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Mais un état palestinien est-il encore possible ?

[Les effets de l’épuration ethnique sont irréversibles : jamais un Etat palestinien ne se dressera sur les ruines de Gaza et de la Cisjordanie. La seule perspective, hautement problématique mais sans alternative, est celle d’un Etat israélo-palestinien, laïc et égalitaire. Il faut penser à une formation politique pluraliste à l’intérieur de laquelle toutes les communautés palestiniennes, y compris les « arabes israéliens » de Galilée et les réfugiés aujourd’hui dispersés au Liban, en Syrie et en Jordanie, jouissent d’une pleine souveraineté fédérale.]




Il manifesto, jeudi 7 décembre 2006.


Au début des années 60, j’ai eu la chance de rencontrer à Florence, et d’interviewer, Martin Buber un des philosophes européens les plus importants du siècle dernier. Juif, d’orientation existentialiste et socialiste, il était considéré comme le père spirituel du nouvel Etat hébreu. Son visage hiératique et son allure austère inspiraient le respect que l’on doit à un grand penseur, portant années et sagesse.



Buber était en désaccord avec l’idéologie sioniste car il soutenait que le peuple juif en « Terre promise » ne devait pas conduire à la construction d’un Etat ethnico-religieux réservé aux juifs. La patrie juive devait être un lieu ouvert aussi au peuple palestinien. La cohabitation pacifique entre juifs et arabes ne s’obtiendrait jamais en créant un Etat confessionnel qui obligeât les autochtones à abandonner leurs propres terres. La paix ne serait pas garantie, affirmait Buber, même à travers la formation de deux états, un juif et un musulman, comme les Nations Unies l’avaient malheureusement recommandé en 1947.

Le chemin de la paix passait à travers un rapport de coopération fédérale entre les deux peuples, sur des bases paritaires, à l’intérieur d’une structure politique unitaire. Pour atteindre cet objectif il fallait que les juifs émigrés en terre palestinienne se sentent sémites parmi des sémites et non pas des représentants d’une culture différente et supérieure, selon les modèles du colonialisme européen.

Martin Buber, malgré son autorité, ne trouva pas d’audience auprès des leaders sionistes. Menahem Begin, HaïmWeizman et Ben Gourion affirmaient que le devoir des juifs était de reconstruire à partir des fondations, et de moderniser un territoire à moitié désert et arriéré.

L’Etat juif devrait exclure toute relation, sauf de type subordonné et servile, avec la population autochtone. Et c’est au nom de cette logique coloniale que commença en 48 l’exode forcé de grandes masses de Palestiniens - pas moins de 700.000- grâce surtout au terrorisme pratiqué par des organisations sionistes comme la bande Stern et l’Irgoun Zwai Leumi, célèbre pour avoir rasé au sol le village de Deir Yacin et exterminé ses 300 habitants. Ainsi commença ce qu’aujourd’hui un chercheur israélien réputé -l’historien Ilan Pappe- appelle « la purification ethnique de 1948 ».

Selon Pappe la purification ethnique, lancée en mars 1948 avec le Plan Dalet, ne s’est plus arrêtée. La situation actuelle voit désormais le peuple palestinien dispersé dans sa totalité, opprimé, humilié, réduit à la misère et devenu l’objet d’une violence impitoyable. En Israël la purification ethnique est devenue une idéologie d’Etat, parce que c’est le credo sioniste qui l’impose. Si déjà à la fin de 1948, Israël occupait une grande partie de la Palestine mandataire, il l’occupe aujourd’hui à 100% après avoir envahi militairement et colonisé ces 22% exigus qui étaient restés aux Palestiniens.

L’épuration ethnique s’est, au fur et à mesure, accompagnée de la démolition de milliers de maisons, de l’intrusion d’importantes structures urbaines dans la zone arabe de Jérusalem, de l’arrachage de centaines de milliers d’oliviers et d’arbres fruitiers. Et, en parallèle, ont continué l’expansion des colonies juives en Cisjordanie -où les colons sont désormais plus de 400 mille- la construction de dizaine de routes réservées aux colons, la prédation des réserves hydriques, l’installation de centaines de check points (plus de 700), l’incarcération ou l’assassinat « ciblé » de leaders politiques.

A tout cela, par la volonté de Sharon, s’est ajoutée la « barrière de sécurité » qui a enfermé les communautés palestiniennes de Cisjordanie dans des prisons à ciel ouvert. Et aujourd’hui le gouvernement raciste Olmert-Lieberman s’exhibe dans le massacre de femmes et d’enfants, en particulier à Gaza, où les conditions de vie d’un million et demi de personnes sont désormais désespérées, comme l’a montré récemment Sara Roy dans une analyse glaçante.

L’idée qu’aujourd’hui la formation d’un état palestinien soit encore possible -soutient Ilan Pappe- est une illusion pathétique ou une imposture cruelle. Les effets de l’épuration ethnique sont irréversibles : jamais un Etat palestinien ne se dressera sur les ruines de Gaza et de la Cisjordanie. La seule perspective, hautement problématique mais sans alternative, est celle d’un Etat israélo-palestinien, laïc et égalitaire. Il faut penser à une formation politique pluraliste à l’intérieur de laquelle toutes les communautés palestiniennes, y compris les « arabes israéliens » de Galilée et les réfugiés aujourd’hui dispersés au Liban, en Syrie et en Jordanie, jouissent d’une pleine souveraineté fédérale.

Cette idée « bubérienne » est en train de s’affirmer chez les intellectuels juifs éclairés, et pas seulement en Israël. Elle est partagée aussi par des chercheurs de prestige comme Jeff Halper, Virginia Tilley, Sara Roy, et semble se développer aussi dans la population palestinienne. Malgré toutes les objections possibles et justes, personne ne devrait mettre de côté à la hâte la perspective fédérale, en continuant à répéter la ritournelle « deux peuples, deux Etats ».

Quoiqu’il en soit, ce qui semble désormais certain, après la faillite de tous types d’accords, c’est que la paix ne sera pas possible tant que durera l’occupation. Seul un retrait israélien inconditionnel des zones occupées en 1967 peut ouvrir la voie à des négociations qui donnent quelque fruit. La fin de l’« épuration ethnique » est la première condition pour l’ouverture d’un parcours de paix. Et c’est aussi la condition pour que les juifs qui vivent aujourd’hui en Israël aient le droit de demander aux Palestiniens et au monde arabo-musulman d’être acceptés comme part intégrante du Moyen-Orient.

Mais pour obliger les leaders sionistes à faire ce pas décisif il faudrait une mobilisation internationale forte. Il faudrait appliquer à Israël les mêmes mesures que celles qui ont été adoptées contre l’Afrique du Sud de l’apartheid. Il faudrait commencer par l’envoi d’équipes consistantes d’observateurs internationaux à Gaza et en Cisjordanie, et continuer avec de sévères mesures comme l’embargo des armes, les sanctions économiques et le boycott de toutes forme de collaboration, y compris universitaire et scientifique. L’initiative devrait partir de façon conjointe des pays arabes méditerranéens et de l’Europe, et devrait impliquer des grandes puissances régionales émergentes, à commencer par la Chine, l’Afrique du Sud et le Brésil. Même les puissances géographiquement plus lointaines ne peuvent pas ne pas comprendre, comme l’a écrit Ilan Pappe, que nous sommes tous à bord du même vaisseau, sans pilote.

Danilo Zolo


- Source : il manifesto www.ilmanifesto.it

- Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio



Palestine, Gaza : Ecoutez le général Stern, par Gideon Lévy.

Palestine : diviser pour mieux régner, par Michel Warschawski.








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