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Palestine : laissez vivre nos enfants, par Nurit Peled.








26 janvier 2007.


Bassam Aramin a passé 9 années dans une prison israélienne pour avoir été membre du Fatah dans le district de Hébron, et pour avoir essayé de tirer une grenade sur une jeep de l’armée israélienne qui patrouillait dans Hébron occupée. Mercredi matin, un soldat israélien a tiré dans la tête de sa fille de neuf ans, Abir. Le soldat ne passera pas même une heure en prison. En Israël, les soldats ne sont pas emprisonnés pour avoir tué des arabes. Jamais. Que les arabes soient des vieux ou des enfants, des terroristes réels ou potentiels, des manifestants pacifiques ou des lanceurs de pierres. L’armée n’a ouvert aucune enquête sur la mort de Abir Aramin. La police, ni aucune cour, n’ont enquêté sur personne. Il n’y aura aucune enquête. En ce qui concerne les Forces de Défense Israélienne (IDF) le tir n’a jamais eu lieu. La version officielle de l’armée israélienne sur la mort d’Abir déclare qu’elle a été touchée par une pierre lancée par un de ses camarades de classe contre « nos forces ».

Nous qui habitons en Israël, nous savons que les pierres tirées par un enfant de dix ans ne font pas sauter les cerveaux. De même que nous voyons par contre tous les jours les jeeps israéliennes entourer les enfants palestiniens alors qu’ils vont et viennent à l’école, les saluer avec des stun-bombs, des balles de « caoutchouc » et des gaz lacrymogènes. Une balle a pénétré dans le crâne de Abir Aramin alors qu’elle sortait de son école avec sa soeur. Je l’ai vue tout de suite après à l’hôpital de Hadassah, où elle dormait calmement dans un immense lit d’hôpital. Le visage de Abir était blanc. Ses grands yeux clos. A ce moment là , son cerveau était déjà cliniquement mort, et les médecins étaient en train de décider s’il fallait permettre aussi au reste d’elle-même de l’être. J’ai clairement vu que sa tête avait été blessée par un tir dans le dos. Un jeune étudiant qui a témoigné à propos de sa blessure a déclaré aux journalistes que la police israélienne des frontières, qui fait partie de l’IDF, a poursuivi les fillettes dès qu’elles sont sorties d’examens qu’elles avaient passé à l’école. « Les fillettes étaient épouvantées et ont commencé à s’échapper. La police des frontières les a poursuivies dans la direction où elles essayaient de s’enfuir. Abir avait peur et s’est arrêtée devant un des magasins qui sont sur le bord de la route. J’étais à côté d’elle. Le policier des frontières a tiré à travers un trou spécial qu’ils ont sur la fenêtre de la jeep, qui était très proche de nous. Abir s’est affaissée par terre... J’ai vu qu’elle saignait à la tête ».

Abir Aramin est morte. Les médecins du Hadassah ne communiqueront pas à ses parents et amis la cause de sa mort. Son père, Bassam Aramin, est un des fondateurs des Combattants pour la paix. Mes fils Elik et Guy, qui ont servi dans l’armée israélienne comme soldats dans les territoires occupés, en sont membres eux aussi. Ce sont des amis intimes de Bassam. Bassam nous a dit qu’il ne pourra pas avoir de repos tant que l’assassin de sa fille ne l’aura pas persuadé qu’une fillette de neuf ans, Abir, avait menacé sa vie ou la vie d’autres soldats présents dans la jeep. Je crains qu’il ne trouve jamais de repos.

Abir Aramin s’est unie, dans le royaume souterrain des enfants morts, aux milliers d’autres enfants tués dans ce pays et dans les territoires occupés. Elle, elle sera accueillie par ma petite fille, Smadar. Smadar a été tuée en 1997 par un attentat suicide. Si son assassin avait survécu, je suis certaine qu’il aurait été expédié en prison pour son crime, et sa maison démolie avec le reste de sa famille.

Au même moment, je m’assois avec sa mère Salwa, et j’essaie de lui dire « Nous sommes tous victimes de l’occupation ». Pendant que je le dis je sais que son enfer est beaucoup plus terrible que le mien. L’assassin de ma fille a eu la décence de se tuer lui même quand il a tué Smadar. Le soldat qui a tué Abir est probablement en train de boire une bière, de jouer au backgammon avec ses amis et de sortir en boîte la nuit. Abir est dans une tombe.

Le père de Abir était un guerrier, qui a combattu contre l’occupation - un « terroriste » officiellement, même si c’est une étrange logique celle qui qualifie de terroristes ceux qui résistent à l’occupation et aux privations de leur peuple. Bassam Aramin est encore un combattant, mais comme militant de la paix. Il sait, lui, comme je sais moi aussi, que sa petite fille dorénavant morte emporte avec elle dans la tombe toutes les raisons de cette guerre. Ses petits os n’ont pas pu supporter le poids de la vie, de la mort, de la vengeance et de l’oppression avec laquelle chaque enfant arabe est obligé de grandir.

Bassam, en tant que musulman, doit affronter une épreuve : comme homme d’honneur il ne doit pas chercher vengeance, il ne doit pas se rendre, il ne doit pas négliger la lutte pour la dignité et la paix sur sa terre. Quand il m’a demandé où j’ai trouvé la force de continuer, je lui ai dit l’unique chose à laquelle je pouvais penser : chez les autres enfants qu’on nous a laissés. Son autre petite fille, et mes trois autres fils. Chez les autres enfants palestiniens et israéliens qui ont le droit de vivre sans que les plus vieux les forcent à être des occupants ou des occupés. Les soi disants lumières, le monde occidental éclairé ne saisit pas ce qui se passe ici. Le monde éclairé, dans sa totalité, reste de côté, et ne fait rien pour sauver les fillettes de leurs soldats assassins. Le monde éclairé accuse l’Islam, comme auparavant il culpabilisait le nationalisme arabe, pour toutes les atrocités que le monde non musulman est en train d’infliger aux musulmans. L’occident éclairé a peur des fillettes qui ont un voile sur la tête. Il est terrorisé par les enfants qui portent le keffieh. Et en Israël, les enfants sont éduqués à avoir peur, plus que tout, des fruits de l’utérus musulman. C’est pour ça que quand ils deviennent soldats ils ne voient rien de mal à tuer les enfants palestiniens « avant qu’ils ne grandissent ». Mais Bassam et Salwa et nous tous - Juifs et Arabes victimes de l’occupation israélienne - nous voulons vivre ensemble ainsi que nous mourons ensemble. Nous voyons nos enfants sacrifiés sur l’autel d’une occupation qui n’a aucune base légale ou juridique. Et, au dehors, le monde éclairé justifie le tout et envoie d’autres sous aux occupants.

Si le monde ne retrouve pas la raison, il n’y aura rien d’autre à dire ou écrire ou écouter sur cette terre que les pleurs silencieux du matin et les voix muettes des enfants morts.

Nurit Peled-El Hanan

Reçu de Nurit Peled-ElHanan, et traduit de la version italienne de Teresa Maisano, par Marie-Ange Patrizio.




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