Les familles des Palestiniens qui ont attaqué des Israéliens luttent pour survivre après la destruction de leurs maisons au titre d’une politique punitive controversée.
Ramallah en Cisjordanie occupée - Hassan Ankush, appuyé sur sa canne, erre en boitant au milieu des décombres carbonisés de la maison où il vivait depuis 40 ans dans le village de Deir Abu Mashaal.
« Tuer mon fils n’a pas suffi aux Israéliens », a-t-il confié à Al Jazeera. « Il fallait aussi qu’ils viennent détruire ma maison. »
Comme d’autres familles palestiniennes dont les proches ont commis des attentats ou des attentats présumés contre des Israéliens, Ankush n’a rien fait de répréhensible. Il fait partie des victimes de la politique israélienne, largement condamnée, consistant à punir les familles des Palestiniens qui ont attaqué des israéliens en démolissant leurs maisons.
Selon le groupe de défense israélien B’Tselem, des milliers de Palestiniens ont été déplacés suite à la destruction de leur maison. Le gouvernement israélien affirme que l’objectif est la dissuasion, mais pour le porte-parole de B’Tselem, Amit Gilutz, il s’agit d’une forme de « châtiment collectif » et d’une violation flagrante du droit international.
« Ils ne peuvent rien nous faire de pire que de tuer notre fils »
Ankush se souvient du jour où il a appris la mort de son fils de 18 ans pendant le mois sacré musulman du Ramadan. « Nous étions en train de partager l‘Iftar dans la maison d’un voisin quand nous avons entendu la nouvelle que trois Palestiniens avaient été tués après une attaque à Jérusalem », a expliqué Ankush à Al Jazeera, ses grands yeux tristes errant sur les restes dispersés de son ancien foyer.
L’autre fils d’Ankush, Tareq, l’a appelé quelques minutes plus tard, pour lui dire que son frère, Adel, était peut-être un de ceux qui avaient été tués.
« Je ne l’ai pas cru », a déclaré Ankush. « Adel est encore un enfant. Qu’est-ce qui a bien pu le pousser à participer à une pareille attaque ? »
Mais quand Ankush est rentré chez lui ce soir-là, le quartier était rassemblé autour de sa maison. « Que ton fils repose en paix ! », lui a dit son voisin.
"Mon sang s’est glacé », a déclaré Ankush. "Je ne pensais pas que mon fils était capable de faire une chose pareille ».
Le 16 juin, Adel, ainsi que deux autres jeunes de Deir Abu Mashaal - Osama Atta, 19 ans, et Baraa Atta, 18 ans - ont mené une attaque dans la vieille ville de Jérusalem-Est occupée, frappant mortellement Hadas Malka, un ancien policier israélien de 23 ans. Tous les trois ont été abattus par les forces israéliennes sur les lieux de l’attaque.
Ankush a tout appris à la télévision. Les Israéliens ne lui ont fourni aucune information. « Les seules informations officielles qui m’ont été fournies, l’ont été par des soldats israéliennes qui ont pénétré chez moi par effraction pour me donner un papier disant que ma maison allait être démolie ».
Les musulmans du monde entier célébraient alors la fête d’Eid al-Fitr qui suit le Ramadan, mais les résidents de Deir Abu Mashaal ont annulé toutes les festivités. Au lieu de cela, ils ont mis des T-shirts noirs avec la photo d’Adel, de Baraa et d’Osama et ont participé à une marche silencieuse dans le village.
Le mois dernier, des soldats israéliens ont fait un raid à Deir Abu Mashaal et ils ont rasé les maisons des trois familles. Ils ont mis des explosifs autour de la maison d’Ankush et l’ont fait exploser.
« Bien sûr, ça ne va pas être facile de vivre sans notre maison, a déclaré Ankush, mais ce n’est rien à côté de la perte de notre fils. Ils ne pouvaient rien nous faire de pire. »
Six personnes, dont Maisa, la sœur de 11 ans d’Adel, vivaient dans la maison d’Ankush. Même avant la démolition, la famille avait du mal à joindre les deux bouts. Maintenant, ils doivent louer une maison dans le village. Ankush n’est toujours pas complètement remis d’un accident vasculaire cérébral qui l’a paralysé il y a quatre ans, c’est sa femme qui va être obligée de faire vivre la famille.
Le caractère de Maisa s’est brusquement altéré après la mort d’Adel et la démolition de leur maison. Selon Ankush, elle se met vite en colère et est sujette à des crises d’anxiété. Interrogée sur la politique de démolition des maisons d’Israël, Maisa a déclaré tout net à Al Jazeera : « C’est tout à fait injuste ».
La démolition de la maison fait partie de toute une série de punitions infligées à la famille, à la suite de la mort d’Adel. Une semaine après l’attaque, la femme d’Ankush a été détenue pendant 15 jours par les autorités israéliennes, et elle doit maintenant répondre à l’accusation d’incitation au meurtre. Ankush lui-même a été détenu et interrogé pendant quatre jours, mais aucune accusation n’a été portée contre lui.
Israël a également gardé les corps d’Adel, d’Osama et de Baraa. Bien qu’un procès pour que leurs corps, ainsi que ceux de six autres Palestiniens, soient restitués aux familles soit en cours à la Cour suprême d’Israël, les autorités israéliennes ont fait enterrer quatre des corps, ce mois-ci, en Israël, dans le « cimetière des chiffres » où les tombes portent uniquement de chiffres, et où on pense que des centaines de Palestiniens tués par les forces israéliennes sont enterrés.
Ankush ne sait pas si le corps de son fils lui sera rendu. Il pense qu’Israël cherche à « torturer » le plus possible les familles palestiniennes. « Mon fils a commis un crime, et ils l’ont tué. Ils [les Israéliens] se sont fait justice. Pourquoi doivent-ils aussi nous voler son corps et détruire notre maison ? »
« Ils veulent détruire jusqu’à son souvenir »
Baraa était la plus jeune de la famille. Les autorités israéliennes ne lui ont permis d’aller visiter Jérusalem qu’une seule fois, à l’âge de huit ans, a dit sa mère, Umm Nidal. La seconde fois qu’il est allé à Jérusalem, il y est entré sans permission et il y est mort.
Peu avant sa mort, Baraa a passé environ quatre mois dans une prison israélienne pour avoir travaillé en Israël sans les autorisations nécessaires. Il y était détenu avec son frère aîné, Mohammad, et son beau-frère, Munther. Une semaine après avoir été relâché, il a perpétré l’attaque.
Les soldats israéliens ont fait des raids dans la maison d’Umm Nidal toutes les nuits qui ont suivi l’attaque. Selon la famille, au moins 15 amis de Baraa dans le village ont été arrêtés par l’armée israélienne, dont trois sont encore en prison.
Quand les autorités pénitentiaires israéliennes ont compris que Mohammad et Munther étaient des parents de Baraa, ils les ont décrétés « prisonniers de sécurité » et Munther a été placé à l’isolement, a indiqué, à Al Jazeera, Tahani, la sœur de Baraa et la femme de Munther.
Lors des raids, les soldats déchiraient les affiches que la famille avait collés aux murs de la maison, ainsi que d’autres photos de Baraa, d’Adel et d’Osama postées dans le village. Parfois, les soldats israéliens lacéraient les photos au niveau des yeux, a ajouté Tahani.
Lorsque les forces israéliennes ont démoli la maison de la famille, il n’y avait que des femmes et des enfants à l’intérieur.
« Un soldat m’a dit de sortir les enfants de la maison. Pendant que j’essayais de calmer les enfants, le soldat me criait dessus », a raconté Umm Nidal. « Le soldat, qui était juste en face de moi, m’a tiré une bombe assourdissante dans la hanche ».
Des dizaines de soldats israéliens ont envahi la maison en tirant des gaz lacrymogènes sur la famille, a-t-elle dit, et les enfants ont commencé à étouffer à cause du gaz. Un bulldozer israélien a ensuite abattu la maison de deux étages.
« Une maison ne sera jamais aussi précieuse pour moi que la vie de mon fils », a confié Umm Nidal, assise devant la maison de son autre fils, où elle réside maintenant. Les murs sont couverts d’affiches avec les photos des trois Palestiniens morts. « Chaque coin de cette maison nous rappelait Baraa. Mais maintenant, tout est fini. »
Lors de la démolition, Umm Nidal a supplié les soldats de ne pas arracher le carrelage que Baraa avait posé dans la cour, mais ils l’ont quand même partiellement détruit pendant la démolition.
« Cela m’a anéantie quand les soldats l’ont arraché », a-t-elle déclaré. « C’était comme s’ils voulaient éliminer toute trace de l’existence de Baraa ».
Le lendemain de la démolition, les résidents du village se sont réunis pour remettre le carrelage. « La démolition les affecte psychologiquement, nous a confié Umm Nidal, mais le soutien et la solidarité des villageois de Deir Abu Mashaal leur est d’un grand réconfort. « Personne ici ne dort jamais dans la rue », a-t-elle ajouté.
Tahani craint que la démolition de la maison de la famille ne l’empêche de se souvenir de Baraa aussi bien qu’elle l’aurait voulu. « Baraa était un enfant très timide », a-t-elle déclaré. « Cette maison était remplie de souvenirs de lui. Même la salle de bain, car c’était là que Baraa se cachait quand ma mère ou moi invitions d’autres femmes à la maison... Il n’en sortait que quand nos invitées étaient parties » a-t-elle ajouté avec un pauvre petit rire.
Selon sa famille, Baraa était un jeune homme calme et bien élevé, mais, malgré la douceur de son caractère, ils n’étaient pas surpris qu’il ait participé à cette attaque.
« La politique israélienne ne fait qu’ajouter de la haine à la haine », a déclaré Umm Nidal.
« Regardez tous ces enfant », a-t-elle conclu en montrant un groupe d’enfants qui jouaient à l’endroit où leur maison se tenait auparavant. « Ils grandissent en voyant leurs amis et leurs frères et sœurs arrêtés et tués. Presque tous les soirs, ils voir des soldats faire irruption dans le village et entrer par effraction chez les gens.
« Israël a démoli leur maison sous leurs yeux », a-t-elle poursuivi. « Ces enfants comprennent très jeunes ce qui se passe autour d’eux. Comment les Israéliens peuvent s’étonner que plus ils grandissent, plus ils les haïssent ? »
Jaclynn Ashly, pour Chroniques de Palestine
Traduction : Dominique Muselet