » (6). Aucun planteur n’était encore prêt à embaucher des salariés.
Ainsi la richesse fabuleuse accumulée par les planteurs étasuniens était produite, sous le fouet, par des Africains arrachés à leur continent par la force et la violence. Combien ont succombé à leurs souffrances dans les champs de coton, de tabac ou de canne à sucre ? Combien ont été castrés, mutilés, lynchés (7), brûlés vif, ou encore pendus ? Nul ne le sait avec précision.
A cette époque c’est à dire fin XVIIème et début du XVIIIème siècle, les esclaves blancs et noirs étaient considérés comme une main-d’œuvre servile et rentable, traités par conséquent avec la même violence. Les historiens rapportent même leurs luttes communes contre l’esclavage : « Parce qu’ils travaillent ensemble dans les mêmes champs, les premiers Américains de race noire et de race blanche, à l’exception des aristocrates, ont tissé de puissants liens de sympathie et de réciprocité. Ils se sont révoltés ensemble » (8). L’esclave noir n’était pas considéré comme un être inférieur ou supérieur à l’esclave blanc. Seules comptaient leur productivité et leur rentabilité. On ne trouve dans les écrits des trafiquants d’esclaves de cette époque aucune trace, aucun relent de racisme (9).
L’apparition du racisme anti-Africain a commencé avec la lutte pour l’abolition de l’esclavage dans un contexte de développement du salariat en Europe et en Amérique du Nord. Pour faire face à cette menace, défendre leurs privilèges et perpétuer l’esclavage, les planteurs, les marchands d’esclaves et les esclavagistes en général ont utilisé des théories pseudo-scientifiques montrant que le Noir se rapproche davantage du singe que de l’homme (10). Les Blancs (les européens) sont donc supérieurs aux Noirs (les Africains) physiquement et intellectuellement. Le racisme vient ainsi justifier et légitimer l’esclavage. Le concept économique et social de l’esclavage est devenu un concept racial. Le racisme est un produit authentique de l’esclavage.
Le racisme anti-Noir s’est nettement développé par la suite. Il a fallu toute une guerre civile (guerre de Sécession 1861/1865), dont le rôle des anciens esclaves était décisif, pour mettre un terme au commerce des êtres humains entre l’Afrique et les États-Unis.
Si l’esclavage a été aboli, au moins formellement, le racisme quant à lui continue à se développer au grès des vicissitudes du développent du capitalisme. A l’esclavage succède le salariat, nouvelle forme de servitude. Le racisme doit s’adapter à son tour, sans disparaître totalement, à la nouvelle forme d’exploitation pour mieux la servir.
Malgré la nouvelle situation, le Sud défait, humilié et ruiné continuait pourtant à s’accrocher à ses valeurs esclavagistes et racistes. La frustration et la haine du Noir devenu citoyen, ont créé un climat propice au développement d’organisations terroristes et racistes. La plus connue et la plus violente aussi est certainement le Ku Klux Klan. L’organisation jouissait à ses débuts d’une grande popularité et d’une complicité des autorités politiques (président Andrew Johnson) et judiciaires( codes noirs, lois Jim Crow). Le Klan se présentait comme le défenseur de la suprématie de la race blanche menacée par le péril noir. Sa priorité était de s’attaquer aux noirs affranchis. L’organisation ne reculait devant aucun moyen pour terroriser la population noire : lynchages, bûchers sur les places publiques, pendaisons, assassinats, mutilations, viols etc. Il est difficile de donner un nombre précis des victimes noires du Klan (11).
Le Ku Klux Klan a connu plusieurs vies et plusieurs versions différentes de 1865, date de sa création, à aujourd’hui sans jamais abandonner réellement sa doctrine originelle, la suprématie de la race blanche et la haine du noir même si le racisme basé sur la supériorité biologique n’a aucune base scientifique. Le Klan a mené en fait un combat d’arrière garde. Il n’a jamais compris que l’esclavage ne correspondait plus à la réalité d’un capitalisme en plein développement et que le prolétaire avait remplacé l’esclave. De surcroît le prolétaire noir est plus rentable et plus corvéable que le prolétaire blanc.
Mais le nouveau Klan tente de s’adapter, avec beaucoup de retard et de difficultés, à la réalité d’aujourd’hui. Car le Ku Klux Klan est toujours utile pour la classe dominante ne serait-ce que pour entretenir et perpétuer, par son agitation et les préjugés raciaux qu’il propage, la division au sein de la classe ouvrière. Le Klan a réussi à transmettre à de nombreuses organisations racistes cette culture de violence et de haine envers la population noire. C’est d’ailleurs l’une de ces organisations, le « New Empire Knights of the Ku Klux Klan » se réclamant du Klan, qui a appelé à soutenir Darren Wilson le policier qui a assassiné le jeune Noir Michael Brown à Ferguson le 9 août 2014. Pour cette organisation, le policier blanc « n’a fait que son boulot contre le nègre criminel » (12).
Selon une équipe canadienne de recherche sur le terrorisme, le Klan entretient des relations étroites avec l’armée et les marchands d’armes (13). Mais, en dernière analyse, le Ku Klux Klan n’est qu’un instrument parmi tant d’autres entre les mains de la bourgeoisie américaine.
Le racisme, la violence et d’une manière générale l’oppression de classe et de race ne sont que des moyens au service du profit et de l’accumulation du capital. Le racisme a servi dans le passé l’esclavage, il sert aujourd’hui, sous des formes différentes, l’esclavage capitaliste, le salariat. Il est vrai aussi que cette violence revêt une dimension spécifique aux États-Unis du fait du fardeau de l’histoire. Le travailleur noir subit l’exploitation de classe mais aussi l’oppression de race. Pour les travailleurs noirs, la lutte contre le racisme est un combat quotidien, vital. Ils affrontent constamment, entre autres, les brutalités policières et la violence d’un système judiciaire qui les envoie souvent et injustement dans les couloirs de la mort. Mais la lutte des travailleurs noirs, aussi fondamentale soit-elle, ne suffit pas à les libérer des chaînes du capital. L’alliance avec les travailleurs blancs est indispensable pour améliorer leurs conditions quotidiennes d’existence et surtout pour entreprendre ensemble une lutte d’envergure pour l’abolition du salariat source de leurs division et de leur oppression.
Mohamed Belaali