Les résultats des élections de mi-mandat témoignent du contraste flagrant entre les USA et l’Europe. Il n’y a pas si longtemps, George Bush et les républicains ont semblé avoir quelque chose à dire aux partie européens de droite. Les conservateurs britanniques, en particulier, étaient ravis. En décembre dernier, lorsque Iain Duncan Smith (IDS) a réalisé sa première visite de chef de parti à Washington, le tapis rouge avait été déroulé. Il a vu Bush, Cheney, Rumsfeld, toute la maisonnée de la droite guerrière. Les Américains, qui l’avaient souvent reçu quand il était porte-parole de la défense des Tory pensaient évidemment qu’il comptait. Lui même voyait en Bush un modèle. A son retour, il écrivit article titré "mon projet Manhattan pour une renaissance transatlantique du lien entre les conservateurs [1]".
Toutes les sections de cette réflexion fantaisiste sont maintenant réduites en lambeaux. Bush doit se demander ce qu’il était entrain de faire lorsqu’il a accordé un entretien en tête à tête de 40 minutes au perdant le plus rapide que les Tories aient jamais fait courir. Et maintenant que ce président a atteint le pinacle de sa puissance, et qu’enfin il a gagné une légitimité, il s’avère qu’ IDS, d’après l’expression heureuse de mon collègue Simon Hoggart, est devenu le premier leader de parti dans l’histoire à se transformer en kamikaze. "le jour le plus désespéré," a ajouté le télégraphe, parmi tous les journaux, "dans l’histoire du parti conservateur." Autant pour le projet Manhattan.
Mais c’est l’autre versant de la conjonction maintenant ruinée des droites transatlantiques qui importe vraiment. C’est une question de programmes pas de personnes. Bush a assis son pouvoir avec un ordre du jour qu’aucun parti européen traditionnel ne peut s’attendre à présenter à ses électeurs sans perdre les élections. Le conservatisme du coeur, scellé par Bush et porté par Duncan Smith, fut pendant un certain temps une expression chargée de vérité et de bon sens. Ressassée régulièrement, ses mantra ont aidé Bush à défaire le legs des années Clinton sans en rejeter entièrement le côté ouvert. En revanche, Les victoires de mardi au sénat et au congrès, des triomphes pour la droite, préparent sans équivoque le terrain pour un programme dans lequel la compassion sera consignée au rebus de l’artifice politique où elle s’est probablement toujours trouvée.
Il y a différentes manières de contester cette analyse, et de feindre que les USA n’ont pas fait un choix politique clair. On peut par exemple dire que Bush, a eu la chance d’être au pouvoir en un temps de crise nationale. Si, comme au 11 septembre, la crise réalise l’union nationale, un président serait incompétent s’il n’en tirait sa force, et Bush a prouvé qu’en matière de campagne politique partisane il était un maître. En se présentant comme un chef héroïque - puis, quand les sondages eurent évolué, comme un homme de raison à l’Onu - il a comblé avec Saddam Hussein le vide laissé par Oussama dans son curriculum vitae présidentiel. Peut-être a-t-il gagné en se prétendant combattre le mal au nom de cette grande nation, mais pas comme idéologue.
Il y a aussi d’autres raisons. En tant que candidats sortants, les républicains ont soulevé plus de fonds que les démocrates. Jusqu’à un certain degré, ils ont acheté leurs victoires. Celles ci étaient de toutes façons locales pas nationales. Bush avait en plus devant lui un parti singulièrement inepte. Depuis qu’Al Gore a perdu des élections que le peuple en 2000 lui avait fait gagner, il n’a pas réussi à se transformer en chef de l’opposition. Il n’y avait pas de chef dans l’opposition. Bush, l’héroique challenger du défi du 11 septembre, n’avait personne pour lui tenir tête, à travers qui le pays pourrait exprimer son mécontentement alors que l’économie révèle ses faillites, sans parler des scandales qui corrompent la présidence elle-même.
Tout ceci peut permettre d’expliquer le résultat des élections comme un choix non décisif dont il faudra supporter les conséquences. Mais ce n’est pas suffisant. Même si le processus était tâché, les résultats ne sont pas ambigus. Maintenant que Bush dirige toutes les institutions politiques - Chambre, sénat, Maison Blanche - il peut infiltrer l’ordre judiciaire. Des dizaines de juges fédéraux conservateurs au mandat à vie attendent une confirmation qu’ils peuvent maintenant espérer obtenir. Ceci réorientera de manière permanente les tendances constitutionnelles. Les coupes dans les forêts et les forages dans le désert, au profit d’interêts liés aux entreprises de bois de construction et au pétrole qui venaient de perdre, seront encore moins réversible. Les réductions d’impôt pour les riches en 2001 seront assurées contre la révision, et d’autres réductions d’impôts supplémentaires viendront. Les 40 millions d’Américains qui n’ont pas d’assurance maladie vont continuer à ne pas en avoir. Les axiomes de l’inégalité seront gravés plus profondément dans les piliers de la société américaine.
Aucune de ces préférences n’enthousiasme les Européens, et le meilleur exemple n’en est pas la démocratie sociale allemande mais les conservateurs britanniques. Les républicains s’affirment comme un modèle que le Tories ne peuvent pas suivre. Ceci était évident il y a bien longtemps du temps de Thatcher, quand la part du produit intérieur brut est demeurée obstinément inchangée. La grande prêtresse elle-même éprouvait des difficultés à transformer la Grande-Bretagne en une société à taux d’imposition faible, et elle était de surcroît frustrée par les exigences populaires. Cela n’a pas changé.
Après le vote du budget avril dernier, quand ICM a sondé les électeurs au sujet de l’augmentation des impôts du chancelier Brown, 76% les ont approuvées. De manière plus parlante pour n’importe quel politicien britannique espérant une résurgence de la droite sur le dos de la philosophie de Bush, pas moins de 54% des conservateurs jugeaient que Brown avait fait une bonne chose. Les élections de mi-mandat, donc, assoient définitivement la division Amérique-Europe. Ils définissent une société, plus rigide qu’à tout moment en 50 ans, et qui se porte vers une direction différente. Loin de direaux benighted Tories comment gagner, ils montrent ce que le successeur de IDS devra éviter s’il veut être en phase avec les avec les tendances dominantes de la société britannique. D’est en ouest, dans plusieurs endroits inattendus, parfois marginalement mais toujours décisivement, les électeurs américains ont fait un choix qui les sépare de la plupart des autres sociétés matures.
la question est maintenant de savoir quel rôle ceci va jouer sur la scène internationale. En ce qui concerne le pronostic pour l’Irak cela ne changera pas grand chose. La position américaine était déjà unanime dans sa rigueur. Les démocrates étaient d’accord avec les républicains, et c’était précisément un des problèmes auxquels ils étaient confrontés contre l’héroïque chef de la nation. Bush s’est engagé patiemment dans le processus onusien tout en marquant parallèlement sa volonté d’aller en guerre, et ceci ne changera pas. Pas plus que les arguments opposés. Le mandat que ses partisans ont assuré à Bush a ses limites. Il peut augmenter sa confiance, mais ne fait pas de l’unilateralisme contre l’Irak une option.
C’est cependant la semaine dernière que les USA se sont déclarés un pays différent. Et c’est ce qui marquera l’histoire. La prise du sénat rend par avance possible l’individualisme matérialiste sur beaucoup de fronts. L’état et les communauté battent en retraite. La puissance des entreprises, au lieu d’être souillée par ses crimes récents risque de se renforcer. C’est une voie républicaine, que l’Amérique a maintenant indéniablement approuvé. Un truisme souvent répété dit que ce qui se produit en Californie aujourd’hui atteindra rapidement New York. L’idée sous jacente est que la politique économique des Etats unis va vite se frayer un chemin vers l’Europe. Le 21ème siècle commence un peu différemment.